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"C'est devenu une tradition": épicée, sucrée... comment est née la bière de Noël

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(image d'illustration) - Pixabay

La bière de Noël s’invite sur certaines tables, avant et pendant les fêtes. Présentée comme une tradition, elle doit son renouveau en France à la mobilisation de brasseurs au milieu des années 80.

À la regarder, avec son étiquette où rennes, flocons et père Noël se font souvent la part belle, posée sur la table, au milieu des convives, elle sent bon la tradition.

Aussi indissociable des fêtes de fin d’année, que cette sensation d’avoir pris une part de bûche de trop. Et pourtant, en France, la bière de Noël, telle qu’on la connaît aujourd’hui, est récente.

1980, le tournant

Le biérologue Hervé Marziou situe sa renaissance dans les années 80. "Albert Gass, grand brasseur alsacien, chez Schützenberger, a l’idée en 1980 de relancer une bière à l’occasion de Noël", explique le spécialiste à BFMTV.com.

Au 20e siècle, l’industrialisation de la bière a débouché sur "une sorte de bière internationale blonde, de fermentation basse, qui n’est pas festive", poursuit-il. Celle que l’on boit en demi au bar ou bien vendu en pack de six dans les grandes surfaces.

L’idée est donc de renouer avec une bière "conviviale", plus "onctueuse", qui colle à la saison. Pour les brasseurs, il s’agit aussi d’attirer des consommateurs, qui l’hiver arrivant, ont tendance à délaisser cette boisson. "On va faire en sorte que les consommateurs saisonniers qui boivent en été trouvent un intérêt à boire une bière en hiver", explique Hervé Marziou.

Une bière de restes?

Mais pour créer la bière de Noël actuelle (à boire avec modération), les brasseurs ne sont pas partis de zéro. À en croire le récit souvent donné, il s’agirait historiquement d’une boisson, popularisée au 18e siècle, faite pour écouler les derniers stocks de provisions des brasseurs. Une histoire en partie confirmée par Hervé Marziou, qui rejette toutefois cette appellation de bière de restes.

"Aujourd’hui, je vois bien qu’on a du mal à faire comprendre que ce qu’on récoltait dans l’année, au bout de 12 mois, soit on l’utilisait, soit on le jetait". Chaque année, octobre arrivant, les brasseurs se retrouvent donc obligés à faire un grand ménage de printemps pour laisser place aux nouveaux stocks de malt et de houblon.

"La récolte d’orge se fait au mois au juillet. On va laisser l’orge pendant huit à 12 semaines, ce qu’on appelle la dormance de l’orge. Et le malteur est capable de livrer le malt à partir d’octobre".

Le houblon, autre ingrédient indispensable, est lui récolté en septembre. Mais le temps de récolter les fleurs sur les grandes lianes de la plante, il est livré au même moment.

Pour éviter de gaspiller, les brasseurs finissent donc leur ancien stock. "À partir de là, il me reste plein de céréales. Une année, j’aurais une bière très maltée. Et l’année suivante, plein de houblon, et il y aura une bière plus houblonnée".

Bières belges et anglaises

La zythologue Carol-Ann Cailly ajoute un autre élément d’explication: "avant, il était très répandu de faire des bières épicées où on ne mettait pas forcément du houblon". De cette pratique serait restée cette tradition d’une bière épicée à laquelle on aurait accolé l’appellation "de Noël" bien plus tard.

Peut-être faut-il voir aussi l’influence de nos voisins. La tradition de la bière de Noël est ainsi très ancrée de l’autre côté de nos frontières, Belges et Anglais en tête. "La bière belge de Noël, c'est classique", affirme Carol-Ann Cailly auprès de BFMTV.com, citant l’exemple de la Bon Voeux, "qui était offerte aux meilleurs clients de la brasserie". "Les Belges excellent dans les bières épicées et chaleureuses", poursuit la zythologue.

Elle cite aussi l’exemple la Christmas Ale "plutôt ambrée, épicée et bien maltée" et de son ancêtre la wassail, "qui remonte au 12e-13e siècle", qui prend la forme d’une bière "chaude, qui était sucrée, avec des pommes rôties, des épices".

