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"On s'appelle les soldats de Satoshi": plongée au coeur des bitcoiners maximalistes français

Au sein de la communauté bitcoin existe le mouvement dit des bitcoiners maximalistes. BFM Crypto est allé à leur rencontre pour comprendre leurs réflexions et leurs revendications.

Fin août à Biarritz s’est tenue la grand-messe des passionnés de cryptomonnaies, connue sous le nom de Surfin’ Bitcoin. Lancée il y a trois ans, l’édition qui regroupait au départ beaucoup d'adeptes du bitcoin a fini par s’ouvrir à d’autres profils. Juste avant cette édition, son organisateur a réalisé un sondage pour connaître les profils des participants, que BFM Crypto a pu consulter.

Sur les 768 réponses, 69% s'estiment "crypto-enthousiastes", 24,7% bitcoin maximalistes, le reste étant des "crypto-curieux". S’il ne s’agit que d’un sondage qui n'est pas nécessairement représentatif de l'ensemble des détenteurs de cryptos, ce chiffre met en évidence une tendance au sein de la communauté bitcoin, dite des bitcoiners maximalistes. D'où vient-elle? Qui sont vraiment les bitcoins maximalistes français? Quelles sont leurs revendications? BFM Crypto a mené l’enquête.

Le terme "bitcoin maximaliste" a été évoqué pour la première fois en 2014 par Vitalik Buterin, le co-fondateur de la blockchain Ethereum, dans un article posté sur son blog. Il s'est attaché à donner une définition du maximalisme du bitcoin

C'est "l'idée qu'un milieu de multiples cryptomonnaies concurrentes est indésirable, qu'il est mal de lancer 'encore un autre jeton', et qu'il est à la fois juste et inévitable que la monnaie bitcoin en vienne à atteindre une position de monopole sur la scène des cryptomonnaies", peut-on lire.

Dans sa définition la plus simple, on pourrait dire qu'un bitcoin maximaliste est une personne pour qui le bitcoin est la seule cryptomonnaie qui vaille face aux autres cryptomonnaies qu'ils qualifient d'altcoins (ou "shitcoins" de manière moins polie). Mais en creusant le sujet, on se rend compte que la définition est plus complexe.

Une "révolution monétaire"

"Il y a autant de bitcoiners maximalistes que de personnes qui vont répondre à cette question. C’est impossible de faire des raccourcis. Même moi, je n’ai pas la même définition que mon propre associé. Pour moi, le maximaliste bitcoin, c’est de dire que la vraie révolution de rupture c’est la révolution monétaire qu’apporte bitcoin. Je suis convaincu que Bitcoin deviendra un étalon monétaire mondial, il ne faut pas comparer bitcoin aux autres cryptomonnaies mais plutôt aux monnaies fiat ou à l’or", considère Jonathan Hercovici, patron de StackinSat et organisateur Surfin’Bitcoin.

On notera ici que la plupart des maximalistes parlent de Bitcoin (avec une majuscule), sans jamais placer "le" ou "du" devant.

En France, difficile de dire combien il existe précisément de bitcoiners maximalistes, tant les définitions sont larges. D'autant que si certains l'admettent volontiers publiquement, d'autres préfèrent rester discrets. D’un point de vue sociologique, "c’est une tendance qui n’est pas structurée et qui ne pourrait pas le devenir. C’est assez conforme à l’objet Bitcoin, les gens qui la soutiennent sont sans hiérarchie", glisse Yorick de Mombynes, haut fonctionnaire qui est tombé dans le bain des cryptomonnaies depuis plusieurs années. Au départ vu comme un intru en raison de son statut, il a réussi a gagner en légitimité au point qu’un hashtag a été créé en son nom, "Yorick2027". Si ce hashtag le fait rire, il explique ne l’avoir ni lancé ni encouragé.

Ce dernier a rejoint une communauté qui s’est agrandie au fil des années. Gilles Cadignan, co-fondateur de la startup Woleet, est sans doute l’un des représentants les plus actifs dans la communauté. Ce dernier découvre par hasard les cryptomonnaies en 2013, en regardant une émission d'Envoyé spécial où une cryptomonnaie était utilisée pour réaliser des paiements sur le dark web: le bitcoin. Il commence alors à miner des cryptomonnaies chez lui, fait du trading mais s’ennuie assez vite. "C’est plus sympa de jouer au poker", dit-il en plaisantant.

