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Culture

Hitchcock, Buñuel… Quand le cinéma inspire la bande dessinée

Alfred Hitchcock

Alfred Hitchcock - AFP / Rue de Sèvres 2018

Plusieurs albums de BD sortis récemment retracent le parcours, réel ou imaginaire, de cinéastes célèbres ou tombés dans l'oubli.

Tintin, Spirou, Marvel… Le cinéma raffole de BD. Le 9e Art, de son côté, est souvent considéré par des nombreuses personnalités du 7e Art comme un moyen pour faire des films à bas coûts: on ne compte plus les scénarios inachevés ou non produits devenus des albums ou les scénaristes et réalisateurs qui se sont tournés vers l’édition pour étancher leur soif de créativité.

En 2018, une demi-douzaine de BD sur le sujet a paru. Inscrits dans des genres très différents (livre pour enfants, enquête, pastiche…), ces titres évoquent pour la plupart des pans désormais disparus, voire oubliés, de l’Histoire du 7e Art. Et ont une ambition: les remettre au goût du jour.

Portrait d’Hitchcock, La Bobine d’Alfred de Nicolas Pitz et Malika Ferdjoukh est animé d'une ambition didactique, voire ludique. Tout comme Avec Edouard Luntz de Julien Frey et Nadar ou encore Midi-Minuit de Doug Headline et Semerano Massimo, hommage au cinéma d’exploitation italien des années 1960 et 1970.

Couvertures de BD parlant de cinéma
Couvertures de BD parlant de cinéma © Rue de Sèvres / Futuropolis / Dupuis

Lorsque l’on évoque des films aussi célèbres que ceux de Hitchcock ou un genre aussi codifié que celui du giallo, impossible de ne pas truffer son histoire de références. "Le but était de prendre des petites choses de chacun de ses films, sans cela ne nuise pas au récit", précise Nicolas Pitz, dessinateur de La Bobine d’Alfred.

Adapté d’un roman de Malika Ferdjoukh destiné à la jeunesse, cet album vise cependant un public plus large. "Comme on parlait d’Alfred Hitchcock, on avait vraiment peur de perdre tout le monde si on visait un public trop jeune, parce qu’il y a beaucoup de références", indique-t-il, avant d’ajouter: "J’ai fait des interventions scolaires au festival d’Amiens. C’était très compliqué. Il y en avait généralement qu’un ou deux élèves qui savaient qui était Alfred Hitchcock".

Midi-Minuit
Midi-Minuit © Dupuis

Donner envie aux gens d'aller voir des films

Dans Midi-Minuit, histoire qu’il devait réaliser au cinéma, Doug Headline imagine une enquête policière tournant autour d’un cinéaste fictif, Marco Corvo, sorte de mélange entre le romancier italien Valerio Evangelisti et le cinéaste culte Mario Bava. Pour parfaire ce personnage, le scénariste a imaginé une filmographie aux titres plus vrais que natures (et parodiant Dario Argento): Un papillon sous la lune de sang, La Valse lente du scorpion, Le Chaud baiser de la tarentule…

"Le but du jeu était de semer le doute chez le lecteur pour qu’il se demande si ce réalisateur italien dont on parle a vraiment existé", commente celui qui veut jouer avec les codes du giallo, un genre "extrêmement ludique et amusant". Bien que ces films soient en grande partie assez mauvais ("il y en a environ 180, dont 140 à jeter", estime-t-il), son ambition est de "faire connaître des films qui ne sont plus si faciles d’accès que ça" et "donner envie aux gens d’aller les découvrir".

Pour ressusciter ce cinéma d’antan, décimé dans les années 1980 par l'avènement de la vidéo et la mainmise de Berlusconi sur la production, Midi-Minuit propose un dossier thématique sur le sujet. Doug Headline appuie également son récit sur des anecdotes véridiques et utilise de véritables phonogrammes de classiques du cinéma bis italien. "Il faut montrer à quoi ça ressemblait", indique le fils de Jean-Patrick Manchette qui a glissé, dès les premières pages, une perle du genre: Vierges pour le bourreau - "un des films les plus mal joués de l’histoire du cinéma", selon lui.

