Tech&Co
Tech

Sur Twitter, la déconcertante stratégie de l'ambassade de Chine en France

Lu Shaye, l'ambassadeur de Chine en France.

Lu Shaye, l'ambassadeur de Chine en France. - Martin BUREAU / AFP

"Petite frappe", "hyène folle", "troll idéologique"... Par une salvée de tweets, l'ambassade de Chine en France a ces derniers jours directement ciblé un chercheur français, jugé trop critique à l'égard de Pékin. Retour sur un incident twitto-diplomatique.

Les clichés de floraison printanière et d’inoffensives photos de vélos colorés à Beijing y côtoient les invectives les plus rudes. Le compte Twitter de l’ambassade de Chine en France, au ton peu diplomatique, s’est distingué ces derniers jours par des attaques ad hominem contre un chercheur français, ainsi qu’une série de piques à l’égard de la France et de ses responsables politiques.

Le point d’orgue de ces tensions a été atteint le 19 mars. Le compte de l’ambassade a alors ouvert les vannes contre Antoine Bondaz, chercheur français auprès de la Fondation pour la recherche stratégique, le qualifiant successivement de "petite frappe", de "hyène folle", de "troll idéologique", voire, indirectement, de "vilain", par ce qui s'apparente à la première attaque publique contre un universitaire français. En cause, des tweets de son fait dénonçant les pressions exercées par l'ambassadeur chinois pour dissuader un sénateur français de se rendre à Taïwan.

"Vous navez aucune autorité pour demander à des parlementaires français à ne pas aller à Taïwan", estimait notamment Antoine Bondaz, avant de narguer l'ambassade et ses "trolls". Une pique en règle qui aura valu au chercheur d'être qualifié de "petite frappe" par le compte officiel, suivi par près de 34.000 abonnés.

L’incident est remonté jusqu’au quai d’Orsay. Ce 22 mars, le ministère français des Affaires étrangères dénonçait les "propos inacceptables" de lambassade de Chine envers un chercheur et des parlementaires français, avant de convoquer l'ambassadeur, Lu Shaye.

Cette convocation a été suivie d'effets. Le compte a depuis calmé le jeu mais rien ne semble l'empêcher de mener sa campagne d'influence, à coup de tweets sur la beauté du Xinjiang, région dans laquelle la Chine est accusée de réprimer la minorité musulmane des Ouïghours, et de démentis sur un "prétendu" génocide mené dans cette province. Ou de bloquer, toujours sur Twitter un chroniqueur français de France Inter, pour s'être exprimé sur leur stratégie de communication "déroutante". En l'occurrence, Tristan Mendès-France.

Un tournant le 20 janvier

D'après Antoine Bondaz, ces excès ne sont pas le fruit d'un community manager trop zélé mais reflètent une politique mûrement réfléchie. Le chercheur, qui a depuis été visé personnellement par des articles de la presse chinoise (Global Times, ifeng) fait remarquer auprès de BFM Tech que le compte Twitter de l'ambassade, créé en septembre 2019, a multiplié par dix son nombre de publications mensuelles entre décembre et mars, pour passer de 70 tweets à l'époque à près de 700 ce mois-ci.

L'activité du compte est notamment passée au cran supérieur à compter du 20 janvier, date du discours du dirigeant chinois Xi Jinping sur la crise sanitaire. Le compte relaie depuis régulièrement des informations sur la réponse chinoise à la crise. "On y trouve aussi bien la reprise d'éléments de langage émanant de Pékin et traduits en français, que des initiatives propres à l'ambassade de Chine en France", relève Antoine Bondaz. "Et ces dernières, dont les insultes qui m'ont été adressées, font l'objet d'une validation par l'ambassadeur, Lu Shaye".

Ce même compte, qui se hisse parmi les plus agressifs d'Europe, est-il pour autant efficace? "Il reste pour l'heure bien moins suivi que celui de l'ambassade d'Inde et se dédie essentiellement à un public domestique, pour montrer ce qui se dit de la Chine en France", note Antoine Bondaz. "Les informations relayées sont parfois grossièrement élogieuses à propos de la Chine et peu crédibles. Mais ce n'est qu'un début et ces relais de désinformation sont amenés à prendre de l'ampleur".

Un raid numérique

Le chercheur fait par ailleurs remarquer que le goût prononcé de l'ambassade de Chine pour Twitter vient compléter une politique déjà menée sur YouTube, et des revues dédiées, dont la revue "Dialogue Chine-France" qui restent plus influentes à elles seules que toutes les initiatives menées en ligne. "Ce qui est certain, c'est que les initiatives lancée en France sont singulières. Notamment le fait de m'insulter à plusieurs reprises personnellement, en tant que chercheur, sans jamais contredire mes arguments".

Leur ligne éditoriale leur a valu un raid numérique, mené par les "Pessi", une nouvelle génération de trolls en ligne qui se distingue par des opérations coordonnées pour mieux submerger des comptes de personnalités et d’institutions de messages absurdes. En quelques heures, un tweet pourtant inoffensif de l’ambassade de Chine recevait le 20 mars plus de 27.000 réponses sans réel fondement, avec pour seul but de rendre le compte ingérable... le temps de quelques heures seulement.

D'après des observations réalisées par le hacker français Baptiste Robert, et transmises à BFM Tech, certains de ces "Pessi" figurent parmi les comptes ayant le plus interagi à ce jour avec le compte de l'ambassade de Chine à Paris, en un seul raid. De quoi relativiser, pour le moment, l'influence du compte chinois.

https://twitter.com/Elsa_Trujillo_?s=09 Elsa Trujillo Journaliste BFM Tech