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"J'ai joué mon rôle de citoyen": le récit du chauffeur de taxi, pris en otage par le terroriste de l'attentat de Strasbourg

Alors que s'ouvre le procès de l'attentat de Strasbourg, Mostafa Salhane, témoin clé raconte comment il a fait face au terroriste. Le soir du 11 décembre 2018, l'auteur des faits, Chérif Chekatt, prend la fuite en montant dans son taxi. Le chauffeur finira par réussir à faire descendre l'assaillant de sa voiture avant de se rendre au commissariat.

À la fois une victime et témoin clé. C'est ainsi que se présente Mostafa Salhane, chauffeur de taxi qui a été pris en otage par Chérif Chekatt, l'auteur de l'attentat de Strasbourg perpétré le 11 décembre 2018.

Dans son livre intitulé "15 Minutes pour sauver ma vie", paru ce 1er février aux éditions Plon, Mostafa Salhane retrace ce moment de terreur, durant lequel il a été forcé d'échanger avec le terroriste.

"En fin de compte, vous ne réalisez pas. Vous avez l’impression de tourner un film dont vous n’avez pas choisi d’être acteur. Donc vous planez. Je me pose la question, jusqu’au commissariat 'mais je suis dans quel pétrin?'", raconte-t-il à BFM Alsace.
Mostafa Salhane raconte son histoire dans un livre, "15 Minutes pour sauver ma vie", paru le 1er février aux éditions Plon.
Mostafa Salhane raconte son histoire dans un livre, "15 Minutes pour sauver ma vie", paru le 1er février aux éditions Plon. © Éditions Plon

Ce récit, Mostafa Salhane devra à nouveau le répéter à partir de ce jeudi 29 février, date à laquelle s'ouvre le procès de quatre accusés jugés pour complicité dans cette affaire.

"Je dois réfléchir à comment m'en sortir"

Le 11 décembre 2018, Chérif Chekatt s'introduit dans la soirée dans le centre de Strasbourg, où se tient le marché de Noël. Armé d'un couteau et d'un revolver, il tue cinq personnes. Il tire également en direction de militaires, avant de prendre la fuite en montant dans le taxi de Mostafa Salhane.

"À ce moment-là, j'y crois et je n'y crois pas. J'y crois tout de suite après, quand il me met l'arme sous mon flanc et qu'il me dit 'à partir de cet instant-là, on va rester ensemble et on va aller mourir ensemble'", se rappelle-t-il.

L'homme entame la conversation et se montre virulent. Il affirme avoir tué plusieurs personnes et tué sur des militaires. "Il crie beaucoup, il transpire, il est pas bien. Moi, j'essaie de trouver une solution pour m'en sortir", raconte Mostafa.

Il devient alors clair, dans le discours de l'assaillant, qu'il compte "finir le travail" au commissariat. Mostafa veut alors faire tout son possible pour l'en empêcher.

"C'est lui qui pose les questions. Des fois, c'est même lui qui donne les réponses. Mais moi, je dois réfléchir à comment m'en sortir, étant donné qu'il y a une arme derrière moi, je ne sais pas s'il a un gilet explosif ou une ceinture explosive. Moi, je dois me débarrasser au plus vite de ce personnage-là. (...) Je me dis que si la police arrive, tous les deux, on est morts, étant donné qu'il est déterminé à mourir ce soir-là."

L'opportunité se présente lorsque Chérif Chekatt demande à Mostafa de le soigner. L’assaillant a en effet été touché lors d'échanges de coups de feu avec les militaires et saigne beaucoup.

"J'arrive à le faire descendre justement parce qu'il veut que je le soigne. Je prétexte que j'ai tout dans le coffre, et à ce moment-là, quand il descend, j'en profite de lui donner un paquet de mouchoirs et une bouteille d'eau. Un moment d'inattention, et je monte dans la voiture, je prends la direction du commissariat."

"C'est un tsunami"

Mostafa raconte alors aux policiers son échange avec l'assaillant, ainsi que l'endroit où il l'a déposé, dans le quartier du Neudorf.

"J'ai joué mon rôle de citoyen, de sauver des vies, de sauver la mienne, de sauver celles de policiers", déclare-t-il auprès de BFMTV.com. "D'apporter un tournant déterminant dans l'enquête qui a suivie."

Pour autant, Mostafa souffre par la suite de ce que l'on appelle la culpabilité du survivant. "Je me sentais coupable de ne pas avoir fait assez. Et derrière, je me suis rendu coupable parce que j'en ai fait baver à ma famille par ce stress post-traumatique", déclare-t-il.

Même aujourd'hui, la vie quotidienne s'avère difficile pour cet ancien chauffeur de taxi, qui a dû arrêter son activité.

"C'est un tsunami qui a un impact sur moi-même, mais aussi sur ma famille, sur ma vie professionnelle. (...) Aujourd'hui, je ne peux plus exercer le métier de taxi. J'ai perdu aussi la société dont j'étais gérant. Et perdre aussi la maison que j'avais pu acquérir en 2014. Tout ça, vous le perdez, et vous perdez l'intégralité du bien-être. Toujours en hyper-vigilance, on perd le goût de s'habiller, le goût de manger, de rigoler..."

Cinq ans après les faits, c'est une lutte quotidienne pour retrouver une vie normale et parvenir à tourner la page de cette terrible soirée.

"J'ai remédié pour m'en sortir, pour ne pas tomber dans une dépression aiguë, pour ne pas finir avec la vie. J'ai tout fait à travers les voyages, la peinture, j'ai reçu une thérapie, c'est quelque chose qui m'a beaucoup aidé."

L'écriture de son livre récemment paru lui a également permis de raconter son histoire. "J'ai écrit pendant cinq ans. C'était une biographie très personnelle, très intime, mais aussi qui méritait d'être exploitée, d'être mise en lumière, dans le sens où j'avais besoin que le grand public sache que Mostafa Salhane a fait un geste incroyable pour notre pays."

"La parole compte"

Ce qui l'a également aidé à aller de l'avant, c'est l'association qu'il a fondée après les faits. L'Association victimes attentat accompagne aujourd'hui 70 victimes directes ou indirectes.

"S'il n'y avait pas l'association, je pense que ça aurait été vraiment mal pour moi", reconnaît-il.

"Elle a contribué à me tenir debout face à ce tsunami qui était très dur, très lourd (...) Ma satisfaction est que quand une victime obtient gain de cause dans sa réparation intégrale, que ce soit physique, son état psychique, sa réparation pour une indemnisation... Je suis heureux, je me sens utile, je sens que j'ai pu faire quelque chose pour ces victimes-là."

Des personnes avec qui Mostafa a beaucoup échangé à l'approche du procès. "Nous, victimes, entre nous, on sait comment se parler, comment se comprendre."

Lui-même sera présent tout au long du procès, à la fois en tant que témoin clé, mais aussi comme victime de Chérif Chekatt.

"La parole compte, pour que les magistrats et le public sachent comment les victimes ont été touchées. C’est ça qui va compter aussi. Il est important que chaque victime puisse s’exprimer", affirme-t-il.

Au-delà de l'aide qu'il apporte aux victimes, Mostafa se mobilise aujourd'hui, à travers son association, pour la sensibilisation des jeunes concernant la radicalisation.

"C'est important pour moi de prendre une position contre le terrorisme. On a développé aujourd'hui ce qu’on appelle de la sensibilisation et de la prévention auprès de la jeunesse contre la radicalisation. Un match de foot, une sortie dans un parc d'attractions, un déjeuner avec l’association… On ouvre toutes les portes", explique-t-il.

Laurène Rocheteau