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"On ne peut pas tout imposer en même temps": Faustine Fleuret (ADAN) réclame une règlementation "progressive"

La présidente de l'Association pour le développement des actifs numériques (ADAN) a réagit à l'entretien d'Aurore Lalucq sur BFM Crypto.

Quelle est votre réaction générale aux propos d’Aurore Lalucq sur l’écosystème des cryptomonnaies?

Faustine Fleuret, présidente de l'ADAN: plusieurs affirmations posent question voire sont erronées et irrespectueuses de l’écosystème et des acteurs qui ont déjà fait des efforts considérables pour aller vers la réglementation et notamment en France. Dire que l’enregistrement n’a pas eu de conséquences sur les pratiques des marchés, et que les PSAN (prestataires de services sur actifs numériques) entretiennent une ambiguïté sur cet enregistrement, sont tout aussi faux que stigmatisants pour eux. Par ailleurs, il serait souhaitable que nos représentants politiques ne fassent pas l’amalgame entre des utilisateurs anonymes sur Twitter et les professionnels sérieux qui tentent de construire une industrie européenne forte des crypto-actifs.

La députée européenne souhaite appliquer "aux crypto-actifs les mêmes standards que ceux exigés dans le milieu de la banque et de la finance": qu’en pensez-vous?

Encadrer le secteur comme la finance traditionnelle signifie assimiler la crypto à la finance, ce qui est erroné pour plusieurs raisons. D’abord, cela revient à qualifier tous les crypto-actifs comme des actifs financiers. Or, ils ne le sont pas tous, regardez notamment la plupart des NFT, qui peuvent aussi bien représenter une œuvre d’art qu’une épée dans un jeu vidéo. Le périmètre de MiCa (le projet de règlement européen "Markets in Crypto-Assets"actuellement en discussion, NDLR) doit être limité aux cas d’usage “financiers” et ne doit pas aller au-delà. Par ailleurs, la taille, la maturité, le fonctionnement, la chaîne d’intermédiation et les risques des activités crypto n’ont rien à voir avec la finance traditionnelle. Encadrer de la même manière la crypto et la finance met ainsi de côté toutes les spécificités - et surtout les opportunités - de l’industrie des crypto-actifs.

Pouvez-vous nous donner un exemple?

Par exemple, de façon inhérente, la finance traditionnelle est beaucoup moins transparente que le secteur crypto qui s’appuie sur les registres des réseaux blockchain, ouverts et accessibles à tous. Enfin, MiCa est une réglementation dédiée à la crypto-finance centralisée, et n’est en ce sens pas adaptée en l’état à la finance décentralisée. Contrairement à ce que laisse entendre les propos de la députée, les acteurs de la finance décentralisée (DeFi) ne sont pas contre la réglementation, ils se préparent même au contraire à être encadrés. Ils alertent en revanche sur la volonté de déployer une réglementation inadaptée, copiée-collée. Certes, la DeFi doit rentrer dans l’Etat de droit, mais avec des règles proportionnées et qui n’annihilent pas tous les bénéfices de ces applications inclusives et totalement transparentes.

"Le juste équilibre entre protection et innovation n’est pas atteint"

Entendez-vous l’argument utilisé par les régulateurs, qui veulent protéger les particuliers et investisseurs?

La règlementation est nécessaire à de nombreux égards: protection des investisseurs, stabilité des marchés, outil de différenciation des acteurs vertueux de ceux qui ne sont pas sérieux, harmonisation de la réglementation européenne, passeportage. Pourtant nous regrettons que cette règlementation européenne se concentre exclusivement sur l’encadrement des risques et fasse entièrement l’impasse sur les passerelles permettant d’exploiter toutes ses opportunités au bénéfice de l’objectif visé par la réglementation. Il n’y a pas de doute sur le fait qu’il faut de la réglementation, pour toutes les vertus susmentionnées. Cela semble difficile d’envisager une adoption massive des crypto-actifs sans une réglementation qui garantisse la confiance. Cependant, le juste équilibre entre protection et innovation n’est pas atteint, et des améliorations doivent être trouvées sur Mica et TFR (pour "Transfer of Funds Regulation" qui vise à appliquer des mesures contre le blanchiment d'argent, NDLR).

Quelles sont vos propositions en ce sens?

D’une part, l’industrie crypto est un secteur jeune, il faut en tenir compte pour que la règlementation soit réaliste et adaptée à ce secteur. Selon la maturité des secteurs, on peut envisager des exigences évolutives, en évitant les règles si lourdes qu’elles conduiraient simplement à tuer les petites entreprises européennes. Par exemple, les règles de fonds propres sont les mêmes pour tous les acteurs: on pourrait niveler le niveau de fonds propres en fonction de la taille des entreprises ou de l’ampleur de leur activité, certaines ayant plus de poids que d’autres. Par ailleurs, l’Europe s’est inspirée de la règlementation financière MIF2 pour construire MiCA, ainsi que des textes sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT). Cette approche est compréhensible de prime abord mais ne permet pas de tenir compte des instruments inédits qui existent sur le marché des crypto-actifs, des opportunités notamment technologiques qui vont permettre d’atteindre les objectifs visés sans que des règles sévères ne soient nécessaires. Par exemple, si l’on prend un sujet comme LCB-FT, il existe des outils d’analyse transactionnelle qui permettent de retracer et noter les transactions en fonction de leur niveau de risque. Ce sont des outils dont on pourrait se servir dans le cadre existant afin d’optimiser des règles alors obsolètes de la réglementation traditionnelle. Cela sera bénéfique tant pour l’efficience de cet encadrement que pour la mise en conformité des acteurs à des règles qui ont du sens. Sur tous ces sujets, l’Adan réfléchit avec les acteurs de terrain à des propositions alternatives, que nous sommes tout à fait ouverts à discuter avec les décisionnaires européens.

