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"Permis de tuer": pourquoi la liste des animaux dits nuisibles fait polémique

Pour le renouvellement de cette liste, neuf espèces sont dans le viseur, considérées comme pouvant nuire notamment aux cultures agricoles. Des associations de défense des animaux dénoncent une liste arbitraire et inefficace, sans fondement scientifique.

"Quand ils vous en mangent 30.000 à 40.000 pieds par hectare, vous divisez au moins votre rendement par deux, voire par endroit il n'y a quasiment plus rien". Épouvantails, dispositifs sonores... Gilles Maigniel, agriculteur à Magny-en-Vexin (Val d'Oise) tente de faire fuir les corbeaux de ses cultures de petits-pois par tous les moyens.

Impuissant, il souhaite recourir à des chasseurs. Un moyen qui pourrait lui être accordé si ce corbeau est présent dans la liste dites des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts (ESOD), soit les animaux nuisibles.

Un "permis de tuer"

Le renard roux, la pie bavarde, la belette, le geai des chênes... Le gouvernement s'apprête à publier sa liste qui permettra de chasser ("détruire" selon les termes de l'arrêté) ou piéger ces espèces, certaines toute l'année. Elle remplace la liste établie en 2019 et couvrira la période 2023-2026. Un "permis de tuer" dénoncé comme arbitraire et archaïque par plusieurs associations.

"Il ne s'agit pas de nier la possibilité que ces espèces occasionnent des dégâts par moment, mais on dénonce leur destruction quasi-systématique, sans stratégie, sans penser aux bénéfiques qu'elles apportent", déplore sur BFMTV Maxime Zucca, ornithologue et membre du Conseil national de protection de la nature.

Selon l'AFP, depuis quatre ans, 6600 pies bavardes ont été tuées en Saône-et-Loire et 14.500 belettes éliminées dans le Pas-de-Calais pour des dégâts représentant au final un centime pour chaque pie morte et 90 centimes pour chaque belette.

"Les chiffres sont éloquents et montrent le ridicule de ce classement ESOD qui ne peut plus durer", s'insurge Matthieu Orphelin, directeur général de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

Pas de preuves scientifiques

Premier grief: la méthode d'établissement de la liste. Elle résulte de déclarations de dégâts et de doléances faites par des particuliers, des agriculteurs mais aussi des chasseurs, qui ne font l'objet d'"aucun contrôle sur la véracité des faits et les estimations des préjudices", dénonce la LPO, qui parle dans un communiqué d'une "aberration écologique".

Il s'agit principalement de prédateurs pointés du doigt pour attaquer les poulaillers ou le gibier des chasseurs ou encore des oiseaux qui pourraient nuire aux cultures. Sont également pris en compte les risques sanitaires ou les risques pour les biens.

La Société pour l'étude et la protection des mammifères (SFEPM) juge elle "totalement arbitraires" les seuils de dommages et le nombre de plaintes engendrant le classement en ESOD, laissé "à la seule appréciation" de quelques personnes.

Parfois "le simple fait qu’une espèce déjà listée soit présente sur une large partie du département et qu’il y ait des activités économiques 'susceptibles d’être impactées'" sans que des dégâts ne soient réellement recensés "peut être suffisant pour justifier sa destruction dans le département concerné", dénonce l'association.

Par ailleurs, affirme la LPO, "aucune publication scientifique ne prouve que l'élimination des espèces classées ESOD permet de limiter les dégâts, parfois c'est même le contraire".

Espèces fragiles

Autre reproche: la présence parmi les ESOD d'espèces aux effectifs fragiles. Ainsi le putois d'Europe figurait sur l'arrêté 2019 avant qu'une décision du Conseil d'Etat ne l'en sorte en juillet 2021 en raison de son "état de conservation défavorable".

Depuis 2017, ce mustélidé est classé comme "quasi menacé" en France par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Il n'apparaît pourtant toujours pas parmi les espèces protégées en France, ce qui lui garantirait de ne plus figurer sur la liste ESOD, dont sont exclus pour ces mêmes raisons les loups et les ours malgré une cohabitation difficile avec l'homme.

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Prendre en compte les écosystèmes

Le renard roux, dont 6,8 millions ont été tués entre 2018 et 2022 selon la LPO en raison de l'arrêté ESOD, est lui aussi victime de sa mauvaise réputation: mangeur de poules, porteur de maladies... Pourtant comme les belettes ou les fouines, il joue un rôle essentiel dans les écosystèmes: via la prédation qu'il exerce, il empêche les petits rongeurs de pulluler et donc de piller les champs, souligne l'Association de protection des animaux sauvages (Aspas).

L'Aspas juge archaïque l'idée d'autoriser à tuer "sans limite" et "au mépris des données scientifiques" des animaux "dans le contexte de l’urgence écologique et de l’effondrement de la biodiversité".

"On ne va quand même pas tuer les animaux chaque fois qu'ils nous dérangent", s'insurge Amandine Sanvisens, co-fondatrice de l'Association Paris Animaux Zoopolis (PAZ).

Comme le note Le Figaro, ces associations contestent la notion de "nuisible" et plaident pour d'autres solutions de cohabitation. Par exemple, un renforcement de la protection des élevages de volailles ou la mise en place d’actions ponctuelles à petite échelle pour soulager les agriculteurs, plus efficaces selon elles.

Salomé Robles avec AFP