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La BD de la semaine: Tanquerelle commente Groenland Vertigo

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- - Casterman - Tanquerelle

LA BD DE LA SEMAINE - Le bédéaste nantais a participé à une expédition au Groenland il y a quelques années. Il en a tiré un récit d’aventures qui rend hommage à Tintin et à Hergé.

En 2017, l’oeuvre d’Hergé est sur tous les fronts: une exposition bat son plein au Grand Palais, la colorisation de Tintin au pays des Soviets est numéro un des ventes de livres. Alors que le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême approche, deux albums sortant à quinze jours d’écart rendent un hommage sensible aux Aventures de Tintin. Dans Au Travail 2, Olivier Josso Hamel réinterprète plusieurs pages de L’Île Noire pour mieux raconter l’histoire de son adolescence à St Nazaire.

Dans Groeland Vertigo, en librairie depuis le 18 janvier, Hervé Tanquerelle s’inspire d’une expédition au Groenland à laquelle il a participé il y a quelques années pour mettre en scène un récit digne des aventures de Tintin. Mêlant différentes techniques - ligne claire pour les personnages, aquarelle pour les paysages -, le dessinateur convoque notamment le souvenir de L’Etoile Mystérieuse et de Tintin au Tibet

Comme chez Hergé, on trouve dans Groenland Vertigo, des personnages hauts en couleur, des complots, des étoiles et des lignes de douleur ou de stress autour des personnages, mais aussi de superbes paysages du Groenland, mis en couleur par une très inspirée Isabelle Merlet, coloriste très remarquée de Lune L’Envers de Blutch. Rencontré dans les bureaux parisiens de son éditeur, Tanquerelle a accepté de commenter pour BFMTV.com une sélection de planches de son album.

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- © Casterman - Tanquerelle

Le souffle épique d’un atelier de dessinateur

"Dans cette page, on n’est pas dans l’aventure, dans le souffle épique, puisqu’on est dans un atelier de dessinateur. Et il n’y a pas moins épique qu’un atelier de dessinateur! Je suis parti au Groenland grâce aux adaptations qu’on avait fait avec Gwen de Bonneval des Racontars de Jørn Riel. Un jour, on m’a proposé de partir avec lui au Groenland, au nord-est, là où il a vécu pendant des années et où il situe ses Racontars. J’étais à peu près comme le montre cette planche, devant mon ordinateur, complètement halluciné par cette proposition. Heureux, bien sûr, mais avec quelques angoisses, quand même. La structure est très simple: un gaufrier, avec le même personnage vêtu d’un pull rayé. Cette page était un bon moyen de travailler sur les différentes expressions du personnage. J’ai repris pour cet album la grammaire et le vocabulaire d’Hergé, avec cette idée de fermer un peu plus mon trait, de le pousser vers la ligne claire. Le travail sur les expressions ou sur les yeux est très proche du travail d’Hergé. Jusque-là, on ne m’a jamais identifié comme un dessinateur ligne claire."

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- © Casterman - Tanquerelle

Des paysages hyper réalistes

"Contrairement aux personnages, j’ai travaillé les paysages au lavis [procédé qui consiste à employer de la couleur délayée à l'eau, ndlr], une technique que j’ai déjà explorée dans mes précédents albums, La Communauté et Un Petit Détour et autres racontars, et qui permet d’avoir des moments presque hyper réalistes - et auxquels je tenais parce que je voulais restituer ce que j’avais vécu sur place, ces moments où on est saisi par les paysages. C’est le cas de cette planche, avec l’arrivée à Ella Island, à 3 heures du matin, où il fait grand ciel bleu parce que le soleil ne se couche pas l’été au Groenland. Là-bas, j’ai vraiment eu la sensation d’être dans un tableau, qu’un peintre avait posé des petites touches d’orange, avec un ciel bleu profond. Je voulais que l’on retrouve cette ambiance dans la BD. Le bleu du ciel a été le plus dur à retrouver. L’image est entièrement traitée à l'aquarelle, au lavis gris. Ensuite, je la scanne et je la retravaille sur PhotoShop (notamment pour les petites fenêtres des maisons). Puis, je nettoie ma page et je l’envoie à Isabelle Merlet qui colorise les gris. Ce qui donne cette sensation qu’elle a été faite à la peinture."

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- © Casterman - Tanquerelle

Retrouver la couleur du Groenland

"J’ai été ravi qu’Isabelle Merlet travaille avec moi. On avait déjà collaboré sur Les Voleurs de Carthage [deux albums, parus en 2013-2014 chez Dargaud, ndlr]. Je voulais que ce soit elle qui se charge des couleurs de Groenland Vertigo. Je savais qu’elle serait capable de travailler sur les lavis, de les coloriser. Elle comprend la lumière. C’est un chef opérateur, en fait. C’est un vrai bonheur de travailler avec elle. Sur cette page, elle a travaillé beaucoup d’après photos. Pour la plupart, sauf celles avec les lapins ou le fusil, il s’agit de choses que j’ai vécues. Je voulais que l’album soit en couleur. Etant allé au Groenland, j’ai vu la richesse des palettes de couleur qu’il y avait là-bas. Et Isabelle a une manière de traiter la couleur, d’amener des dégradés sans que ce soit trop dur, trop froid ou trop figé. Il y a un super dégradé sur le ciel dans la troisième case. Elle a une capacité à amener une texture dans ses couleurs qui fonctionne très bien. Même si les personnages sont traités avec des aplats à la Tintin, l’ensemble crée une belle harmonie."

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- © Casterman - Tanquerelle

Les aventures de Tanquerelle au pays de Tintin

"Ce moment où mon personnage trébuche et dévale une pente avec son sac à dos est évidemment inspiré du passage de Tintin au Tibet avec le Capitaine Haddock. En plus, mon personnage possède comme Haddock des bouteilles de whisky dans son sac à dos. Quand j’ai dessiné cette scène - qui n’était pas prévue dans mon scénario -, j’ai eu peur d’être un peu trop dans le plagiat. C’est la seule scène d’Hergé que je suis allé rechercher pour voir comment elle était traitée. Tout le reste de l’album est bourré de références à Tintin, jusque dans la typographie qui est inspirée de celle d’Hergé. Je ne voulais pas que cela plombe l’album. J’avais envie que quelqu’un qui n’aime pas l’univers d’Hergé ou ne le connaît pas puisse aimer l’histoire. Et, inversement, que les amateurs de Tintin puissent s’y amuser sans être gêné dans la lecture. J’ai appris à lire de la bande dessinée avec Hergé. Môme, Tintin m’a complètement fasciné. Je l’ai lu et relu. Il a toujours été très présent. En lisant Les Racontars de Jørn Riel, je trouvais qu’il y avait une proximité entre cet univers et celui d’Hergé. Je ne crois pas que Jørn Riel ait lu Tintin, mais ses personnages des trappeurs sont des capitaines Haddock dans toute leur splendeur! Quand je suis parti au Groenland, lors de cette expédition réunissant artistes et scientifiques, j’ai cru que j’allais vivre L’Etoile mystérieuse! Le jour où j’ai décidé de faire de ce voyage une fiction, je me suis dit que je devais m’amuser avec cet univers-là."

Groenland Vertigo, Hervé Tanquerelle, Casterman, 104 pages, 19 euros.
Jérôme Lachasse