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Régulation des écrans: pourquoi la France ne peut pas imposer ses règles

Malgré les multiples tentatives du gouvernement pour réguler les écrans ou les grandes plateformes du numérique, c'est bien la Commission européenne qui doit avoir le dernier mot.

"Des interdictions" ou "des restrictions": c'est la menace que fait peser Emmanuel Macron sur les géants du numérique, après s'être attaqué aux dangers supposés des écrans pour les plus jeunes, lors de sa conférence de presse de ce 16 janvier.

Ce n'est pas la première fois que le président, qui a par le passé menacé de "couper" les réseaux sociaux, évoque des mesures de protection des internautes. Sauf que dans les faits, une politique nationale de régulation du numérique est bien difficile à mettre en œuvre.

Comme le rappelait encore la Cour de Justice de l’Union européenne dans un arrêt du 9 novembre 2023, un membre de l'UE ne peut venir réguler un acteur installé dans un autre pays membre de l'UE, sans en référer à cet Etat ou à la Commission européenne. Dans les faits, la France ne pourrait ainsi réguler que des plateformes installées en France ou n'ayant pas de siège social dans l'Union européenne.

Réguler Copains d'avant et Jacquie et Michel

Ce qui exclut de fait toute tentative de venir contraindre des entreprises comme Apple et Google, installées en Irlande, qui gèrent les systèmes d'exploitation iOS et Android, et donc les outils de contrôle parental.

"Le gouvernement a reconnu cette limite dans un courrier récemment transmis à la Commission européenne, concernant le projet de loi de sécurisation de l'espace numérique. Dans le courrier, ils admettent en substance ne pouvoir réguler que des plateformes françaises comme Copains d'avant et Jacquie et Michel" ironise Alexandre Archaumbault, avocat spécialisé sur les sujets numériques.

"Si la France voulait réguler des plateformes installées ailleurs dans l'UE, elle devrait démontrer que le pays d'établissement ne fait rien, et que la Commission européenne non plus" précise-t-il.

Ce qui est difficilement entendable pour l'Union européenne, quelques mois après la mise en place du DSA, un règlement européen visant à encadrer les géants du numérique, qui intègre notamment un volet dédié à la protection des mineurs.

Toutefois, la France pourrait soutenir des évolutions européennes, directement au sein du DSA, par exemple pour inclure des obligations plus fortes visant les grandes plateformes, également pointées du doigt par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse.

"Cela pourrait être pertinent de demander à la Commission européenne de mettre en demeure les plateformes pour lutter contre les designs prédateurs auxquels sont soumis les enfants et les adolescents. Des designs qui peuvent poser problème en termes de santé mentale, mais aussi en termes de fausses informations" plaide Séverine Erhel, maîtresse de conférences en psychologie cognitive à l'Université Rennes 2, auprès de Tech&Co.

Des textes torpillés par l'UE

La chercheuse fait ainsi référence à l'interface de Tiktok (mais aussi, dans une moindre mesure, d'Instagram), conçue pour retenir l'attention des plus jeunes, mais que les spécialistes pointent du doigt pour ses effets potentiels sur la santé mentale.

Malgré ces limites juridiques, le gouvernement n'a pas pour autant renoncé à porter des textes visant les géants du numérique, avec à chaque fois le risque d'être censuré par l'Union européenne.

Pour l'heure, presque toutes les principales mesures liées aux grandes plateformes et portées par Emmanuel Macron sont ainsi menacées, qu'il s'agisse de la majorité numérique à 15 ans, la loi influenceurs, le contrôle d'âge pour le porno en ligne, ou le bannissement des réseaux sociaux.

Par le passé, le gouvernement a toutefois su remporter des batailles face à des géants étrangers, par exemple en bannissant Wish des magasins d'applications d'Apple et Google. Une mesure, décidée par la DGCCRF et validée par le Conseil constitutionnel, qui estimait que le législateur avait "entendu renforcer la protection des consommateurs" pour poursuivre un "objectif d'intérêt général". Une sanction par ailleurs provisoire, le site ayant depuis fait son retour dans les moteurs de recherche comme sur les magasins d'applications.

En cas de conflit ouvert avec une plateforme, le gouvernement pourrait trouver une parade bien plus radicale, en s'appuyant cette fois sur des entreprises implantées en France: les fournisseurs d'accès à internet. Ces derniers pourraient ainsi faire face à des demandes de blocage d'accès à une plateforme, tout en conservant la possibilité de les contester face à la justice s'ils venaient à les trouver abusives.

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Rédacteur en chef adjoint Tech & Co