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Culture

Cavanna l'indigné voulait "rire et faire rire"

François Cavanna en 2008. L'écrivain est mort mercredi 29 janvier à 90 ans.

François Cavanna en 2008. L'écrivain est mort mercredi 29 janvier à 90 ans. - -

Le fondateur d'"Hara Kiri" et "Charlie Hebdo" est mort mercredi à 90 ans. Retour sur le parcourt d'un tendre indigné.

Il était indigné avant que ce ne soit à la mode. Mais pour ce fils de maçon italien, rescapé du STO, ce qui comptait c'était de rire. De l'aventure Hara Kiri puis Charlie Hedbo, il disait: "Ce qui nous tenait au ventre avant tout, ce n'est pas une espèce de doctrine, non, c'était de faire rire. Rire et faire rire."

Le romancier et journaliste s'est éteint mercredi soir, à l'âge de 90 ans. Que reste-t-il de "l'un des derniers honnêtes hommes de ce siècle pourri", comme le disait Desproges? Une silhouette familière et bienveillante. Des romans autobiographiques ou non, (Les Ritals, sur son enfance, Les Russkofs, sur le STO, Lune de Miel, sur sa maladie de Parkinson, cette "salope infâme"), de nombreux recueils de chroniques (Coup de sang, Et le singe devint con).

Et quelques coups de gueule aussi, qui ont fait les riches heures d'émissions comme Apostrophes ou Droit de réponse, où il aura promené sa silhouette dégingandée et ses éternelles bacchantes pendant des années.

"Bukowski ta gueule, tu nous enquiquines"

Cavanna, c'était l'époque où les écrivains se beurraient sur les plateaux télé, une époque où l'ambiance était un peu moins policée qu'aujourd'hui. En 1978, chez Bernard Pivot, qui animait l'émission littéraire Apostrophes, Cavanna tente en vain d'avoir une conversation avec le psychiatre Gaston Ferdière.

L'écrivain américain Charles Bukowski, comme toujours complètement ivre, ne cesse de grommeler. Pivot tente un diplomatique "shut up" et Cavanna, excédé, finit par lâcher "Bukowski ta gueule, tu nous enquiquines", puis "Bukowski je vais te mettre mon poing dans la gueule".

"Ils discutent de conneries à perte de vue"

"Si les gens vivent leurs tristes vies de cons dans ces mornes pays de cons, c’est parce qu’ils ont la trouille. Il leur faut la Sécurité, le Confort et la Dignité. Voilà ce que je pensais. Ils n’aiment pas se fatiguer, ils bouffent comme des vaches, ils boivent l’apéro, ils discutent de conneries à perte de vue, ils jouent aux courses, ils s’intéressent au football, ils prennent du bide sans se dégoûter d’eux-mêmes, ils s’en foutent d’être moches répugnants mous dégueulasses pourvu qu’ils aient une cravate, de se faire chier dix heures par jour et toute la semaine et toute la vie pourvu qu’ils aient la paye et le cinoche avec Maimaine le samedi." écrivait-il dans Les Ritals, en 1978

"Si on n'était plus lus, c'est qu'on ne plaisait plus aux lecteurs"

Cavanna, c'était aussi l'époque où l'on fumait comme des pompiers sur les plateaux. On buvait aussi. Renaud était jeune, Jean-François Kahn déjà chauve. Dans un inoubliable Droit de réponse, l'émission animée par Michel Polac, consacrée en janvier 1982 à la disparition de Charlie Hebdo, le ton monte de façon assez attendue entre Siné, Cavanna, et Choron d'un côté, et Jean Bourdier, journaliste à Minute, de l'autre.

Très potaches, les membres de Charlie Hebdo ne cessent d'invectiver Bourdier. "Suce, salope", lance ainsi Siné. On aperçoit sur ce plateau assez mythique, Gainsbourg, Renaud, Desproges, Wolinski, Berroyer...

"L'anticonformisme ça ne se fabrique pas"

"Je n'ai jamais vu que je sois spécialement irrespectueux ou anticonformiste. J'en ai jamais eu conscience et ça n'a jamais été délibéré", confiait François Cavanna lors d'un entretien avec Jacques Chancel.

"Finalement je me rends compte que moi et mes amis on est la plupart du temps en porte-à faux. Alors c'est assez bizarre, ça nous fait tout drôle, on se retrouve anticonformistes sans l'avoir jamais cherché. Moi j'ai plutôt l'impression que c'est l'immense majorité des gens qui sont non conformes. Ceux qui essaient d'être conformes, ceux-là se retrouvent être anticonformistes par rapport à monsieur Tout-le-monde. Mais ils ne l'ont pas fait exprès. L'anticonformisme ça ne se fabrique pas", disait-il.

"Ce qui nous tenait au ventre, c'était rire et faire rire"

Dans un entretien accordé à Patrick Simonin, en décembre 2012 sur TV5 Monde, Cavanna apparaît un peu diminué. Il s'exprime plus difficilement, mais il n'a rien perdu de sa verve. Son enfance, Dieu, la fondation d'Hara Kiri, il évoque sa vie avec humour. Il y regrette notamment l'évolution de Charlie Hebdo.

"J'aurais voulu que Charlie Hebdo retrouve cette méchanceté. Il est méchant. Mais il est uniquement politique. Pour moi, la politique n'est pas essentielle. c'est l'un des aspects de ma vie sociale, mais il y a de tout. Il faudrait des humoristes, des vrais humoristes, avec des idées, comme avait Desproges".

"Il était comme ça Cavanna"

"Pour son dernier repas à l'hôpital, sachant qu'il allait mourir, il a commandé des saucisses et une bière. Il était comme ça, Cavanna", raconte le journaliste Denis Robert dans Le Monde, qui a réalisé un film d'entretien avec lui.

Pour finir, une dernière précision de l'équipe de Charlie Hebdo.

Cavanna n'est pas décédé, il est juste parti péter la gueule à la mort. Il revient tout de suite.
— Charlie Hebdo (@Charlie_Hebdo_) 30 Janvier 2014
Magali Rangin