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Mickey, 90 ans, se lance dans l’horreur avec Lewis Trondheim

Mickey

Mickey - Glénat 2019 Nesme Trondheim

Le scénariste Lewis Trondheim et le dessinateur Alexis Nesme publient Horrifikland, une nouvelle aventure de Mickey, Dingo et Donald située dans un parc d’attraction hanté. Frissons garantis.

Décidés de retrouver l’esprit des premiers Mickey des années 1930, le dessinateur Alexis Nesme et le scénariste Lewis Trondheim se sont alliés pour publier Horrifikland, nouvelle aventure de la célèbre souris qui explore cette fois un parc d’attraction hanté.

Au programme: des fantômes, un bateau de pirates, des docteurs fous, de la brume et des monstres aux yeux globuleux. Le tout enrobé dans un graphisme étonnant, plongeant Mickey, Donald et Dingo dans un univers en 3D évoquant à la fois Tim Burton et les films d’épouvante de la Hammer avec Christopher Lee.

"Je connais le côté baroque d’Alexis", raconte Lewis Trondheim. "Je voulais utiliser au maximum ses capacités à dessiner des maisons hantées, des couloirs gothiques, etc. Et j’ai eu l’idée d’un parc d’attractions d’horreur abandonné pour pouvoir y mettre plusieurs univers différents. Quand on est un dessinateur, on a envie de s’amuser avec un Mickey."

Déjà, dans Mickey's Craziest Adventures, sa première incursion dans le genre avec Nicolas Keramadis, il avait imaginé un dispositif audacieux: une histoire dont on aurait retrouvé seulement quelques pages, permettant ainsi à Mickey et à Donald de sauter d’un univers à l’autre, de l’espace au centre de la Terre en passant par la jungle.

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Mickey © Glénat 2019 Trondheim Nesme

"Un super trio"

Cette fois, Lewis Trondheim raconte une histoire sans interruption. Pour réunir Mickey, Dingo et Donald, il s’est inspiré d’une histoire des années 1930 de Floyd Gottfredson intitulée Mickey et le manoir des fantômes. "C’est un super trio. Quand j’ai lu, gamin, cette histoire, je l’ai adorée." Il ajoute avoir réutilisé des éléments d’un vieux dessin animé de 1932, The Mad Doctor: "Les squelettes, les ombres que l’on voit dans l’album viennent de cette histoire."

Si Trondheim connaît jusqu’au bout des ongles les bandes dessinées de Mickey, Alexis Nesme, lui, connaît bien mieux les premiers dessins animés du personnage: "Je connaissais cet univers par l’animation. Je m’étais plongé il y a quelques années dans les courts-métrages noir et blanc puis couleur..." Travaillant en couleur directe, à la gouache, Alexis Nesme apporte à l’univers de Mickey de la matière. Les décors, très soignés, truffés de détails architecturaux fascinants, sont retranscrits précisément. Rarement le lecteur aura autant ressenti dans un Mickey la poussière, la pierre et les toiles d’araignées. "C’est ce que j’avais envie d’ajouter à l’univers", glisse le dessinateur.

Pour les postures des personnages, Alexis Nesme s’est appuyé sur les films d’animation des années 1930 - et non sur les gouaches de Carl Barks, l’inventeur de Picsou, auxquelles son trait fait furieusement penser. Le plus difficile à dessiner, selon lui, reste Donald. "Il a une forme de poire, il est assez étrange à mettre en scène", explique-t-il. Le dessinateur doit, aussi, s’adapter à des personnages "qui n’ont jamais la même tête de face et de profil": "Comme j’aime bien les dessiner de trois quarts - ils marchent comme si on était en 3D -, j’ai un peu patiné."

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Mickey © Glénat 2019 Trondheim Nesme / Disney

"Que les gamins aient un peu peur en s’amusant"

Si Horrifikland s’adresse aux enfants, Lewis Trondheim ne s’est pas interdit d’imaginer quelques séquences terrifiantes. Bien au contraire: "J’ai fait un scénario pour que les gamins aient un peu peur en s’amusant", dit le scénariste en citant notamment l’exemple de la momie inca Rascar Capac dans Les Sept boules de cristal.

"Si je pouvais créer des visions stressantes d’angoisse dont les lecteurs de huit ans se souviennent encore dans 30 ans, je serais ravi, parce que ça construit les gens. Si on fait des albums pour enfants pré-mâchés, ça ne sert à rien. Il faut que les gamins sentent, quand ils lisent, qu’il y a des choses qui ne sont pas tout à fait accessibles ou qui sont un petit peu interdites, sinon ce sont des albums validés par les parents, donc ça n’a pas de sens."

Mickey est le parfait cheval de Troie pour ça. "Sauf qu’il est complexe de passer les filets des gardiens du temple de Disney", précise cependant Lewis Trondheim qui pour Horrifikland a lui aussi dû ruser pour maintenir ses idées. Le vénérable studio ne voulait pas, au début, situer l’action dans un cimetière, "parce que la mort n’existait pas chez Disney", ajoute-t-il. "À chaque fois, il fallait argumenter, dire que c’était un faux cimetière avec de fausses tombes. Ils ne voulaient pas que l’on mette des croix. Ils ne voulaient pas non plus les squelettes. Il a fallu leur dire à chaque fois que c’était pour de faux."

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Mickey © Glénat 2019 Nesme Trondheim

"N'ouvrez pas, têtes à l'intérieur"

Comme si Disney avait oublié sa propre histoire et à quel point les premières histoires de Mickey, au cinéma comme en bande dessinée, étaient assez violentes! "Ce qu’ils ont fait dans les années 1930 n’est plus faisable maintenant", confirme Alexis Nesme. "The Mad Doctor évoque un scénario de film d’horreur, c’est vraiment gore. Il y a une grande scie qui menace de couper Mickey en deux!" Les histoires que Floyd Gottfredson réalise au début des années 1930 sont elles-mêmes marquées par un côté sadique, pervers. Le dessinateur prenant un malin plaisir à mettre en scène Mickey dans des pièges macabres.

Dans Horrifikland, ce sont des seringues jugées trop pointues, dans une séquence évoquant l’esprit de Floyd Gottfredson, qui ont causé des sueurs froides à Disney. Heureusement pour Alexis Nesme, "ma planche était déjà prête". Et "Alexis a argumenté en disant que ce n’était pas vraiment pointu", renchérit Lewis Trondheim. Dans le même esprit, un cerveau dans un bocal a été remplacé par une... grenouille.

"Souvent, quand ils nous font changer les choses, ça peut être bénéfique", sourit Lewis Trondheim. Sur une porte ensanglantée, le scénariste avait écrit "Don’t open, dead inside" ("N'ouvrez pas, morts à l'intérieur"). Une référence aux comics de zombies The Walking Dead. Après un réajustement de la part de Disney, l’inscription est devenue "Don’t open head inside" ("N'ouvrez pas, têtes à l'intérieur")! On est vraiment chez Horrifikland.

Horrifikland, Alexis Nesme (dessin) et Lewis Trondheim (scénario), Glénat, 48 pages, 15 euros.

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Mickey © Glénat 2019 Nesme Trondheim
Jérôme Lachasse