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Joann Sfar revient avec Le Chat du Rabbin 7: "J'ai déjà commencé le tome 8"

Joann Sfar publie le septième tome des aventures du Chat du Rabbin.

Joann Sfar publie le septième tome des aventures du Chat du Rabbin. - Joann Sfar / Dargaud 2017

Dans La Tour de Bab-El-Oued, en librairie ce vendredi 17 novembre, le dessinateur raconte la faillite des religions et du vivre-ensemble. Il explique à BFMTV.com les dessous de ce Chat du Rabbin pas comme les autres.

Le Chat du Rabbin revient. S’il avait fallu attendre neuf ans entre le cinquième et le sixième tome, le septième, intitulé La Tour de Bab-El-Oued, sort ce vendredi 17 novembre deux ans seulement après Tu n’as rien à craindre de moi, conçu pendant l’attentat contre Charlie Hebdo. Le Chat du Rabbin est de retour, mais quelque chose a changé. Dans l’écriture comme dans le ton. L’album est plus dense que les précédents, plus complexe. "Tant mieux", se félicite Joann Sfar. "Je passe un an dessus. Je n’ai pas envie que le lecteur l’épuise en une lecture".

Difficile de résumer La Tour de Bab-El-Oued. L’album parle des réfugiés, de l’intolérance religieuse, de la faillite des religions et du vivre-ensemble. Le ton est à la fois grave, sarcastique et polémique. A Alger, l’eau monte et les lieux de culte sont inondés. Et ni les Juifs, ni les Catholiques, ni les Musulmans ne souhaitent prier ensemble. Pendant ce temps, Joann Sfar lâche son Chat dans ce théâtre. Il n’épargne personne. Et pour cause: à travers La Tour de Bab-El-Oued, Joann Sfar met en scène la difficulté, voire l’impossibilité, de raconter, dans le monde actuel, un récit imaginaire comme Le Chat du Rabbin.

Le Chat du Rabbin 7
Le Chat du Rabbin 7 © Joann Sfar Dargaud 2017

Depuis l’attentat du 7 janvier, vous confiez dans chacun de vos livres votre difficulté à concilier votre envie de raconter des histoires imaginaires avec celle de commenter l’actualité. Vous en avez fait le sujet de La Tour de Bab-El-Oued.

J’avais commencé Le Chat 6 avant les attentats de Charlie. J’ai dû l’interrompre, parce que raconter des histoires imaginaires avec des petits chats me paraissaient un peu ridicule par rapport à la situation. Je me suis mis à faire des carnets [intimes]. Là, j’ai été pris avant tout par l’envie de dessiner ce personnage. Quand on essaye de faire survivre un personnage pendant beaucoup d’albums, la pire erreur serait de se dire: "Tiens, je vais faire encore un Chat du Rabbin". Je suis obligé de me mettre en situation d’ouverture et de voir ce qu’il a à me raconter. Mais je ne me dis pas que je vais parler de l’actualité. Certainement pas. Je me demande ce qu’il va lui arriver. Coup de bol pour moi: mon Algérie imaginaire - ou l’Algérie des années 1930 - rassemble les mêmes populations qu’aujourd’hui. Et comme les questions qui se posaient à l’époque n’ont pas été réglées - et que l’on a tartiné par-dessus d’autres drames et tragédies - le Chat tape finalement toujours dans l’actualité, même sans le faire exprès. Là, j’ai essayé de traiter un sujet paradoxal dans les trois grands monothéismes: l’idée de l’accueil. Si on veut regarder dans l’actualité, ça peut évoquer les réfugiés, mais c’est plus large que ça: qu’est-ce qu’on fait de la générosité de nos grands textes une fois appliqués au réel?
"Je fais du Chat un petit con"

D’où cette référence à la Tour de Babel?

Oui. Il y a un truc qui revient tout le temps: rendre le Bon Dieu sympathique. Parmi les petits problèmes que j’ai avec lui, il y a la légende de la Tour de Babel. C’est une drôle de légende. L’humanité parle d’une voix et s’entend tellement bien qu’elle parvient à construire un édifice jusqu’aux cieux. Dieu en prend ombrage, les maudit et s’arrange pour que chacun d’eux parle une langue différente et n’arrive plus à se comprendre. J’ai essayé de raconter ce qui se passe quand les juifs, les musulmans et les catholiques refusent de prier ensemble. Grâce au Chat du Rabbin, depuis 17 ans, j’ai vu plein de prêtres - de toutes religions - et je n’ai pas vu un seul idiot parmi eux. Je n’ai vu que des prêtres ouverts, marrants, versés dans leur propre théologie, tous très disposés à l’ouverture, au dialogue et à la fusion avec la société séculaire. Là où le bât blesse, c’est souvent chez les croyants, chez les fidèles qui n’ont souvent pas beaucoup d’éducation religieuse. Le peu qu’ils ont, ils vont l’utiliser pour se bagarrer, pour transformer la religion en équipe de foot.

