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Espionnage, santé mentale: peut-on croire aux arguments de TikTok pour éviter l'interdiction?

L'application TikTok

L'application TikTok - Olivier Douliery

Lors de son audition par le Congrès américain, le PDG de TikTok a avancé des arguments bancals pour justifier de l’indépendance et de la sécurité de son application. Décryptage.

C’est ce qu’on appelle un sale quart d’heure. Le patron de TikTok, Shou Chew, défendait son entreprise jeudi 23 mars devant le Congrès américain, alors qu’une loi bipartisane, le RESTRICT Act, pourrait conduire à l’interdiction de TikTok aux Etats-Unis.

Le message est clair: pour éviter le bannissement, TikTok est sommé de respecter une longue liste d’impératifs en matière de protection des données et des utilisateurs, et surtout, de rompre les liens avec sa maison-mère chinoise ByteDance, également propriétaire du réseau social Douyin. Une position difficilement tenable pour le réseau social.

ByteDance est “une entreprise privée”

"Le gouvernement chinois ne possède pas et ne contrôle pas ByteDance", s’est défendu Shou Chew lors de son discours liminaire. "C'est une entreprise privée." Et de rappeler que la direction de TikTok compte à son bord plusieurs cadres américains.

Une défense qui vacille face aux déclarations du porte-parole du ministre du commerce chinois lundi qui annonce “s’opposer fermement” à la vente de TikTok, qui nécessiterait l’autorisation du gouvernement chinois, comme le rapporte le Wall Street Journal.

"Je fais partie de ceux qui ne croient pas qu'il existe réellement un secteur privé en Chine", a d’ailleurs rétorqué la représentante Anna Eshoo. Une loi chinoise sur le renseignement national contraint en effet les entreprises du pays à partager leurs données sur simple demande des autorités.

En réaction à cette audition, une porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a depuis assuré que Pékin "n’a jamais demandé et ne demandera pas aux entreprises ni aux individus de collecter ou de remettre des données provenant de pays étrangers, d'une façon qui violerait la loi locale".

Le Projet Texas, une barrière imperméable avec la Chine?

Comme solution face à ces inquiétudes, le patron de TikTok a réitéré les promesses du "projet Texas", qui prévoit d’héberger les données des utilisateurs américains uniquement sur le sol national, sur des serveurs du groupe texan Oracle.

"Les données américaines seront stockées sur le sol américain par une société américaine, surveillée par un personnel américain", a martelé Shou Chew.

Il a également annoncé le développement d’un "pare-feu", supposé protéger les données américaines de toute tentative d’incursion étrangère, et rappelé que l’application n’était pas disponible en Chine.

Mais dans le même temps, le dirigeant a reconnu que la plateforme possédait encore d'anciennes données d'utilisateurs américains actuellement accessibles sur des serveurs à des employés chinois.

Ce n’est pas la collecte des données elle-même qui inquiète les spécialistes qui ont étudié le code de l’application - qu’ils estiment semblable à celui des autres réseaux sociaux - mais davantage ce qu’il en advient une fois transmises aux serveurs de TikTok.

“Nous avons (...) spéculé sur de possibles mécanismes à travers lesquels le gouvernement chinois pourrait utiliser des techniques non-conventionnelles pour obtenir les données des utilisateurs en faisant pression sur ByteDance", a rappelé le président de l’association Citizen Lab, Ronald Deibert dans une déclaration publiée en amont de l’audition et citée par un membre du Congrès.

Dans les faits, le lieu de stockage d'une donnée n'est ainsi pas lié à la possibilité de la consulter depuis un autre endroit. Surtout, TikTok refuse toujours de s'engager à ne plus laisser les données des utilisateurs occidentaux accessibles depuis la Chine, y compris si elles venaient à être stockées aux Etats-Unis ou en Europe.

TikTok, un “safe space” pour les jeunes ?

Face aux critiques quant-à l’influence néfaste de l’application et de son “algorithme addictif” sur la santé mentale de ses jeunes utilisateurs, le PDG de TikTok a d’abord souligné les mesures mises en place, comme la limitation du temps de visionnage à 60 minutes pour les moins de 18 ans ou l’interdiction des messages privés en-dessous de l’âge de 16 ans. Mais à l’heure actuelle, il n’existe aucune vérification permettant de s’assurer de l’âge des utilisateurs, celui-ci restant déclaratif.

Si, sur les 150 millions d’utilisateurs de l’application aux Etats-Unis, près de la moitié ont moins de 30 ans, le dirigeant a aussi souligné que les plus de 35 ans l’utilisent de plus en plus massivement.

En attendant, les adolescents adeptes de l’application souffrent d’une anxiété et d’une dépression accrue, comme le suggère une étude publiée dans l'International Journal of Environmental Research and Public Health.

Contenus violents et désinformation

Le réseau social peine également à supprimer des contenus mettant en avant des défis dangereux, des tendances addictives ou suicidaires, mais aussi des vidéos de désinformation, y compris celles pouvant entacher le processus démocratique. Durant les élections américaines de mi-mandat, un rapport montre que TikTok a validé 90 % des contenus contenant des fausses informations, sans bannir les comptes les ayant publiés.

En retour, Shou Chew a mis en avant l’investissement massif dans la modération, mais a peiné à donner plus de précisions sur les avancées dans ce domaine.

Dans ce contexte, pas sûr que les arguments du président de TikTok, présentant l'application comme un outil d’émancipation, de création et de développement économique, fassent mouche auprès des élus américains, qui semblent plus que jamais déterminés à interdire l’application.

Lucie Lequier