Plus précisément, dans le cadre de Mica, les activités de minage vont être intégrées à la taxonomie à partir de 2025: comment l'avez-vous acceuilli?

Cette approche est la plus pragmatique, juste et incitative car elle traite de façon équitable - via la Taxonomie européenne - les activités financières et les activités de minage. Elle donne ainsi une chance aux acteurs d’évaluer leur impact sur l’environnement - plutôt que de les qualifier par principe de “polluants” - et de contribuer aux objectifs environnementaux de l’Union européenne. Si cette proposition est entérinée dans la version finale de MiCA, il faudra toutefois définir clairement le périmètre des acteurs du minage concernés, et quels critères établir pour estimer si le minage contribue aux objectifs environnementaux de l’Union européenne

Quel est votre principal combat sur TFR ?

D’une manière générale, notre association fait preuve d’une grande vigilance concernant l’application de la travel rule aux unhosted wallets. Ces dispositions posent des questions en termes de mise en conformité pratique à ces règles par les acteurs, et surtout de proportionnalité. Certaines propositions créeraient des obligations qui n’étaient même pas prévues dans les recommandations du GAFI, l’organisme international de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ces obligations additionnelles mèneraient à ce que les acteurs européens soient les seuls à devoir respecter ces règles, au détriment de leur compétitivité et sans preuve d’un besoin réel au regard des risques. De même, en ce qui concerne la suppression de l’exemption des 1000 euros, nous ne comprenons pas pourquoi le Règlement devrait s’appliquer à tous les transferts de crypto-actifs, quel que soit le montant, alors qu’une telle obligation n’est pas prévue pour les transferts de fonds traditionnels. Argument notamment avancé, le smurfing existait avant l’apparition des crypto-actifs et correspond à une partie marginale des transactions illicites.

Pensez-vous que d’autres directives européennes vont être rouvertes pour "y intégrer la question des crypto actifs"?

Il semble évident que certains textes seront probablement rouverts, je pense par exemple aux règles prudentielles (Comité de Bâle) ou encore sur les exigences en matière d’informations environnementales des activités (corporate sustainability due diligence). Notre inquiétude, c’est que si on veut appliquer d’autres réglementations aux acteurs cryptos, on ne peut pas tout imposer en même temps, il faut être graduel et progressif. A défaut, le risque serait de décourager les acteurs de s’établir en Europe et de les pousser vers des juridictions plus adaptées à leur activité.

"Nous souhaitons une vraie impulsion politique favorable à l’endroit des acteurs crypto"

Est-ce déjà le cas?

Oui, il y en a qui se renseignent sur l’encadrement à l’étranger. Mais cela n’est pas nouveau: à l’automne 2020 nous avions réalisé une enquête sur les problèmes de bancarisation des acteurs crypto en France: 64 % des répondants considéraient voire envisageaient très sérieusement un déménagement de leur activité. Les perspectives qui se dessinent vont certainement concrétiser les doutes de ces acteurs.

Qu’est-ce qui sera en jeu lors du trilogue de ce jeudi ?

Tant sur MiCA que sur TFR, l’ambition au niveau européen est de finaliser ces textes avant l’été. Il y aura donc beaucoup de débats entre fin avril et début juin pour aller le plus vite possible malheureusement. Aller vite est regrettable si à la fin, nous n’aboutissons pas à des règles adaptées et efficaces et si l’on ne s’assure pas auprès des entreprises de la pertinente et de l’impact de celles-ci. Aussi, si l’entrée en application de MiCA est trop rapide, les acteurs auront du mal à mettre cela en place, et les régulateurs et les superviseurs ne seront pas totalement opérationnels pour assurer que les autorisations soient délivrées en temps voulu et que les acteurs en non-conformité soient appréhendés et empêchés d’opérer de façon déloyale en face des entreprises qui suivent les règles du jeu européen. In fine, ce ne seront pas que les acteurs qui seront pénalisés, c’est l’Europe dans son ensemble. Il faut absolument une mise en place concomitante de la supervision et de la régulation.

Emmanuel Macron a été réélu président de la République. Dans le cadre de son nouveau mandat, sur quels sujets le gouvernement devrait davantage s’impliquer?

En tant que candidat, il était plutôt ouvert à la discussion sur les sujets crypto, cela nous semble donc être une bonne nouvelle pour avancer. Nous avions déjà plusieurs projets pour avancer avec le gouvernement précédent, le nouveau devrait s’inscrire dans cette continuité et préserver ces ambitions-là, c’est en tout cas ce que nous espérons. Nous souhaitons une vraie impulsion politique favorable à l’endroit des acteurs crypto. Qu’ils soient inscrits au coeur de la stratégie française en matière de souveraineté numérique. Du point de vue de la souveraineté monétaire, il faut absolument encourager dès à présent le développement de stablecoins euro en France, et pas que l’on compte uniquement sur un euro numérique plus tard. Il faut résoudre les multiples écueils associés au financement de l’industrie, ses relations difficiles avec les acteurs bancaires et financiers traditionnels, les défauts de supervision du régime PSAN. Si dans 5 ans, le gouvernement ne s’est pas saisi de l’enjeu de développer une industrie forte et compétitive en France, il sera trop tard. L’Adan sera présente pour accompagner ces actions.

Pauline Armandet