"Bitcoin est vraiment différent"

Au final, il décide de se plonger dans la technique. "Plus je rentre dans la technique, plus je vois que Bitcoin est vraiment différent des autres cryptomonnaies", estime-t-il. C’est en 2017 qu’il se revendique bitcoin maximaliste lors du débat sur le protocole bitcoin, qui a partagé la communauté en deux camps, où il décide finalement de rejoindre celui de ceux qui ne voulaient pas modifier le protocole.

"Il y avait les acteurs qui étaient les plus à même de changer les règles et malgré leur positionnement ils n'y sont pas arrivés, ça m’a fait comprendre que Bitcoin était vraiment particulier", avoue-t-il.

"Plein de gens sont maximalistes pour des raisons monétaires et économiques, moi je ne viens pas de là: je viens de la technique. Je vois Bitcoin comme un élément primitif nouveau qui permet d‘envoyer de la valeur sans aucun intermédiaire, sans possibilité de censure", précise-t-il.

"J’ai connu Bitcoin début 2017 sous l’angle du trading, je ne m'intéressais pas à la philosophie et aux principes monétaires derrière Bitcoin, je le voyais comme un actif diversifiant dans mon allocation de portefeuille", explique de son côté Jonathan Hercovici. Après une période de “blockchain bullshit” de quelques mois comme il le décrit lui-même, ce dernier devient maximaliste à la suite de l’avènement des projets de monnaies digitales des banques centrales (MDBC ou CBDC en anglais) en octobre 2019. "Selon moi, les CBDC sont la meilleure publicité pour Bitcoin. C’est tellement un outil potentiellement très dangereux pour le peuple que Bitcoin a toute sa place", pense-t-il.

"Au départ, j'ai ‘shitcoiné’"

"Au départ, j’ai ‘shitcoiné’. C’est comme ça que l’on fait ses armes, ses premières expériences, en commettant beaucoup d’erreurs. Au fur et à mesure que j’avançais dans la jungle des cryptomonnaies, j’étais de plus en plus déçue par rapport à certains projets, qui paraissaient pourtant solides, précurseurs, prometteurs… mais qui par avidité de leurs créateurs ont échoué", explique Camélia M., qui s'est mise à miner des cryptomonnaies toute seule chez elle dès 2016. Il s'agit de l'une des rares femmes de cette communauté.

C'est après une soirée avec des bitcoiners maximalistes il y a quelques mois, qu'elle plonge vraiment dans cette communauté.

"Les discussions étaient assez techniques. C’est une communauté érudite. Ce qui a renforcé mes convictions sur Bitcoin, c’est aussi ces périodes de bear market (marché baissier, NDLR), avec cette avalanche de projets qui tombaient à l’eau. J’étais confrontée à l’évidence qu’il n’y avait que Bitcoin qui restait solide et maître à bord. Le groupe de maximalistes bitcoin est comme une famille. La communauté crypto francophone est une grande famille et les bitcoiners, c’est l’une des branches de l’arbre généalogique qu’est la grande communauté crypto", explique-t-elle.

"Il y a un cheminement qui se fait"

Le constat que font la plupart des bitcoin maximalistes, c'est que le bitcoin les a changés, et pas l'inverse.

"Mon rapport au bitcoin s’affine avec le temps. A mon début de maximaliste, je ne voulais pas dépenser mes bitcoins, maintenant je pense qu’il faut dépenser du bitcoin et il faut en gagner et en épargner. Là par exemple, je cherche activement des moyens de gagner du bitcoin", explique Gilles Cadignan.

De son côté, Stéphanie Camélia Maachi considère mieux comprendre les rouages du système financier traditionnel.

"Avant je ne m’y intéressais pas forcément. Ce qu’on apprend à l’école est très sommaire: Qu’est-ce que l’inflation? Comment fonctionnent notre système monétaire et sa politique? Ces questions-là je ne me les posais pas. Puis quand tu t’intéresses au bitcoin, tu y es directement confronté. Il y a un cheminement qui se fait et tu prends conscience de ce qu’il se passe vraiment dans notre société. Chez les bitcoiners maximalistes d’ailleurs on parle souvent du ´fiat système’ (les monnaies officielles, NDLR). Comme pour évoquer l’ancien monde, un monde d’injustices et de surveillance constante, un monde qui nous prédit un avenir assez sombre… Un monde qui ne fonctionne plus, voué à l’échec", considère cette dernière.

