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Pénurie de puces: la stratégie gagnante de Toyota

Alors que la majorité des constructeurs souffrent de la pénurie de semi-conducteurs, le groupe japonais, pourtant inventeur du "juste-à-temps", a mis en place une stratégie pour pallier la défaillance de ses fournisseurs. Un héritage de la catastrophe de Fukushima.

La pénurie de semi-conducteurs? Ce n’est pas un problème pour Toyota. En février dernier, le constructeur disposait encore d’un stock de puces équivalent à quatre mois de production quand ses concurrents arrêtaient un à un leurs usines.

Pourtant inventeur du juste-à-temps, la méthode aux délais ultra-serrés qui régit toute la production automobile mondiale, le groupe japonais a su repenser son modèle de production. Un virage pris ces dernières années, à la suite des conséquences de la catastrophe de Fukushima.

Revue des fournisseurs, connaissance approfondie de sa chaine de production dans la durée

Le triple désastre du 11 mars 2011 (séisme, tsunami et accident nucléaire de Fukushima) avait mis à genoux des pans entiers de l'industrie japonaise pendant des mois, en particulier son secteur automobile, en raison de ruptures dans sa chaîne d'approvisionnement au Japon. Toyota avait souffert comme les autres à l'époque, ne parvenant à normaliser sa production nationale qu'au bout de six mois. Mais "le groupe a retenu la leçon du 11 mars 2011 probablement mieux que quiconque", selon Christophe Richter, analyste automobile de la maison de courtage CLSA.

Le géant nippon a commencé à l'époque à passer en revue tous ses fournisseurs, jusqu'aux plus indirects. Ce qui lui a permis d'acquérir une connaissance très approfondie de sa chaîne d'approvisionnement, pour réagir plus vite en cas de crise. Ainsi Toyota "était bien mieux préparé que n'importe quel autre constructeur automobile dans le monde" à la pénurie actuelle de puces électroniques, estime Christophe Richter, interrogé par l'AFP.

"Ce travail post-Fukushima, on l'a tous fait, assure à l'AFP une source proche d'un autre constructeur automobile japonais. Mais Toyota est celui qui l'a fait le mieux, et qui l'a maintenu" dans la durée, reconnaît cette source, partagée entre admiration et jalousie.

Bâtir des stocks

Depuis quelques mois, ces minutieux préparatifs, menés dans l'ombre pendant des années, révèlent en pleine lumière à quel point ils sont utiles. Une incroyable série de vents contraires s'est abattue sur l'industrie automobile mondiale depuis l'an dernier: la pandémie de coronavirus suivie de la pénurie de semi-conducteurs, des aléas climatiques en Amérique du Nord et à Taïwan au début de cette année, et au Japon l'incendie accidentel en mars d'une usine de semi-conducteurs de Renesas, important fournisseur de l'industrie automobile.

Alerté dès les prémices de la crise des semi-conducteurs, le groupe a réagi en sortant partiellement du modèle classique de production "juste-à-temps", dont il est pourtant l'inventeur et qui consiste à limiter les stocks au maximum pour réduire les coûts.

"Toyota a été le premier constructeur automobile à ajuster son système de chaîne d'approvisionnement d'un modèle pur de +juste-à-temps+ à un modèle hybride où il stocke davantage des composants critiques comme les semi-conducteurs", explique à l'AFP Joshua Cobb, analyste automobile chez Fitch Solutions.

"Toyota a toujours été un leader dans le développement de systèmes de gestion de la chaîne d'approvisionnement, et les autres constructeurs tendent à l'imiter", Joshua Cobb.

Les allemands Volkswagen, BMW et Daimler, tout comme l'américain General Motors notamment ont tous déclaré récemment qu'ils allaient ajuster leurs systèmes respectifs d'approvisionnement pour augmenter leurs stocks. Mais Toyota a pris sur ce front une belle longueur d'avance. En outre, exiger des stocks ne suffit pas: encore faut-il les obtenir.

Ses fournisseurs? En majorité japonais

Là encore, le numéro un mondial a un sérieux avantage: la plupart de ses fournisseurs, y compris dans les semi-conducteurs, sont des sociétés japonaises. Toyota et le gouvernement japonais ont ainsi "un plus grand contrôle" sur ces entreprises, qui vont servir Toyota "en priorité", relève Joshua Cobb. Toyota a notamment sauvé Renesas, un fournisseur de puces japonais de la faillite. De quoi assurer ses arrières en cas de pénurie.

Cela diffère d'autres constructeurs, surtout européens et américains, qui dépendent pour leurs composants électroniques de fournisseurs asiatiques sur lesquels ils ont peu de prise, observe-t-il. Au Japon "Toyota a de très bonnes relations avec ses fournisseurs", confirme à l'AFP une source proche d'un équipementier automobile nippon.

Résultat: Toyota a annoncé ce mercredi de très bons résultats 2020/2021. Ses ventes solides et régulières entretiennent ces excellents rapports, tout comme la réputation du groupe de ne pas renégocier à la baisse les tarifs de ses fournisseurs une fois les contrats initiaux signés, ajoute cette source. Et "si l'on reçoit des ordres de plusieurs clients en même temps, il faut privilégier le client le plus stable et le plus puissant". Lequel s'appelle souvent... Toyota.

Pauline Ducamp et Julien Rizzo avec AFP