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Disparition d'Émile: son grand-père cité dans une affaire de violences au sein d'une communauté religieuse pour enfants

Le grand-père du petit garçon avait été entendu en 2018 en tant que témoin dans une enquête sur des violences soupçonnées dans une communauté religieuse du Nord où il avait été éducateur. Il était alors lui-même décrit comme "le plus rude de tous".

C’est un axe de travail parmi d’autres. Un axe qui occupe les enquêteurs en charge de "l’affaire Émile" depuis presque neuf mois. Mais cette piste-là est bien plus sensible, puisqu’elle concerne directement le grand-père du petit garçon.

Le samedi 8 juillet 2023, jour de la disparition d’Émile au Vernet (Alpes-de-Haute-Provence), les noms et prénoms des parents, grands-parents, oncles et tantes du petit garçon ont été passés au traitement d’antécédents judiciaires (TAJ). Comme pour toutes les procédures judiciaires, le passage au TAJ est indispensable puisque ce fichier recense les personnes mises en cause et les victimes dans les affaires judiciaires et pénales.

Un nom qui ressort

Le nom du père d’Émile ressort immédiatement. Il a été jugé en mai 2018 au tribunal d’Aix-en-Provence pour des soupçons de violences racistes, du temps où il appartenait au groupuscule d’extrême droite "Bastion Social". Un groupuscule dissout quelques temps plus tard par Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, sur demande d’Emmanuel Macron. Le père d’Émile avait finalement été relaxé dans cette affaire.

Mais ce n’est pas la seule information qui est ressortie du TAJ lorsque les gendarmes ont débuté leurs investigations dans l’entourage du petit garçon. Le passé du grand-père d’Émile a aussi ressurgi. L’homme est cité comme "témoin assisté" dans une affaire judiciaire ancienne. Au premier jour des recherches, c’est une information qui va intéresser les enquêteurs.

"Oui, c’est un élément que nous avons eu tout de suite et qui n’était pas caché. Naturellement, nous avons travaillé dessus et rapidement, nous avons compris que cela n’avait aucun lien avec la disparition de l’enfant", précise à BFM DICI une source qui suit l'affaire Émile depuis la première heure.

"Ce qui lui est reproché n’est pas extrêmement clair. On cherche justement à déterminer ce qui s’est passé à l’époque. L’absence de lien avec la disparition d’Émile est certaine mais c’est ce que cela induit en termes de personnalité qui intéresse aujourd’hui", précise une autre source judiciaire.

Mais qu’est-il exactement reproché au grand-père d’Émile, un homme décrit comme franc, rigoureux et droit par certains, autoritaire, sanguin et colérique par d’autres?

Éducateur dans une communauté religieuse

Pour comprendre la situation, il faut remonter au début des années 90 à Liévin (Pas-de-Calais) lorsque Philippe V. rêve d’embrasser une carrière d’ecclésiastique. Fervent catholique pratiquant et déjà traditionaliste, il est âgé d’une vingtaine d’années quand il décide de pousser les portes de la communauté de Riaumont.

Fondée en 1958 par le père Albert Revet, cette institution religieuse se compose d’une communauté traditionaliste, d’un village d’enfants ouvert jusqu’en 2019 et d’une association de scouts. Le village d’enfants accueille des garçons en difficultés placés soit par la DDASS, soit directement par les parents. Après un signalement de maltraitance, Riaumont perdra son agrément et l’aide social à l’enfance (ASE) arrêta de placer des pensionnaires dans ce village au début des années 80.

Des familles continuent pourtant d’envoyer des enfants à Liévin, d’autant qu’une école hors contrat est fondée à Riaumont au début des années 90 et délivre des CAP en menuiserie ou maçonnerie. C’est à cette période que Philippe V. fait son entrée dans la communauté.

"Nous étions des éducateurs stagiaires. Je l’ai connu à cette époque-là. Je ne sais pas pourquoi il est parti, je pense qu’il n’avait pas la vocation religieuse. Depuis, je n’ai pas de contact avec lui et il est parti à l’autre bout de la France depuis 30 ans", déclare aujourd'hui un prêtre encore actif à Riaumont.

À cette période, les encadrants avaient un rôle de seconde famille. "On accompagnait les enfants à l’école. On s’occupait des offices et de notre formation religieuse. Le midi, le soir et durant les vacances ou le week-end, on s’occupait des enfants", énumère le prêtre. Quant à celui que les enfants devaient appeler "Frère Philippe"...

"Je n’ai rien à dire de spécial. Je ne suis pas au courant du tout d’une affaire avec lui", réagit d'abord le prêtre par téléphone depuis Liévin. Avant de se confier davantage: "Si c’est de l’histoire de violences légères que vous parlez, oui il y a peut-être eu des réactions disproportionnées des éducateurs mais cela n’a jamais été cautionné par Riaumont. Cela fait cinq ans qu’on nous fait mariner là-dessus…"

"Les gifles, j'en ai mises quelques unes"

Depuis 2010, la justice a ouvert plusieurs informations judiciaires pour des soupçons de maltraitance ou de violences sexuelles au sein de la communauté religieuse. En tout, près de 200 personnes, dont beaucoup d’anciens élèves, ont été entendu et des perquisitions ont été menées. L'ancien prieur de Riaumont a aussi été mis en examen.