"Pas une secte de fanatiques"

Certains maximalistes peuvent adopter des codes ou des comportements culturels presque religieux du fait leur appartenance à cette communauté, comme le fait de manger exclusivement de la viande. Si c’est un acte politique pour certains, c’est une private joke pour d’autres.

"J’ai participé à des barbecues de bitcoiners radicaux et l’ai constaté moi-même: ce n’est pas une secte de fanatiques plantant des aiguilles dans une poupée de Vitalik Buterin en dévorant des chatons vivants", plaisante Yorick de Mombynes.

Certains commencent aussi à avoir des préférences vestimentaires spécifiques. En 2020, Stéphanie Camélia Maachi a lancé avec son frère la Maison Maachi, où ils réalisent des créations avec des artisans français, situés à Lyon et Paris. Au départ, la marque n’était pas forcément destinée à la communauté crypto. "Certains de la communauté ont joué le jeu, puis d’autres non. Un jour un maximaliste (et pas des moindres) nous a demandé de l’habiller pour la présentation de son workshop qui avait lieu lors de l’édition Surfin’bitcoin 2022", se souvient-elle. Depuis, elle et son frère habillent une vingtaine de bitcoiners maximalistes. A terme, ils aimeraient bien tisser des liens avec la communauté américaine.

"On s’appelle entre nous les soldats de Satoshi"

Au delà de certains comportements que certains adoptent de manière radicale et d'autres non, les bitcoins maximalistes se sentent surtout investis d’une mission vis-à-vis du bitcoin. "Je pense que la plupart des projets concurrents de Bitcoin échoueront, mais ils auront offert à Bitcoin de la recherche gratuite, financée par les sceptiques du Bitcoin", pense Yorick de Mombynes.

"L’ensemble des bitcoiners pensent qu’il faudrait séparer la monnaie de l’Etat. Bitcoin c’est la monnaie du peuple, par le peuple, pour le peuple. Bitcoin a vraiment le potentiel de changer la vie des gens", considère Jonathan Hercovici, fondateur et patron de StackinSat. Quasiment tous ses salariés sont bitcoin maximaliste, "c’est presque un critère de recrutement chez SatckinSat! Il y avait quelques shitcoiners qui sont devenus maximalistes chez nous car ils ont compris les valeurs et la mission derrière Bitcoin. Ils sont devenus maxi en étant avec nous. Ils se sont en quelque sorte bitcoinisés", ajoute-t-il.

"Aujourd’hui, je suis dans une autre dimension et quand je vois la passion de mes salariés, dans aucune boîte tu vois ça. C’est presque un peu religieux. Nous sommes là pour une mission commune. On s’appelle entre nous les soldats de Satoshi (en référence à Satoshi Nakamoto, le fondateur du bitcoin en 2009, NDLR). Nous avons tous un objectif commun: celui de faire en sorte que Bitcoin soit le plus adopté", explique-t-il.

Pour lui, l'avenir de leur "mission", c'est de sauver les pays qui souffrent de problématiques monétaires en commençant par ceux du continent africain.

"La stratégie, c’est d‘aller là où il y a les vrais problèmes avec la monnaie et le transfert de valeur entre acteurs économiques. En Centrafrique par exemple, ils paient en mobile money, ce qui n’est absolument pas adapté pour les paiements (La Centrafrique a adopté le bitcoin comme monnaie légale en avril, NDLR). Ces populations ont tous les réflexes pour adopter Bitcoin facilement, notre objectif c’est de proposer des solutions de paiement d’ici 3 à 5 ans dans certains pays africains", explique ce dernier.

Car les bitcoiners maximalistes français ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin. Les rencontres commencent d'ailleurs à se multiplier. Le rendez-vous au Sof's bar, chaque premier mercredi du mois à Paris, prend de l'ampleur. Les anciens bitcoins maximalistes laissent d'ailleurs la place à de petits nouveaux, et d'autres rencontres s'organisent à Paris et ailleurs en province, comme à Rennes ou Lyon.

A côté de ces rencontres physiques, les bitcoiners maximalistes aiment aussi se parler sur des groupes privés et sur les réseaux sociaux.