Avec Edouard Luntz
Avec Edouard Luntz © Futuropolis

Donner à voir des films disparus

Le scénariste Julien Frey et le dessinateur Nadar se penchent eux aussi sur un cinéma disparu. Dans Avec Edouard Luntz, le duo redonne vie à la filmographie de ce cinéaste français, devenue invisible. "Je n’aime pas trop aller vers ce qui brille", précise Julien Frey. "Je préfère les gens dont on ne parle pas. Je ne sais pas si c’est une bonne idée, mais c’est naturellement vers cela que je vais."

Pour retracer la carrière de cet auteur d’une dizaine de films dont un, Le Grabuge, a complètement disparu après un litige avec son producteur Darryl F. Zanuck, Julien Frey a préféré recourir aux "moyens illimités de la BD": "En terme de récit, l’album est très alambiqué et pour le cinéma jamais, je crois, un producteur n’aurait accepté ça. Avec la BD, on est libre de dessiner et d’écrire ce que l’on veut."

Avec Edouard Luntz "n’est pas une biographie", insiste Julien Frey. "Ce n’est pas non plus une fiction, parce que l’on parle d’événements réels. C’est plus une enquête-reportage, une déclaration d’amour à un cinéaste et une interrogation sur le destin des films que l’on n’a pas les moyens de restaurer." L’album donne à voir les films de Luntz, dont seul le premier, Les Cœurs verts, a bénéficié d’une sortie DVD. "L’idée de l’album est de partir à la rencontre de Luntz à travers ses films et les gens qu’il côtoyait au cours de sa vie", analyse Julien Frey. "C’était important de montrer les films. Puisqu’on ne peut pas les voir, au moins, on peut les lire et plonger dans cet univers à travers l’album".

Certains photogrammes ont été reproduits fidèlement, d’autres ont été inventés, notamment pour Le Grabuge. Lorsque l’on s’attaque au cinéma, et a fortiori à des personnalités connues du grand public, difficile d’éviter le mimétisme. Nadar a trouvé un compromis. "Il a simplifié les personnes existantes, comme Michel Bouquet, de sorte que les lecteurs les reconnaissent immédiatement", explique Julien Frey. "Pour d’autres personnages, il a choisi a de se démarquer de la réalité, comme si des comédiens interprétaient les rôles".

Couvertures de BD sur Luis Bunuel et Alfred Hitchcock
Couvertures de BD sur Luis Bunuel et Alfred Hitchcock © Glénat / Dargaud

Hitchcock caricaturé

Même son de cloche pour Luca Erbetta, dessinateur de Dans les eaux glacées du calcul égoïste, polar qui évoque les mœurs dissolues de l’entre-deux-guerres via le trio infernal Dali, Buñuel et Cocteau. "Je n’avais aucune directive. J’ai composé avec mon style, qui est plutôt réaliste. Je me suis concentré sur l’expression des personnages plutôt que sur une représentation précise du visage de chacun", dit le dessinateur, qui a privilégié le romanesque sur le réalisme.

Dans une scène, Dali et Buñuel se gaussent devant un film pornographique. La scène n’a sans doute pas eu lieu, mais peu importe: "L’idée n’est pas de faire une biographie exacte, mais de raconter un esprit de l’époque. On a joué sur ce qui aurait pu être. Ils étaient assez subversifs. Il est bien probable qu'ils aient pu voir un tel film". Pour retrouver le Paris des années vingt et le parfum des films de l’époque, le dessinateur a donc travaillé sur un papier jauni et a usé d’un "noir et blanc coloré" tout en privilégiant des cadrages très modernes.

Nicolas Pitz, quant à lui, a employé des couleurs proches du Technicolor. Comme l’histoire est vue par les yeux d’un enfant, il voulu éviter un dessin trop réaliste. Son Hitchcock est donc caricaturé: "C’est un enfant projeté aux Etats-Unis. Le trait devait être assez enfantin. Le personnage voit ce qu’il se passe comme je l’ai dessiné".

Preuve que Hitchcock continue de fasciner: Dargaud sortira le 14 septembre Sir Alfred (Dargaud) de Tim Hensley, qui propose une série d’anecdotes apocryphes et moqueuses sur l’auteur de La Mort aux trousses. Casterman publiera prochainement Cooper - Un guerrier à Hollywood de Florent Silloray, une biographie du réalisateur de King Kong, connu pour ses penchants esclavagistes et son Maccarthysme primaire.

Jérôme Lachasse