Par ailleurs, "on a toujours eu des mentions de bière qui étaient là pour fêter certains moments", complète Hervé Marziou. "Si je prends l’histoire scandinave, au moment du solstice d’hiver, il y avait déjà une bière faite avec un peu plus de soins et de matière".

Une tradition... très locale

Aujourd’hui, plusieurs grandes marques de la bière se sont emparées de cette boisson: Affligem, Leffe, Grimbergem, Chouffe, etc. Mais aussi des dizaines de brasseurs artisanaux. "200 brasseries produisent de la bière de Noël", comptabilise Alicia Botti, directrice de la communication de Brasseurs de France, sur les 2500 recensées dans l’Hexagone, dont "un peu moins d'une centaine en Alsace et une cinquantaine dans les Hauts-de-France".

Il s’agit encore "d’un produit très régionalisé", poursuit-elle, mais "ce qu'on voit c'est que ça se développe dans beaucoup de régions, ça suit cette tendance". Et d’affirmer: "les gens en consomment davantage et commencent même à l'assimiler au repas de Noël".

Le champagne et le vin ont toutefois encore de beaux jours devant eux pour les fêtes. "C'est devenu une tradition dans les régions brassicoles", confirme Carol-Ann Cailly, mais "je n’ai pas l’impression que c’est quelque chose qu’on développe de plus en plus".

Une bière oubliée après le 25 décembre

"Quand je regarde ce que proposent les brasseries que je suis, je ne vois pas plein de communication sur les bières de Noel ou bière d'hiver" -un nom qui permet d’étendre pour certains la consommation de cette bière au-delà des fêtes.

"La plupart des brasseries ont déjà une gamme bien développée avec une palette de saveurs déjà définie”, poursuit la zythologue, qui se questionne: pour les brasseurs artisanaux, la bière de Noël "n’est-elle pas associée à quelque chose de trop industriel? Est-ce qu’on n’essaye pas de s’en détacher? Ne pas en produire, c’est une façon de ne pas faire comme eux (les grands groupes, ndlr)".

"Il y a pas mal de microbrasseries, de brasseries artisanales plus récentes, qui ne font pas forcément de bières de Noël. Ce n'est pas une nécessité absolue (...) dans le paysage brassicole des microbrasseries", affirme Benjamin Patswa, fondateur de la brasserie Bendorf, à Strasbourg, au micro de BFM Alsace.

Surtout que "passé le 24-25 décembre, plus grand monde ne veut boire de la bière de Noël", ajoute-t-il.

"Grâce aux brasseurs artisans, nous n’avons pas une bière 100% marketing. Nos brasseurs artisans font une bière à laquelle ils vont réfléchir", assure de son côté Hervé Marziou.

D'ailleurs, en Alsace ou dans les Hauts-de-France, région brassicole historique, "on ne comprendrait pas qu’une brasserie ne propose pas une bière de Noël", rappelle Hervé Marziou. "Toutes les brasseries d'Alsace et des Hauts-de-France vont faire leur version", complète Carol-Ann Cailly.

Un accord "extraordinaire" pour Noël

Avec des possibilités de recettes infinies, mais des marqueurs communs. "La bière de Noël, ce n'est pas vraiment un style de bière très défini comme l'IPA (Indan Pale Ale). On s'attend à un certain type de bière, foncée, bien épicée: cannelle, cardamome, muscade. Un profil qui tend sur l'épice, sur le sucre, et pour coller avec le temps d'hiver, chaleureuse, alcoolisée", détaille la zythologue.

Reste une question: on la boit quand cette bière? Évidemment avant les fêtes, à l’apéritif, entre amis ou en famille -et toujours avec modération- mais il est tout à fait possible de la proposer sur votre table pour le réveillon ou le 25 décembre. "J’engage à la proposer en fin de repas, on a souvent trop mangé, trop épicé. Même si elle est ronde, même si elle est chargée à l’odorat, sa fraîcheur fait du bien", recommande Hervé Marziou.

"Bûche au chocolat avec une très bonne bière de Noël, vous convainquez tout le monde. Vous allez avoir un accord extraordinaire”, suggère aussi le biérologue.

Benjamin Rieth Journaliste BFM Régions