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Censure, cyberharcèlement: comment les "nudeuses" parviennent à vivre de l'érotisme

Les "nudeuses" vendent pour quelques euros des photos d'elles dénudées en ligne.

Les "nudeuses" vendent pour quelques euros des photos d'elles dénudées en ligne. - Pixabay/ PIX1861

Pour compléter leurs revenus ou à plein temps, elles vendent des photos érotiques sur Twitter ou Instagram. Si cette activité s'avère florissante, le parcours reste semé d'embûches.

À l’unité, par lots ou personnalisées, leurs photos érotiques se vendent comme des petits pains en ligne. Twitter, Facebook, Instagram ainsi qu'une flopée de sites plus confidentiels sont leurs terrains de jeux. Les "nudeuses", ces femmes amenées à vendre des photos d’elles dénudées sur le Web, connaissent un succès grandissant, relevait récemment le site Dazed. À elles seules, elles sont au cœur de trois des enjeux les plus discutés d’Internet: la modération de plus en plus vive des réseaux sociaux, le cyberharcèlement et la frilosité des moyens de paiement en ligne vis-à-vis des activités sulfureuses. 

Chloé Sanchez, la trentaine, est l’une d’entre elles. Elle s’est essentiellement fait connaître il y a quelques mois pour avoir mis en ligne une vidéo pornographique, inspirée par le mouvement des gilets jaunes. Depuis, elle vient compléter ses revenus de camgirl (activité consistant à se dénuder en direct sur le Web) par la vente de photos érotiques. "Mes photos se vendent à partir de 3 euros et peuvent atteindre les 20 euros, si elles répondent à une demande personnalisée", explique-t-elle. "Elles peuvent être envoyées par packs de photos papier, ou par mail, pour les plus discrets".

Un métier envahissant

Son compagnon, avec qui elle collabore, l’assure : "Il s’agit d’un métier à part entière! Cela nous occupe 24h/24, et déborde sur les week-ends. On en vit, et on en vit bien, mais il faut en plus des tournages et de nos publications quotidiennes s’assurer que les contenus diffusés n’ont pas été republiés sans notre autorisation. C’est une véritable traque! Mais dès lors que l’on signale aux plateformes que certaines photos ou vidéos ont été publiées de façon illicite, nous obtenons généralement une réponse en 24 heures. Les plateformes américaines commencent à savoir à quel point les Français sont procéduriers".

Publier de telles photos érotiques sur les réseaux sociaux les plus populaires, gage d'une audience plus grande, revient à s'adonner au jeu du chat et de la souris. Sur Instagram, passer entre les mailles du filet s'avère de plus en plus difficile. Les nouvelles conditions d'utilisation du réseau, qui datent d'avril, ont eu un lourd impact sur le quotidien des travailleuses du sexe. "Je compte de moins en moins sur Instagram", note Chloé Sanchez. "Mes comptes ont été supprimés quatre fois d'affilée. Hormis ceux de certaines privilégiées, la plupart des profils érotiques disparaissent rapidement. Soit parce qu'ils sont repérés comme tels, soit parce qu'ils sont signalés par des concurrentes. Dans ce milieu, c'est chacun pour soi".

Vers quel réseau se tourner dans ces circonstances? Twitter, qui compte près de 4 millions d'utilisateurs en France, fait figure d'exception en autorisant les contenus érotiques et pornographiques. "Twitter reste le réseau social essentiel pour acquérir des nudes", fait savoir un acheteur régulier. "Contrairement aux autres grands réseaux sociaux, cette plateforme est plus propice aux interactions entre inconnus. On y trouve pêle-même des nudes mais aussi des photos de pieds et de mains, qui se vendent aussi très bien."

Le poids des insultes

Pour parvenir à vivre de la vente de ces photos, et une fois contournée la modération des réseaux sociaux, encore faut-il faire face aux insultes. "Au début, je recevais essentiellement des critiques sur mon physique, sur mon poids...", raconte Chloé Sanchez. "J'ai mis deux ans à me rendre compte qu'il fallait que je passe au-dessus". Malgré les quelques outils proposés par les réseaux sociaux pour filtrer les remarques haineuses ou agressives, elle reconnaît se sentir démunie. "Bloquer les comptes est inutile. Il suffit de quelques minutes pour en recréer un. Masquer les mots-clés reste aussi peu efficace face au déferlement de commentaires. La meilleure technique reste de les ignorer". 

Même constat pour POLSKA, qui voit dans la vente de nudes une "limite à ne pas dépasser", mais poste néanmoins régulièrement des photos érotiques sur Twitter et Instagram. "J'ai appris à ignorer ces commentaires mais ils m'ont beaucoup touchée à une période. Il est arrivé que l'on contacte mon père, puis qu'on retrouve ma petite sœur de dix ans pour lui envoyer des photos à connotation sexuelle. On s'est beaucoup plus attaqué à ma famille qu'à moi en fin de compte". Une autre nudeuse, @longlivemanon, indique, elle, avoir vu le vent tourner en sa faveur. "Je n'ai jamais eu autant de succès que quand des dizaines de personnes se sont mises à m'insulter à la fois", relate-t-elle. "Et la plupart d'entre eux ont fini par me demander de leur vendre des photos !...".

Des sources de financement taries

Dernier casse-tête pour les nudeuses, et non des moindres: proposer un moyen de paiement fiable et qui ne leur prélève pas de commission trop importante. PayPal et Leetchi bloquaient déjà les comptes des travailleuses du sexe. Le Pot commun s'est tout récemment mis à faire de même, relayait StreetPress le 19 décembre. L'annonce joue essentiellement sur les camgirls, mais pèse aussi sur les nudeuses. "Je suis obligée de passer par Paysite cash, PayPal est devenu bien trop regardant", note l'une d'entre elles. "Certaines demandent des coupons PCS ou à passer par Transcash", fait quant à lui remarquer l'acheteur régulier. 

Et pour celles qui parviennent à recevoir de l'argent en échange de leurs photos, une étape reste à franchir: la déclaration de revenus. En septembre, et après avoir été interpellé sur Twitter, le fisc avait très sobrement expliqué de quelle manière s'y prendre, alors même que le prélèvement à la source avait déjà pris effet sur les salariés. Aux bénéfices liés à la vente de nudes correspond un formulaire: le bien nommé 2042 C PRO. Il permet au fisc de ponctionner directement un acompte sur le compte bancaire de la déclarante.

https://twitter.com/Elsa_Trujillo_?s=09 Elsa Trujillo Journaliste BFM Tech