Le grand-père d'Émile a quant à lui été entendu par les enquêteurs en 2018 à ce sujet, dans le cadre d'une enquête de la police judiciaire de Lille pour des violences volontaires à Riaumont. Selon nos informations, il avait reconnu à l'époque avoir "parfois donné des gifles, mais ce n'était pas souvent".

Interrogé sur des des coups de poing ainsi que des punitions physiques de nuit" dénoncées par certains enfants", l'homme avait assuré que c'était "totalement faux".

"Les coups de pied, oui, j'en ai mis au derrière. Les gifles, j'en ai mises quelques unes. Les coups de poing, j'en ai mis quelques fois, mais par exemple au niveau des épaules", avait-il expliqué aux enquêteurs.

Le prêtre toujours en activité qui s'est exprimé auprès de BFM DICI assure que "80 % des enfants qui sont passés ici sont très heureux aujourd’hui. Je mets au défi les autres maisons qui accueillent des jeunes d’avoir de tels résultats", avant de nuancer: "Si des pères ont eu un comportement inapproprié, il faut les poursuivre."

Il assure également ne pas avoir "constaté d’actes de violences" de la part de Philippe V. "Sinon, il faudrait qu’on m’accuse moi aussi. J’ai déjà vu des prêtes péter un plomb et être repris sévèrement par le père Revet. Mais pas de sa part. Ou alors, je ne m’en souviens plus…"

"Le plus strict des éducateurs"

Franck* a une meilleure mémoire. Enfant, il a passé quelques années à Riaumont entre ses 11 et 15 ans. S’il garde un bon souvenir de cette période, il n’a pas oublié aussi la sévérité de Frère Philippe.

"C’était un postulant comme on en a vu passer plusieurs qui venaient tester leur vocation religieuse et d’éducateur puisque les moines ont vocation à aider les enfants en difficulté. Il est resté un an ou deux et n’avait pas la vocation religieuse. Il est donc parti et je n’ai plus jamais entendu parler de lui jusqu’à la disparition de son petit-fils. C’était le plus strict des éducateurs", se souvient Franck.

Il poursuit : "Frère Philippe était déjà kiné ou en passe de l’être. Il se cherchait un peu et avait choisi Riaumont car l’éducation à l’ancienne ne lui faisait pas peur. Il nous faisait faire beaucoup de sport, des travaux manuels. Il était assez autoritaire, plus que les autres. Il exigeait beaucoup le silence en salle d’étude, en rang avant de rentrer en classe. Il était plus à cheval sur la discipline que les autres.

En fouillant dans ses souvenirs, Franck se remémore encore: "Il ne tolérait pas l’insolence. Il donnait des punitions qu’on n’aurait pas eu avec d’autres. Un jour, il m’a fait attendre à genoux au coin. Cela me touchait sur le moment mais le soir je n’y pensais plus."

Si Franck reconnaît que des "camarades ont donné ce témoignage de violence", il assure lui n'avoir "jamais été confronté à ça."

"Ni vu, ni subi. Les seuls constats que j’ai eus, ce sont des témoignages indirects. Des gens qui ont vu frère Philippe mettre des baffes à des enfants. Et je n’ai aucune raison de remettre en cause ces témoignages puisque ce sont des témoignages de camarades de l’époque."

"Nous pouvions parler et rigoler avec lui"

De l’aveu même de Franck, Frère Philippe n’était pas spécialement apprécié puisqu'"il était le plus rude de tous". Mais l’éducateur au fort accent du Sud avait aussi de très bons côtés.

"Malgré la sévérité dont il savait faire preuve, il n'était pas inaccessible et nous pouvions parler et rigoler avec lui comme avec les autres éducateurs. Nous n'avions pas peur de lui et ne craignions pas de faire des activités avec lui. En particulier, il était assez doué en football et nous aimions bien jouer avec lui car nous progressions plus qu'avec les autres éducateurs qui avaient plus de mal dans cette activité", conclut Franck.

Tout ça, l’ancien pensionnaire l’a raconté aux enquêteurs puisqu’il a été entendu comme beaucoup d’autres enfants de l’époque. Pour évoquer les agissements supposés de Frère Philippe ainsi que le comportement des autres encadrants dans ces années-là. De précieux témoignages qui sont encore analysés et décortiqués par les gendarmes en charge de la disparition d’Émile.

Contacté par téléphone, l’entourage du grand-père du petit garçon "ne souhaite pas s’exprimer". Son avocate rappelle, dans un communiqué transmis ce mercredi 20 mars, que Philippe V. avait été placé sous le statut de témoin assisté en 2018 concernant les soupçons de violences à Riaumont, et qu'un non-lieu devrait être prononcé le concernant lors de la fin de l'instruction.

*Le prénom a été modifié

Valentin Doyen avec Vincent Vantighem