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Vie numérique

Enfants face aux écrans: ce que préconisent les spécialistes

Souvent présentés comme une conséquence d’une éducation trop permissive, les écrans restent partie intégrante de notre vie moderne, et bien souvent de celle de nos enfants.

Tablettes, portables et ordinateurs font aujourd’hui partie du quotidien des familles. La notion d'"addiction aux écrans" ne fait pas l'objet d'un consensus scientifique, comme nous l’évoquions dans un autre article. Mais des études évoquent depuis longtemps des risques en matière de développement cognitif, de santé mentale, de perturbations du sommeil, d’obésité et de sédentarisation (qui a elle-même un impact sur les capacité cardio-vasculaires) chez les enfants exposés aux écrans pendant un temps prolongé.

Les enfants passent pourtant 1h19 par jour en moyenne devant un écran en semaine, et 2h07 le weekend, selon une étude Ipsos réalisée en janvier 2023 sur commande du gouvernement, qui a récemment lancé une campagne de sensibilisation à la "parentalité numérique". De son côté, l’Assemblée nationale a adopté début mars une série de mesures pour protéger les enfants contre une exposition excessive. Alors comment faire pour gérer au mieux la relation parfois compliquée des plus jeunes au numérique?

Pas d’écrans pour les tout-petits

L’âge précis en-dessous duquel il est préconisé de ne pas utiliser les écrans fait débat : pas avant trois ans pour l’Académie française de médecine, ou de 18 mois selon l’Académie américaine de psychiatrie pour les enfants et adolescents.

De son côté, Vanessa Lalo, psychologue spécialisée dans les jeux vidéo et les pratiques numériques, se fie à la recommandation canadienne de l'âge de deux ans.

"Avant deux ans, un enfant ne peut pas bénéficier du moindre apprentissage à travers les écrans, et cela se fait au détriment de son développement mental, du langage, de la psychomotricité fine, des différents apprentissages", estime-t-elle.

La raison principale, selon elle, tient moins aux écrans eux-mêmes qu’au fait qu’ils prennent le pas sur le temps consacré pour "apprendre le monde en trois dimensions, à manipuler les objets, à parler, à lire". Seule exception qu’elle concède aux tout-petits: les appels en visio qui permettent de maintenir le lien social avec la famille par exemple.

Limiter le temps

Le psychiatre Serge Tisseron a proposé de son côté la célèbre règle du "3-6-9-12": pas d'écran avant 3 ans (et avant 5 ans, pas plus d'une heure); pas de console de jeu portable avant 6 ans; pas d'Internet avant 9 ans; et enfin, pas d'Internet seul et de préférence pas de réseaux sociaux avant 12 ans, période où il faut être attentif à ce que l’enfant continue de se mobiliser sur des tâches plutôt que de consulter des écrans de façon passive.

Pour Vanessa Lalo, "l’effet dose", c’est-à-dire l’hypothèse selon laquelle plus un jeune passe du temps devant un écran, plus il est susceptible de développer des troubles potentiels, n’est attesté qu’à partir de "six ou sept heures par jour".

Contenus qualitatifs

L’important est de "ne pas laisser les enfants seuls avec la télé comme babysitter", et de les pousser "à verbaliser, à jouer", rappelle la psychologue. A un plus petit, on peut par exemple demander quels étaient les noms des personnages du dessin animé qu’il vient de voir, leurs couleurs, l’intrigue, "pour l’obliger à solliciter sa mémoire et le langage, et faire du lien avec le monde tangible". Elle recommande de laisser plus de liberté aux ados à partir de 12 ans, "toujours bien sûr, dans le dialogue, l'accompagnement, la prévention et la prévention". Bien souvent désintéressés du monde virtuel dans lequel évolue leur enfant gagneraient à s’y intéresser, quitte à perdre du temps à se renseigner sur leurs influenceurs préférés, affirme Vanessa Lalo.

La psychologue regrette que les usages numériques dépendent encore "beaucoup, malheureusement, des inégalités sociales".

"Certaines personnes ne vont pas forcément toujours accompagner leurs enfants, non pas parce qu'ils s'en fichent, mais soit par manque de temps, soit parce qu'ils sont eux-mêmes démunis face au numérique et qu'ils vont très souvent laisser les enfants être les référents numériques", constate-t-elle.

Il s’agit aussi d’orienter les jeunes vers du contenu qualitatif, sélectionné par le parent. "On a tendance à oublier qu'il existe aussi des contenus intéressants et que cela peut être des expériences collectives", suggère la spécialiste, comme regarder un film en famille ou une vidéo YouTube pour apprendre une langue ou une compétence nouvelle.

Face aux techniques des applications pour capter l’attention, les plus jeunes sont-ils pour autant condamnés à scroller à l’infini sur TikTok, comme leurs parents avant eux sur Instagram ou Facebook? Vanessa Lalo n’est pas fataliste: "Ce n'est pas parce qu’une pratique est poussée par une plateforme que l’on ne peut pas reprendre la main et la maîtrise de nos consommations en privilégiant d’autres types de contenu ou en se trouvant des rituels pour éviter d’y passer trop de temps."

Lucie Lequier