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Kevin Tran (Le Rire Jaune): "En sixième, je dessinais tellement que j’ai failli redoubler!"

Kevin Tran

Kevin Tran - Capture d'écran YouTube / Le Rire Jaune

Les trois premiers tomes de Ki & Hi, de la dessinatrice Fanny Antigny et du YouTubeur Kevin Tran, alias Le Rire Jaune, rencontrent un vif succès.

C’était son rêve. Depuis l’enfance, Kevin Tran rêve de devenir dessinateur de mangas. Sans avoir jamais cessé de dessiner et d’imaginer des histoires, le vidéaste, qui gère la chaîne Le Rire Jaune sur YouTube, a été contacté par la maison d’édition Michel Lafon pour écrire un livre. "Je n’avais pas envie de faire une autobiographie. A 23 ans, ça n’avait aucun sens", dit-il aujourd'hui. Il s’est donc tourné vers le manga.

Il travaille avec la dessinatrice Fanny Antigny, une fan qui lui a envoyé des dessins alors qu’il cherchait quelqu'un pour illustrer le livre qu’il préparait: Ki & Hi, mésaventures humoristiques de deux frères dans un archipel ressemblant à une tête de panda. Depuis la sortie du premier tome, le succès de Ki & Hi ne se dément pas. Chaque tome caracole en tête des ventes.

A l’occasion de la sortie du troisième tome, en mai, Kevin Tran a répondu aux questions de BFMTV.com. Il évoque son amour du manga, les coulisses de la création de sa série à succès et une possible traduction japonaise de son manga. Ki & Hi devrait compter en tout cinq ou six tomes. Le quatrième est prévu pour février 2019.

Couvertures de Ki & Hi
Couvertures de Ki & Hi © Michel Lafon

Quel est votre premier souvenir lié au manga?

Dragon Ball. J’ai commencé à le lire quand j’avais dix ans. A l’époque, ce n’était pas des mangas de 200 pages, mais des petites reliures de 100 pages éditées par Glénat et disponibles en kiosque. C’était 2,90 francs et, en sixième, c’était déjà une économie. C’était une source de créativité incroyable et on voyait le héros grandir en même temps que nous.

C’est ce que vous avez voulu faire dans Ki & Hi? Les personnages vont-ils grandir de tome en tome?

Je ne pense pas qu’on les verra grandir comme Goku. Pendant les trois premiers tomes, il s’écoule environ six-sept mois dans l’histoire.
"C’est vraiment le manga qui m’a donné envie de dessiner."

A part Dragon Ball, quelles étaient vos autres lectures?

Monster, One Piece, Slam Dunk et Death Note surtout. Naruto, aussi. Bleach. Beaucoup de shônen, de mangas qui s’adressent aux adolescents.

Avec Ki & Hi, votre ambition était-elle de faire un shônen?

C’est plus un gag-manga qu’un shônen. Le but, c’est vraiment de faire rire, pas de partir à l’aventure. Il y a une aventure en filigrane, mais ce qui compte d’abord c’est le gag. S’il fallait comparer, ce serait plutôt à un Docteur Slump ou un Collège fou, fou, fou qu'à un Dragon Ball ou à un One Piece.

Que lisiez-vous à part des mangas? Des BD franco-belge, des comics?

J’ai eu une période où je lisais Titeuf, Spirou et Fantasio. J’avais quelques tomes de Blake et Mortimer et L’Élève Ducobu. Il n’y avait que ça dans mon souvenir. C’est vraiment le manga qui m’a donné envie de dessiner.

Vous avez commencé le dessin à quel âge?

Je dessine depuis que j’ai 4-5 ans. J’ai commencé à le formater dans un découpage manga quand j’étais en sixième, à l’âge de 10 ans. J’ai dessiné en style manga plus ou moins jusqu’à la terminale. Après j’ai eu trois ans de prépa et deux ans d’école d’ingénieur. Pendant cette période-là, je n’ai pas dessiné. J’ai repris quand j’ai eu la proposition de Michel Lafon.

Vous dessiniez en cours ou chez vous?

(rires) Je dessinais pas mal en cours. En sixième, je dessinais tellement que j’ai failli redoubler! Après je me suis calmé et j’ai dessiné principalement chez moi.

Quel genre de dessin faisiez-vous? Du dessin d’imagination ou de la copie?

Je dis toujours à Fanny qu’il y a deux façons de dessiner. Il y a la part “technique”: on ne sait pas dessiner une oreille et on va recopier les oreilles de tous les mangas qu’on a lus. Il y a la part émotionnelle: c’est quelque chose que l’on a ou que l’on a pas. Lorsqu’on dessine un personnage, on arrive à se mettre à sa place. Cette part émotionnelle, c’est quelque chose que j’ai développé très très jeune. La part technique, c’était à force de lire des mangas, à force de reproduire, de faire des choix sur ce que j’aime ou pas: ça s’est développé petit à petit. C’est quelque chose que je développe encore aujourd’hui en regardant Fanny dessiner. Là où on se complète avec Fanny, c’est qu’elle est très forte techniquement et qu’émotionnellement je lui apporte un plus pour que ses personnages soient plus expressifs et qu’une joie globale ressorte du manga.

