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Comment Facebook a contribué à l'éclosion des gilets jaunes

L'événement Facebook Acte 2 Toute La France A Paris.

L'événement Facebook Acte 2 Toute La France A Paris. - Facebook

Pages, groupes privés, événements aux milliers de participants… Le réseau social a trouvé une place de choix dans le large mouvement des gilets jaunes. 34 000 d’entre eux indiquent participer au rassemblement de ce samedi 24 novembre.

C’est une lame de fond qui a secoué Facebook. Acéphale et protéiforme, le mouvement des gilets jaunes s’est constitué sur le réseau social à coup de groupes privés, de publications virales et d’événements fédérateurs. Après des rassemblements organisés à travers la France depuis une semaine, un large appel à manifester à Paris comprend 34.000 participants et plus de 212.000 personnes intéressées. 

Le rassemblement du 24 novembre.
Le rassemblement du 24 novembre. © Facebook

L'éclosion du mouvement s'est organisée en plusieurs temps sur le réseau. Après une pétition change.org pour une baisse des prix du carburant à la pompe, ont suivi une myriade d'événementsde groupes et de vidéos virales, bien souvent filmées en mode selfie, sur Facebook. Le nouvel algorithme du réseau social, nommé "Edgerank" et qui tourne depuis le début de l'année, a joué en leur faveur.

Le fil d'actualité favorise désormais les contenus issus des amis et groupes au détriment des médias, contribuant à leur effacement, rappelle Coralie Le Caroff, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lille. L'algorithme tend par ailleurs à mettre en avant les images et les titres plutôt que le nom des pages ou des membres. Il suffit dès lors de quelques likes ou "réactions" sur une publication d'un groupe Facebook pour voir son fil accaparé par des publications similaires.

Autant de nouveautés qui tendent, pour certains, à enfermer encore davantage les membres du réseau dans des "bulles de filtres" conformes à leurs idées. "Nous ne devons pas craindre Facebook parce qu'il viole notre vie privée, mais parce ce qu'il façonne nos identités", notait ainsi Evgeny Morozov, chercheur spécialiste des implications politiques et sociales du progrès technologique et du numérique, auprès du Financial Times dès 2014. "Facebook n'a pas encore le pouvoir de nous rendre heureux ou triste, mais il le fera si cela l'aide à gagner de l'argent."

Un essaimage soudain

En lieu et place de chefs, le mouvement s'en remet à des "admins" de pages Facebook. Ainsi des deux chauffeurs routiers trentenaires originaires de Seine-et-Marne qui ont lancé l’idée d’une action le 17 novembre, en créant un événement "Blocage national contre la hausse du carburant", comme l'a noté CheckNews. Plus de 200.000 personnes s'étaient montrées intéressées pour y prendre part.

A coup de vidéos virales, plusieurs partisans du "coup de gueule" se sont également fait connaître. Parmi eux, Maxime Nicolle, alias Fly Rider, qui aura harangué près de 107.000 personnes au sujet de la "guerre de communication" avec les médias, avant d'être invité par Cyril Hanouna. Autre acteur majeur du mouvement, Eric Drouet est passé maître dans l'art du selfie vidéo "ras-le-bol", mais aussi dans la création de multiples groupes Facebook. La plus emblématique restera néanmoins Jacline Mouraud, jusqu'alors simple citoyenne du Morbihan. Sa vidéo face caméra contre Emmanuel Macron et sa "traque aux conducteurs", vue plus de six millions de fois, fait d'elle l'une des instigatrices principales de la vague jaune. 

Tous ces statuts Facebook, montages viraux et vidéos fédératrices ont fait des petits sur le réseau. Le 17 novembre, 1500 rassemblements avaient essaimé. Sur certains groupes Facebook, la mobilisation se montrait particulièrement forte, en proportion de la population des villes concernées, relevait le journaliste Vincent Glad

De simple réseau à nécessité

Très rapidement, Facebook est devenu l'épine dorsale du mouvement. On s'y passe le mot entre amis, en famille mais aussi en suivant de nouvelles figures de proue très actives. Sa panne temporaire, ce mardi, a été vécue comme un drame. De nombreuses publications ont assimilé cette coupure à une censure politique, avant d'appeler à une réorganisation sur d'autres réseaux, tels que Telegram. Facebook a depuis confirmé qu'il s'agissait d'une panne - touchant plusieurs pays dans le monde, et non d'une interruption volontaire. 

La panne temporaire de Facebook, vécue comme une censure politique.
La panne temporaire de Facebook, vécue comme une censure politique. © Facebook

Cette grogne est entretenue par des articles de sites "parodiques" ou ceux de "réinformation", qui sont les véritables acteurs à tirer leur épingle du jeu. Les publications du site belge Nordpresse connaissent un succès viral sur Facebook. Le site a même lancé une supposée parodie de Konbini, adroitement baptisée "Conbini", à l'origine d'une fausse information sur la mobilisation de l'armée et d'"une colonne de chars Leclerc" pour contrer la manifestation des gilets jaunes. Résultat: plus de 15.000 interactions sur Facebook, pour une information souvent prise au pied de la lettre. 

Par le passé, Facebook a montré sa propension à héberger d'autres mouvements d'humeur. D'une ampleur bien moindre, un mouvement de "Soutien au bijoutier de Nice", qui avait tiré sur les braqueurs de son établissement en 2013, avait réuni plus d'un million et demi de citoyens. Un an plus tard, la fronde anti-Hollande avait soulevé des milliers de membres de Facebook. Le collectif "Jour de colère" , sur fond de lutte contre l'islam ou les impôts jugés trop lourds, avait appelé à une grande journée de mobilisation contre le prédécesseur d'Emmanuel Macron. La mobilisation des "gilets jaunes" pourrait être l'un des fruits de ces mouvements de fond.

https://twitter.com/Elsa_Trujillo_?s=09 Elsa Trujillo Journaliste BFM Tech