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Vie numérique

Cours à distance: la difficile lutte des académies pour endiguer les pannes en série

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- - CC, Flickr (Tobias Leeger)

Malgré des moyens supplémentaires, les serveurs des outils numériques dédiés aux enseignants et aux élèves ne tiennent pas tous la charge. Certains professeurs se tournent vers des applications grand public.

Sur l’App Store, l’application Discord arrive en tête du classement des plus téléchargées en France. Cette plateforme de discussion, habituellement dédiée aux amateurs de jeux vidéo, doit en partie son regain de popularité à une communauté bien différente: celle des enseignants. Depuis la fermeture des écoles, collèges et lycées ce lundi 16 mars, les échanges entre professeurs et élèves passent par les espaces numériques de travail (ENT). Sauf que ceux-ci sont submergés par la vague de connexions simultanées, et sont régulièrement inaccessibles.

Les pannes ont débuté dès lundi matin, suscitant de nombreux commentaires désabusés sur les réseaux sociaux. Et malgré les efforts des différentes académies, la situation est loin de s’améliorer pour tout le monde. Des professeurs des académies de Créteil, de Paris, d’Occitanie, de Rennes ou de Rouen rapportent à BFM Tech des pannes toujours récurrentes.

Des prestataires qui tournent au ralenti

“Les ENT sont effectivement soumis à une forte pression et des cas de lenteurs ou d’arrêt du service temporaires sont signalés. Le ministère de l’Education nationale est extrêmement attentif à cette situation. Les collectivités territoriales sont sensibilisées à la nécessité de travailler avec leurs prestataires pour améliorer leur offre. Les prestataires d’ENT interrogés assurent qu’un fonctionnement opérationnel est prévu dès ce milieu de semaine”, expliquait le ministère de l’Éducation nationale ce mardi 17 mars.

Dans les faits, il est probable que le rétablissement de la situation soit plus long. Car le principal problème concerne les serveurs mis à disposition des enseignants, élèves et parents d’élèves, non-dimensionnés pour répondre à un tel nombre de requêtes.

Résultat, les départements et régions - en charge de la partie technique des ENT des collèges et lycées, doivent demander aux prestataires privés de leur allouer des machines supplémentaires. Des entreprises spécialisées dans l’hébergement dont l’immense majorité des salariés sont confinés à leur domicile, et qui peinent elles aussi à répondre à la demande.

Rationnement des accès

Faute de pouvoir augmenter la quantité de serveurs à la hauteur de la demande, il faut rationner les accès. Ce mercredi 18 mars, la Région Île-de-France a fait parvenir un mail à tous les proviseurs des lycées franciliens, afin de répartir les connexions sur plusieurs plages horaires.

“Une nouvelle organisation des usages de l’ENT sera mise en place de façon à prévenir tout risque de surcharge, par la définition d’horaires par niveau. Les élèves du CAP à la seconde sont invités à se connecter de 8h à 11h, les élèves de première de 11h à 14h, les élèves de terminale et de bac pro de 14h à 17h et les élèves en post-bac (BTS, CPGE, CFA…) de 17h à 20h. Les collégiens des cités scolaires sont invités à se connecter de 8h30 à 10h30 pour les 6ème, de 10h30 à 12h30 pour les 5ème, de 13h à 15h pour les 4ème, de 15h à 17h pour les 3ème” peut-on lire, alors que Valérie Pécresse a diffusé un message analogue à destination des parents d’élèves.

D’autres astuces vont être utilisées pour alléger la charge des serveurs, comme le fait de déconnecter les utilisateurs inactifs après une vingtaine de minutes. La disponibilité des serveurs est d’autant plus importante que la région Île-de-France souhaiterait rapidement mettre en place un système de visioconférence - très gourmand en données - entre enseignants et élèves dans les prochains jours, selon nos informations.

Des classes sur Twitch et Discord

En attendant, les enseignants font avec les moyens du bord. “Je tente de me connecter aux heures creuses. Il m’arrive de recevoir un flot de messages d’un coup quand la connexion s’établit, avant qu’elle disparaisse de nouveau” détaille une professeure d’histoire, qui enseigne dans un collège du 93, dépendant de l’académie de Créteil.

Capture d'écran de l'application Discord, envoyée par un enseignant à BFM Tech
Capture d'écran de l'application Discord, envoyée par un enseignant à BFM Tech © BFMTV.COM
“Étant prof de langue vivante, j'ai choisi d'utiliser des outils qui fonctionnent et que tous les élèves utilisent déjà: Twitch (une plateforme de diffusion en direct habituellement utilisée pour les jeux vidéo, ndlr) et Discord. C’est un franc succès: plus de 70% des élèves étaient fidèles au rendez-vous hier. Je tente de préserver la continuité pédagogique, malgré la faiblesse des outils institutionnels” explique un professeur d’anglais basé en Normandie, dont le collège dépend de l’académie de Rouen.

Faute d’infrastructures fonctionnelles, de nombreuses classes pourraient donc poursuivre l’année scolaire sur les plateformes américaines, dont l’interface est souvent jugée plus accessible et plus intuitive que celles des plateformes traditionnelles.

Pour l’heure, ceux qui désirent conserver les outils officiels doivent prendre leur mal en patience, ou faire preuve de flexibilité pour éviter les embouteillages numériques. “Je crois que je vais me mettre à travailler de nuit”, ironise la professeure d’histoire.

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Rédacteur en chef adjoint Tech & Co