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Quand la Banque centrale européenne attaque (maladroitement) le bitcoin

Plusieurs experts du bitcoin ont pointé les incohérences de la BCE dans une tribune publiée ce jeudi sur la reine des cryptomonnaies.

Depuis plusieurs années, la Banque centrale européenne (BCE) n’a de cesse de critiquer le bitcoin. Mais depuis que l’autorité a lancé sa phase d’expérimentation d’un euro numérique, en novembre, ses attaques sont de plus en plus virulentes. La dernière en date: cette tribune publiée ce jeudi 22 février par deux membres du service infrastructure de marché et paiements de l'autorité, Ulrich Bindseil et Jürgen Schaaf.

Cette fois, il n’est pas question de faire reposer sur les épaules du bitcoin la chute de l’ex-géant des cryptos FTX, mais de démontrer son échec ainsi que sa dangerosité alors que l'actif s’échange au-dessus des 50.000 dollars. "Pour la société, un nouveau cycle d’expansion et de récession du Bitcoin est une perspective désastreuse. Et les dommages collatéraux seront énormes, y compris les dégâts environnementaux et la redistribution ultime des richesses", peut-on lire.

"Pratiquement pas utilisé pour les paiements"

Or, plusieurs incohérences qui figurent dans cette tribune ont été pointées par des experts du bitcoin. D’une part, la BCE soutient que malgré sa création il y a 15 ans, le bitcoin reste peu utilisé comme moyen de paiement.

Aujourd’hui, "les transactions Bitcoin restent peu pratiques, lentes et coûteuses. En dehors du darknet, la partie cachée d’Internet utilisée pour des activités criminelles, il n’est pratiquement pas utilisé pour les paiements", pointe la BCE.

À l'heure actuelle, le bitcoin est déjà utilisé pour payer, son utilisation variant d'un utilisateur à l'autre en fonction de ses besoins (car ne disposant pas d'un compte bancaire, pour protéger sa vie privée, pour transférer de la valeur dans un autre pays etc.). Par exemple, dans un pays comme le Salvador, qui a adopté le bitcoin comme monnaie légale en septembre 2021, il est plus simple de payer en bitcoin qu'ailleurs.

De même, au début de l'année 2024, la barre des 10.000 commerçants dans le monde acceptant le bitcoin a été franchie, selon les données du site spécialisé BTC Map. Payer en bitcoin en évitant les obstacles de sa blockchain (lenteur et coût de la transaction) est également possible en utilisant le système dit de Lighting Network (voir notre article: on a payé une boisson en bitcoin dans un commerce en France avec le Lightning Network).

Enfin, l'on constate une augmentation du recours à des cartes de paiements cryptos qui permettent de payer n'importe quel service en France, avec ses cryptomonnaies.

Lien avec les activités illicites

Autre reproche de la BCE: le bitcoin est la monnaie par excellence du financement des activités illicites. Le BCE souligne que les activités illicites financées en bitcoin augmentent, en se basant sur un rapport de Chainalysis. "Le titre du rapport est littéralement 'L'activité illicite diminue'. On nous dit que l'activité augmente alors qu'elle diminue", remarque Alexandre Stachtchenko, auteur, conférencier et expert crypto indépendant sur Bitcoin et les actifs numériques.

"La réponse est assez simple, les auteurs de l'article prennent l'année de référence précédente (2022) par rapport à celle d'encore avant (2021). Pourquoi? Parce que cela sert leur discours. Entre 2021 et 2022, l'activité illicite a progressé (en valeur, pas nécessairement en proportion). Entre 2022 et 2023, elle baissé", précise ce dernier.

De même, Chainalysis ne cite à aucun moment bitcoin comme seule cryptomonnaie ayant contribué au financement des activités illicites, mais bien l’ensemble du marché crypto. Par ailleurs et pour rappel, seulement 0,24% des transactions de l'ensemble des cryptomonnaies en 2022 (contre 0,12% en 2021) étaient associées à une activité illicite, selon le dernier rapport de Chainalysis sur la criminalité financière.

Il convient donc de nuancer l'utilisation des cryptomonnaies dans le cadre d'activités illicites, bien qu'il s'agisse d'un outil supplémentaire au même titre que l'argent liquide. Par ailleurs, de moins en moins de criminels ont recours aux cryptomonnaies qui sont traçables sur des blockchains publiques, à l'instar du bitcoin, comme l'a déclaré le colonel Nicolas Duvinage.

Accroître la réglementation

Enfin, la BCE considère que les projets de règlementations des cryptomonnaies, notamment MiCa (pour Market in Crypto Assets) qui entrera en vigueur en Europe cette année, ne vont pas assez loin. L’autorité en profite pour émettre l’idée d’une règlementation de bitcoin.

"Le réseau Bitcoin dispose d’une structure de gouvernance dans laquelle des rôles sont attribués à des individus identifiés. Compte tenu de l’ampleur des paiements illégaux utilisant Bitcoin, les autorités pourraient décider de les poursuivre en justice. La finance décentralisée peut être réglementée avec autant de force que le législateur le juge nécessaire", peut-on lire.

D'une part, pour le code de Bitcoin les individus sont identifiés, "mais pas du tout sur l'acceptation de changements dans le réseau Bitcoin, qui sont acceptés ou non (à la majorité) par les mineurs qui ne sont pas des individus identifiés", pointe de son côté l'expert bitcoin Renaud Lifchitz. D'autre part, la blockchain Bitcoin n'a rien à voir avec la finance décentralisée (DeFi), l'argument de la BCE tombant à l'eau.

Pauline Armandet