Est-ce que vous intervenez sur les planches dessinées par Fanny Antigny?

Je fais mon storyboard et après je le mets sur un Google Drive. Avant qu’elle commence à dessiner, on s’appelle une fois et je lui explique que tel personnage doit être plus expressif que ce que j’ai fait. Je lui explique aussi la logique du chapitre, parce que son dessin peut parfois être en sous-jeu ou en sur-jeu par rapport à ce que j’ai en tête. Mon but, c’est de donner un état d’esprit dans lequel il faut dessiner ce chapitre. Une fois qu’elle a fini les planches, je repasse dessus et j’écris par exemple en dessous des corrections.

L’écriture d’une vidéo est-elle différente de celle d’un manga?

C’est différent, mais là où ça se recoupe, c’est dans la rigueur. Dans les vidéos, on essaye de captiver rapidement le spectateur: je sais que cela doit se produire dans les quinze premières secondes. Régulièrement, il faut de la mise en scène, sinon il n’y a que moi en face caméra. Il faut aussi régulièrement des blagues, sinon la personne s’ennuie. Tout cela se retrouve dans le manga. La structure dans le manga, c’est souvent commencer par un paysage pour situer le lieu, essayer de placer les suspenses en bas d’une page de gauche et les révélations sur la première case d’une page de droite, pour créer un effet de surprise, essayer de faire des découpages de quatre lignes par page. Lorsque l’on va jusqu’à 5 lignes, c’est compressé pour le lecteur. Ça permet d’avoir une fluidité incroyable.

Est-ce qu’Urasawa, maître de la mise en scène, vous a inspiré avec Monster?

Je n’ai lu que Monster d’Urasawa, même si je sais que je devrais en lire plus de lui. Dans l’écriture, il y a une part d’inconscient. De qui on s’est le plus inspiré, c’est difficile à dire. Tout ce que j’ai lu a servi d’inspiration pour ma façon de découper, de raconter une histoire. Urasawa, là où il est fort dans Monster, c’est qu’il arrive à instaurer une certaine tension même lorsque c’est calme, qu’il n’y a pas d’action et que le héros est dans ses phases de réflexion. On n’a pas forcément besoin de faire un cadrage dynamique pour garder le lecteur en haleine. Ce sont des choses que j’essaye de faire.
Couverture de Monster d'Urasawa
Couverture de Monster d'Urasawa © Kana

Une publication au Japon est-elle prévue?

Pas encore. Il y a un problème dans la traduction: j’aime beaucoup de jeux de mot et c’est impossible de les traduire. Pour l’instant, Michel Lafon est en contact avec Shibuya Production et la Shueisha. Plusieurs questions se posent: est-ce qu’on édite tome par tome? Est-ce que je finis mes cinq-six tomes, on les traduit et on les sort en même temps? Ou alors on en sort un tous les deux mois jusqu’à la sortie du dernier? C’est une question de savoir quelle est la meilleure manière de publier la série sans se planter. Il y a des étapes à suivre et qu’il ne faut pas brûler. Il faudra peut être que l’on modifie quelques blagues pour faire une édition japonaise qui soit compréhensible.

Une fois que Ki & Hi sera terminé, vous continuerez à écrire des mangas?

Bien sûr. C’est mon rêve d’enfance. Ce n’est pas quelque chose que je fais parce que l’opportunité est là. J’en ai eu la chance et je sais que j’ai une maison d’édition prête à m’accompagner à tout moment pour écrire mon manga. Je le ferai. Après les cinq-six tomes, qu’est-ce que je fais? Je continue Ki & Hi ou je fais une nouvelle série? C’est plus ça mes questions. Continuez à écrire des mangas, ce n’est pas une question, c’est une certitude.

Vous allez continuer le manga tout en continuant de faire les vidéos?

Les deux satisfont ma créativité de façon différente. Le manga me permet d’écrire des choses extrêmement personnelles. Le public veut juste voir du contenu et il ne se met pas à la place "de l’artiste". Si je ne faisais que des vidéos, ce ne serait pas possible, parce qu’on est assez limité sur ce que l’on peut faire. On n’a pas les budgets de l’audiovisuel. En manga, il y a pas besoin de budget pour faire ce qu’on a en tête. Je peux exploiter toute une partie de ma créativité sans avoir à dépenser des dizaines de milliers d’euros.
Jérôme Lachasse