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Protection des mineurs: en Allemagne, la police cible les contenus pornos sur Twitter

Plusieurs acteurs porno et modèles allemands ont reçu des lettres de la police leur signalant qu’ils publiaient illégalement du contenu à caractère sexuel sur Twitter.

Ils ont d’abord cru à un canular. Ces dernières semaines, des Berlinois ont eu la surprise de découvrir dans leur boîte aux lettres un courrier à en-tête de la police indiquant une infraction étonnante: ils auraient partagé illégalement du contenu pornographique sur internet. Bien que les termes soient flous, et que la loi exacte ne soit pas citée dans le texte d’à peine une page, ils ont fini par réaliser que leurs comptes Twitter étaient ciblés, comme le rapportent nos confrères de Wired qui ont interrogé trois internautes liés au milieu X ayant reçu ce type de lettre. Ils seraient plus d’une centaine au total à avoir reçu des remontrances officielles.

Liberté d’expression contre protection des mineurs

En théorie, Twitter fait pourtant partie des seuls réseaux sociaux où les contenus à caractère sexuel sont autorisés. Sauf qu’en 2022, l’Allemagne a adopté une loi interdisant de partager des contenus pornographiques en ligne sans attester de l’âge des utilisateurs y ayant accès. Le but: protéger les mineurs pouvant y être exposés. Twitter ne disposant pas d’un tel système de vérification, le pays interdit donc d’y publier des photos ou des vidéos porno.

En décembre, 32 affaires de partage illégal de pornographie ont été signalées au procureur général du Parquet, et 104 en mars, selon l’autorité des médias de Berlin et Brandenburg. Parmi les incriminés, le couple d’acteurs porno Tim et Julian Blesh, gèrent depuis six ans un projet porno amateur en parallèle de leur emploi principal. Un enquêteur les a finalement informés que la police détenait des captures d’écran de leur contenu, et qu’ils n’avaient pas pris les mesures nécessaires pour empêcher des mineurs de le visionner. Ils risqueraient aujourd’hui plusieurs milliers d’euros d’amende.

"Pourquoi ne serai-je pas autorisé, en tant qu’adulte, de décider ce que je souhaite voir sur internet, sous prétexte que Twitter n’est pas capable de mettre en place un système de vérification de l’âge", s’offusque Tim Blesh.

De nombreux créateurs de contenus auraient ainsi été contraints de quitter le pays depuis l’instauration de cette loi, selon la Free Speech Coalition, l’association professionnelle américaine de l’industrie pour adultes.

Amendes et suivi

Les contrevenants "sont passibles selon la loi d’un an d’emprisonnement ou d’une amende", détaille la directrice de communications et porte-parole de l’autorité médiatique berlinoise, Anneke Plass, interrogée par Wired. Mais selon elle, cette amende n’excède en général pas 300 euros, sans mener à des poursuites.

Mais les acteurs ne sont pas les seuls visés: deux lettres ont également été adressées en février à la chercheuse en pornographie Madita Oeming, qui utilisait jusqu’ici Twitter pour partager du contenu éducatif sur l’industrie pour adultes et le sexe - et pas d’images à caractère explicite. Elle s’est résolue à supprimer plus de 2000 tweets, et doit désormais employer un "officier de protection de l’enfance", à ses frais (environ 100 euros par mois) pour continuer d’être active sur le réseau social. “Depuis, je n’utilise plus Twitter comme par le passé. J’ai ressenti un fort sentiment d’être censurée”, affirme la spécialiste à Wired.

Police virtuelle

Dans sa fouille de l’immense boite de foin qu’est internet, les régulateurs allemands sont assistés depuis 2019 d’un outil qui fait appel à l'intelligence artificielle pour repérer les contenus problématiques, qu’il s’agisse d’extrémisme politique, de négationnisme, de violence ou de pornographie, donc. KIVI, c’est le nom de ce système, a été développé par l’autorité des médias du Haut-Rhin et de la Westphalie ainsi que par une entreprise privée basée à Berlin, avant que son utilisation ne se répande en Allemagne.

Cette technologie est capable de scanner les publications de sept réseaux sociaux dont Twitter, TikTok, YouTube, Telegram et VK (la version russe de Facebook). Elle n’est actuellement pas utilisée sur Facebook et Instagram, car ces réseaux sociaux restreignent déjà les contenus pornographiques. Pour identifier du contenu problématique, le système se base sur un mix de reconnaissance d’image et de texte, ensuite validé par un enquêteur humain. L’utilisation de KIVI aurait permis une accélération du nombre de détections de violations, qui ont atteint 5000 depuis 2021, d'après l’autorité des médias de Berlin et Brandenburg. Mais pour l’instant, impossible de savoir quels signalements découlent de la modération humaine, et lesquels peuvent être attribués à l’IA.

En France, une loi en préparation vise à instaurer une "majorité numérique" pour accéder aux réseaux sociaux. Le texte, qui doit encore passer devant le Sénat, prévoit que les jeunes entre 13 et 15 ans pourront encore s’y inscrire sous réserve d’une autorisation parentale. L’éventuel moyen permettant garantir cet âge limite n’a pour l’instant été fixé.

Lucie Lequier