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Culture

Lili Sohn, la dessinatrice qui déconstruit l'instinct maternel

Mamas de Lili Sohn

Mamas de Lili Sohn - Casterman 2019

Après s’être attaquée aux idées reçues sur le vagin et sur le cancer du sein, la dessinatrice Lili Sohn se penche sur l’instinct maternel dans sa BD Mamas.

En quelques années, la dessinatrice Lili Sohn s’est imposée comme une nouvelle voix dans le milieu de la BD. Sa marque de fabrique: partir de son expérience personnelle pour livrer des albums qui s’attaquent aux stéréotypes et aux codes imposés aux femmes depuis des siècles. 

Après s’être attaquée aux idées reçues sur le vagin et sur le cancer du sein, son nouvel objet d’étude est l’instinct maternel dans Mamas (Casterman), en librairie depuis début septembre. 

"Je pars soit d'une expérience très forte, soit d'une méconnaissance, soit d’un tabou. Au lieu d'appuyer ma réflexion sur 'la société pense que...' ou 'on pense que...', je préfère parler du 'je' et explorer mon expérience personnelle, ce qui est plus sincère", raconte la dessinatrice. Elle ajoute: "Quand on comprend d'où viennent ces codes, quand on arrive à les décortiquer, c'est un peu plus facile de s'en défaire." 
Deux BD de Lili Sohn
Deux BD de Lili Sohn © Casterman

"Je ne suis pas un animal!"

Lili Sohn parle d’expérience: elle apprend elle-même au fur et à mesure de ses découvertes à déconstruire ses propres clichés: "C'est important d'être sincère dans mes découvertes. Je vulgarise pour moi, puis pour les autres." Lili Sohn envisage ses BD comme des guides pour aller mieux. Et pratique un style ludique qui mêle trait simpliste et caricatures du passé. Une méthode efficace pour déconstruire les clichés:

"Quand je parle du corps de la femme et de l'instinct maternel, il est intéressant de mettre en rapport les dessins actuels et des gravures de siècles passés: ça permet de les détourner et d'atténuer des propos un peu durs par une note rigolote."

En enquêtant sur l’instinct maternel, elle a découvert que Darwin faisant dans ses écrits un rapprochement avec les singes. Une découverte qui pousse son double de fiction à s'écrier dans l’album: "Je ne suis pas un animal!" "Que ce soit Darwin ou d'autres personnes, on essaye toujours de nous ramener à un état animal", commente la dessinatrice. 

Lili Sohn dénonce la manière dont les historiens tendent à minimiser la place des femmes dans la société. "Ne pas connaître son propre corps est aussi une répercussion d'une invention sociale globale", estime-t-elle en précisant que les femmes occupent un rôle plus important qu'on ne le croit à la Préhistoire. 

La maternité est-elle antiféministe?

Lili Sohn, qui évoque sa propre grossesse dans Mamas, questionne les liens entre maternité et féminisme:

"C'est une question que l'on peut vraiment se poser. Le féminisme, c'est la volonté d'avoir une égalité entre les hommes et les femmes. On se rend bien compte que la maternité est une charge portée sur la mère: l'enfant est à la charge de la mère. Je me rends compte dans mon expérience personnelle que cette maternité me permet d'être encore plus vive dans mon militantisme féministe puisqu'il y a aussi une recherche d'égalité dans la parentalité." 

Avec Mamas, elle lutte contre les clichés liés à l'instinct maternel et à la maternité, dans la société comme dans les fictions: "L'audiovisuel a une grande responsabilité, mais c'est rare que l'on montre les vrais choses et les différentes possibilités de vivre les choses, alors que ça aurait un énorme pouvoir sur la société."

Lili Sohn
Lili Sohn © Casterman 2019

Elle cite En Cloque, mode d'emploi de Judd Apatow, un des rares films récents qui ose montrer ce que l'on voit peu dans les fictions. Mais cette comédie ne va pas assez loin selon elle. Les fictions, en général, ne dénoncent pas ce que l'on considère comme normal et qui ne l'est pas en réalité, comme la dépression post-partum.

"C'est très difficile l'après, cet être qui arrive... C'est facile de tout mettre sous ce nom de post-partum." Dans des pages aussi drôles que poignantes, Lili Sohn raconte les semaines qui suivent son accouchement. Sa solitude. Son envie de se débarrasser de son enfant, de le vendre. Cette sensation d'être une machine au service de la société: 

"C'est comme si on devenait un bien qui appartenait à toute la société, que l'on a créé un humain qui va appartenir à tout le monde. Tout le monde donne son avis. Dès que l'on sort de chez soi, il y a une attention un peu étrange."

Maintenant que l'album est sorti, son travail est terminé. Aux lecteurs et aux lectrices de déconstruire. "Ce n'est pas grave si on ne sait pas tout sur la maternité et corps des femmes. Comprendre que c’est une construction sociale permet de trouver une solution. Le fait de comprendre cela m'a beaucoup libéré." Depuis qu'elle a terminé Mamas, elle a trouvé son prochain combat: les poils. 

Jérôme Lachasse