Dans le tome 1, le rabbin évoquait ce problème et disait: "cette nouvelle génération, elle donne une bien mauvaise image de la religion".

Dans le tome 1, je m’en prends aux jeunes. Là, ceux qui en prennent plein leur grade, c’est le rabbin du rabbin et l’imam de l’imam, deux figures tutélaires qui sont complètement larguées et racontent n’importe quoi. Ça me paraît assez juste. Souvent, on donne du crédit à des choses parce qu’elles sont anciennes et on ne les remet pas en question. J’essaye de lâcher mon chat là-dedans. J’essaye aussi de ne pas faire de mon petit chat un petit saint. Il a toujours été un petit diable. Quand il est question d’accueillir des réfugiés - qui sont des chatons dans mon histoire - la première chose que leur dit le Chat est qu’il ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Je fais du Chat un petit con.

Le Chat du Rabbin 7
Le Chat du Rabbin 7 © Joann Sfar Dargaud 2017

Comment est venue l’idée des lieux de culte inondés?

Je ne sais pas. Il y a une espèce de mystique de la montée des eaux dans mes livres. J’en ai parlé dans L’Ancien temps, dans Le Niçois… L’eau est une constante dans Le Chat du Rabbin. Evidemment, ça symbolise les larmes, la haine… La montée des eaux me paraît d’autant plus intéressante quand elle est lente, comme à Venise ou avec le réchauffement climatique. J’essaye de montrer un cataclysme qui vient tellement doucement que l’on ne sait pas quoi en faire et que l’on découvre trop tard: une fois la mosquée inondée, la synagogue l’est aussi.

N'est-ce pas un peu déprimant?

Bien sûr. J’ai commencé à faire Le Chat du Rabbin il y a 17 ans parce que c’était pour moi des souvenirs tendres de ma grand-mère. Je n’ai jamais mis un pied en Algérie, mais ses récits du Maghreb, l'imagerie coloniale qu’elle manipulait pour raconter des histoires de colonisés étaient de bons souvenirs. Quand on voit aujourd’hui que le fait religieux est utilisé pour créer davantage de haine, c’est comme si on inondait mes bons souvenirs, comme si ce récit pour enfants était en train de devenir malgré lui grinçant, sarcastique, effrayant. On abîme mes souvenirs.
Le Chat du Rabbin 7
Le Chat du Rabbin 7 © Joann Sfar / Dargaud 2017

Considérez-vous Le Chat du Rabbin comme un livre pour enfants?

Je l’ai commencé comme ça. On m’a demandé si j’avais fait le premier Chat, sorti après le 11-Septembre, en réaction aux attentats. Pas du tout. J’ai fait Le Chat parce que ma fille venait de naître. Comme je n’avais pas l’intention de lui donner une éducation religieuse, j’ai souhaité écrire un petit conte pour lui raconter d’où je venais et ce que j’avais compris de l’enseignement que j’avais reçu. Je m’aperçois aujourd’hui que ce récit traditionnel n’en finit pas de devenir contemporain. A chaque fois que je me dis que je vais arrêter avec mes récits de religion, ça ne cesse de revenir. Et je trouve que c’est douloureux. Sur la couverture du tome 7, les personnages sont à l’extérieur, il fait froid. Ils regardent quelque chose et ont très peur. Ce qu’ils regardent, c’est le monde à l’extérieur du livre, le réel. Et cela ne leur plait pas. Je pose la question un peu grave de la survie d’un personnage imaginaire dans un monde qui est très dur.
"J’ai fait Le Chat parce que ma fille venait de naître"

Dans La Tour de Bab-El-Oued, il y a une phrase intéressante du Chat à ce sujet: "C’est trop de conneries dans le vrai monde, alors tu t’évades dans la légende".

C’est toute la question du récit imaginaire et de sa pertinence. Quand il s’éloigne trop du vrai monde, il ne sert à rien et quand il est trop dedans, on perd la magie. Il y a une distance délicate à trouver entre ce que l’on voit et ce que l’on va raconter. Un récit moral comme Le Chat du Rabbin doit se passer dans un autre monde, mais il faut que ce qui arrive aux personnages parle de ce qui nous arrive tous les jours. C’est une question ouverte à chaque case: comment faire pour que ça reste pertinent aujourd’hui?

A la fin de l’album, vous annoncez un huitième tome...

Je l’ai déjà commencé! Il s’intitulera Petit panier aux amandes et sera centré sur Zlabya [la maîtresse du Chat, NDLR] et sa meilleure amie Knidelette. Zlabya, c’est un biscuit au miel et à l’orange et Knidelette, c’est un petit panier aux amandes. Ce sera un vaudeville et ça parlera de condition féminine. Zlabya veut travailler et ça ne tombe pas sous le sens à cette époque-là. Il devrait sortir à la rentrée 2018.

Le Chat du Rabbin, tome 7, La Tour de Bab-El-Oued, Dargaud, collection Poisson Pilote, 80 pages, 14,99 euros.

Jérôme Lachasse