BFMTV
Education

Les enseignants entre inquiétudes et colère après l'agression d'une professeure à Rennes

Une enseignante d'anglais a été menacée avec un couteau en classe mercredi 13 décembre dans un collège de Rennes. Les syndicats de professeurs s'inquiètent d'une montée des violences et demandent plus de moyens.

Une profession décidée à se faire entendre. Après la menace au couteau contre une professeure d'anglais par une élève de 12 ans au collège Les Hautes Ourmes de Rennes, en Ille-et-Vilaine, les enseignants, préoccupés par une montée des violences venant des élèves, demandent que l'accent soit mis sur la prévention et l'augmentation des moyens.

Une cellule psychologique a été mise en place dans le collège pour les enseignants, mais aussi les élèves et les parents. Les cours sont également suspendus ce jeudi. L'élève à l'origine des menaces a pour sa part été hospitalisée mercredi soir après un examen psychiatrique.

Un "événement terrifiant"

La menace d'attaque au couteau survenue mercredi est un "événement terrifiant" dénonce le secrétaire régional UNSA Éducation Bretagne Tanguy Noël, dans un communiqué.

La profession se dit solidaire de cette nouvelle tentative d'agression survenue deux mois jour pour jour après l'assassinat du professeur de français poignardé à mort à Arras, dans le Pas-de-Calais, et quasiment trois ans après l'assassinat du professeur d'histoire Samuel Paty, le 16 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines.

"Évidemment, nos pensées vont d'abord pour ces collègues qui ont réagi avec beaucoup de courage et de sang-froid et pour les élèves qui ont assisté (à cette tentative d'agression) et qui ont tous été choqués par ces événements", déclare Matthieu Mahéo, secrétaire académique Bretagne SNES-FSU, auprès de BFMTV.

Même discours du côté de la professeure des écoles et porte-parole du SNUipp-FSU, syndicat des enseignants du premier degré, Guislaine David, qui salue également "toute cette équipe éducative qui a très bien réagi. Ça montre le sang-froid, la réactivité de ces personnels qui sont dans une situation très complexe".

"On est des cibles"

Pour l'ensemble des syndicats, cette agression s'inscrit dans un contexte général anxiogène dans les établissements scolaires. "Nous sommes devenus des cibles", s'alarme le professeur de français dans un collège parisien et porte-parole du mouvement des Stylos rouges Nicolas Glière sur BFMTV.

"On est des cibles parce qu'on est devant tous les élèves du pays dans un rôle fondamental qui n'est plus reconnu par la société", déplore-t-il encore.

De nombreux enseignants assurent ne pas avoir été surpris de l'agression survenue à Rennes. "On a beaucoup de faits de violences qu'on n'avait pas avant avec des enfants qui frappent les enseignants", souligne Guislaine David du SNUipp-FSU.

Gabriel Lattanzio, professeur agrégé d'anglais à la Sorbonne, a lui-même été la cible de menaces de mort lorsqu'il enseignant dans le secondaire. "La première fois, l'élève a été exclu et condamné, la deuxième fois, la décision a été prise de le sortir de l'établissement", confie-t-il sur BFMTV. "Les violences envers les enseignants, c'est très vrai, il va falloir agir de façon urgente", appelle-t-il.

Un besoin de "personnel en nombre suffisant"

De fait, les professeurs appellent à ne pas rester les bras croisés et demandent que l'accent soit mis sur la prévention de ce type d'incidents.

Certains enseignants, comme Guislaine David, saluent la mise en place d'exercices permettant de simuler des intrusions dans un établissement scolaire. "C'est obligatoire, on en fait très régulièrement et on en a fait un la semaine dernière", souligne-t-elle.

Pour la représentante du SNUipp-FSU, c'est probablement ce qui a contribué à sauver la professeure menacée et ses élèves. "Les élèves ont très bien réagi (...) ils ont bloqué (la porte)", salue-t-elle.

Pour autant, elle souligne que le collège de Rennes concerné, étant en REP+, bénéficie de moyens plus importants que la moyenne. "On voit bien qu'il y a une nécessité à avoir des personnels en nombre suffisant pour pouvoir prévenir et réagir", dit-elle, en soulignant qu'elle aimerait qu'il y ait un médiateur dans "tous les collèges".

"Ça aurait pu beaucoup plus mal se passer"

Du côté, du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC), on se montre plus sévère. Pour Jean-Rémi Girard, son président, le fait que la professeure n'ait pas été blessée est "presque miraculeux".

Comment protéger les enseignants ? - 14/12
Comment protéger les enseignants ? - 14/12
9:55

"Ça aurait pu beaucoup plus mal se passer", met-il en garde, rappelant le cas d'Agnès Lassalle, mortellement poignardée en février par un élève alors qu'elle donnait un cours dans un lycée de Saint-Jean-de-Luz, dans les Pyrénées-Atlantiques. Pour lui, les professeurs et personnels enseignants ne sont "pas du tout formés à ce genre de situations, on est sur de l'improvisation, du bon sens".

"Ça suffit, il faut faire quelque chose pour protéger les enseignants", appelle de son côté Nicolas Glière, porte-parole du mouvement des Stylos rouges.

L'accompagnement psy insuffisant

Pour elle comme pour de nombreux enseignants, "il y a eu la crise Covid, c'est certain, on l'a ressenti après dans nos classes".

"Les tensions ne sont pas redescendues depuis la mort de Dominique Bernard puisqu'on est dans un contexte national et international qui est pesant", affirme de son côté Jean-Rémi Girard.

De nombreux enseignants estiment que la prise en charge des élèves souffrant de troubles psychiatriques ou souffrant de troubles psychiques divers, constitue un problème récurrent. "Il y a un besoin aussi de psychologues, parce que nous n'en avons pas assez, et d'infirmières pour recueillir la parole de ces jeunes. Les enfants et les adolescents vont mal", estime Guislaine David.

"On n'a rien à proposer à ces élèves qui ont des difficultés d'ordre médical. Nos médecins scolaires sont en train de tous partir à la retraite et de ne pas être remplacés, nos psychologues s'occupent de l'orientation, mais ils n'ont absolument pas le temps de faire autre chose", déplore-t-il par ailleurs.

"Comment on est arrivés, alors qu'il y avait déjà eu des signaux d'alerte, à se dire: 'ce n'est pas grave, on va rescolariser l'élève dans un autre établissement, on verra bien ce qu'il se passe'?", s'agace-t-il encore.

Juliette Desmonceaux