"J’ai commencé à me détacher de la sphère maximaliste"

Au sein de cette communauté, il existe une frange marginale mais aussi plus radicale , celle dite des bitcoiners maximalistes dits "toxiques" (ou "toxic"). Certains "toxiques" adhèrent clairement aux théories du complot et utilisent les réseaux sociaux de manière agressive. Certains bitcoiners maximalistes ont d'ailleurs décidé de quitter la communauté, qu'ils considéraient comme trop agressive.

"J’ai commencé à me détacher de la sphère maximaliste à partir de l’ICO ("initial coin offering" ou première émission de jetons, NDLR) d’Ethereum. Je l’ai vu comme un protocole intéressant, comme un vrai projet qui avait de l’ambition et je me rappelle que les toxic utilisaient de mauvais arguments pour défendre leur paroisse, alors qu’ils auraient pu être complémentaires. C’était d’ailleurs peut-être de la rancoeur (liée à la crainte, NDLR) de voir Ethereum dépasser un jour Bitcoin. Je n’ai pas hésité un moment à rejoindre les maximalistes ceci dit sur certaines luttes", explique celui qui se fait appeler Slashbin sur Twitter.

Ce dernier connaît d'ailleurs très bien l'écosystème crypto, puisqu'il a découvert le bitcoin dès 2009. "Je me sens maximaliste de la cryptographie et de la décentralisation, pas fermé à autre chose que Bitcoin. Mais pour l'instant Bitcoin me semble le plus résistant à la censure mais pas le plus ouvert au monde que j'attends", glisse ce dernier.

Cette toxicité s'exprime notamment sur les réseaux sociaux. La député européenne Aurore Lalucq, qui veut imposer les "même standards de la banque" aux cryptomonnaies, est régulièrement la cible de trolls sur les réseaux sociaux, parmi lesquels figurent aussi des "toxic". Sur Twitter, les "toxic" ne se définissent d'ailleurs pas comme tels et il peut s'agir de comptes avec moins de 10 abonnés.

"Plus ils sont fébriles, plus ils sont agressifs"

"L’aggressivité des bictoins maximalistes est particulièrement forte lors des moments de crise, tout simplement parce qu’ils sentent bien que le bitcoin n’est pas une valeur sûre, pas plus que les autres cryptos même s’ils essaient de faire croire l’inverse. Plus ils sont fébriles, plus ils sont agressifs", confie la députée européenne Aurore Lalucq à BFM Crypto.

Certains estiment d'ailleurs que les "toxic" sont un frein à l’adoption du bitcoin, comme l’a déclaré Gloria Zhao, la développeuse de Bitcoin Core, lors de l’édition de Surfin’Bitcoin 2022.

"Le toxic maximaliste a transformé un protocole technique en une vision politique revendicative et noie l’intérêt du protocole dans un brouillon de revendications politiques néfaste à l’adoption", considère Slashbin.

Que pensent les bitcoiners maximalistes des "toxic"? "Je les défends idéologiquement. Je pense que c’est nécessaire d’avoir un spectre très large et (des gens) qui défendent coûte que coûte Bitcoin lorsqu’il est attaqué. Je trouve ça sain d’avoir des gens avec des convictions profondes", souligne Jonathan Hercovici. "Le maximaliste est sans concession de base, il aura des avis tranchés et souvent ils sont considérés par les autres comme toxiques", estime de son côté Gilles Cadignan.

"Les maximalistes trollent pas mal sur Twitter"

"Les maximalistes trollent pas mal sur Twitter. Pour ça ils peuvent être détestés. Souvent ce n’est rien de bien méchant. Leurs remarques sont la plupart du temps pertinentes. C’est un groupe qui mérite à être connu et qui n’est pas aussi agressif et toxic qu’on le prétend. Souvent incompris, ils passent pour des prétentieux qui prétendent tout savoir. Pourtant ce sont des personnes qui pour la plupart ont une certaine expérience technique dans le domaine. Leurs discours et leurs travaux sont très intéressants. Il faut s’y intéresser, dialoguer avec eux", estime Camélia M.

Au final, beaucoup de maximalistes considèrent avoir rejoint une nouvelle famille.

"C’est une communauté bienveillante, il y a de l’entraide, mais aussi du soutien quand ça ne va pas, on se tire vers le haut mutuellement. On apprend de chacun d’entre nous, puis on rigole beaucoup, surtout avec quelques-uns qui sont vraiment de sacrés experts en memes", ajoute cette dernière.
Pauline Armandet