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Superman, 80 ans et beaucoup d'argent

Le super héros venu de Krypton a rapporté des milliards de dollars à son éditeur DC Comics (filiale de Time Warner), mais beaucoup moins à ses deux auteurs, Jerry Siegel et Joe Shuster.

Il ne les fait pas, mais Superman a eu 80 ans cette année -un anniversaire célébré par le Comic Con qui se tient à Paris ce week-end.

En effet, sa première aventure est parue dans l'édition de juin 1938 de Action Comics publié par DC Comics (pour Detective Comics). Quelques mois plus tôt DC Comics avait embauché deux auteurs de bandes dessinées, Jerry Siegel et Joe Shuster, avec une rémunération de 10 dollars par page livrée. Le duo propose rapidement à son nouvel employeur le personnage de Superman, sur lequel ils travaillent depuis 1933, mais dont aucun éditeur ne voulait.

Succès immédiat

Le succès est immédiat, et commence à générer beaucoup d'argent. En 1939, DC augmente la rémunération du duo à 20 dollars par page, plus 5% des revenus nets des produits dérivés. Au total, entre 1938 et 1947, Jerry Siegel et Joe Shuster empochent 400.000 dollars (5,4 millions de dollars en valeur actualisée) grâce à leur super héros.

De nombreuses batailles de gros sous apparaissent alors. En 1947, le duo attaque DC Comics, lui reprochant notamment de ne pas avoir payé son dû sur les produits dérivés. Finalement, un accord amiable est trouvé, selon lequel DC leur verse 94.013 dollars (soit près d'un million de dollars d'aujourd'hui). 

Mais, selon la loi, les droits octroyés à DC expirent au bout de 28 ans, soit en 1966, et doivent être alors renouvelés par les auteurs. Les deux auteurs s'engouffrent dans cette brèche, mais en vain: la justice estime que les deux auteurs ont bien octroyés à DC tous leurs droits en 1947, y compris le renouvellement.

Le jackpot de Marlon Brando

Dans les années 70, Superman redevient à la mode. Warner (qui a entretemps racheté DC Comics) se lance dans une adaptation sur grand écran avec Christopher Reeve et Marlon Brando. Ce dernier obtient un contrat en or pour seulement deux semaines de tournage: un cachet de 3,7 millions de dollars, plus 11,75% des bénéfices du film. C'est le jackpot: le film rapporte plus de 300 millions de dollars, soit six fois son budget (55 millions). Mais Marlon Brando fera quand même un procès, prétendant ne pas avoir touché assez...

Toutefois, avant la sortie du film, Jerry Siegel s'en désolidarise et affirme vivre dans la misère. Pour mettre fin à ce buzz négatif, DC propose un accord amiable en 1975 à Jerry Siegel et Joe Shuster: une somme forfaitaire de 17.500 dollars chacun, plus une rente annuelle de 20.000 dollars chacun (qui sera ensuite portée à plus de 125.000 dollars), ainsi qu'une couverture médicale à vie.

Mais le filon cinématographique, après ce succès initial, s'épuise. Superman II (1981) ne rapporte que 108 millions de dollars, et Superman III (1983) 60 millions. Warner jette l'éponge, mais la mini-major Cannon de Menahem Golan et Yoram Globus reprend le flambeau, et achète les droits pour 5 millions de dollars. Mais, en pleine déconfiture, la Canon n'arrive à réunir qu'un budget de 17 millions de dollars, et sort en 1987 un film fauché aux effets spéciaux grotesques. Logiquement, Superman IV fait un bide intergalactique. Christopher Reeve range sa cape au vestiaire pour de bon, et Superman ne reviendra pas sur grand écran avant vingt ans. 

Les hostilités sont rouvertes

Entre-temps, en 1976, les Etats-Unis adoptent le Copyright act, une nouvelle loi sur le droit d'auteur qui permet à des auteurs de révoquer les droits octroyés à leur éditeur. Après la mort de Jerry Siegel en 1996, sa veuve Joanne et sa fille Laura rouvrent donc les hostilités, en s'appuyant sur cette nouvelle loi pour dénoncer les droits de DC.

En 2001, un nouvel accord amiable est apparemment trouvé. DC accorde aux Siegel 6% des revenus bruts de Superman, plus 1% des ventes d'albums de DC Comics, avec un plancher minimal de 500.000 dollars par an sur dix ans, ainsi qu'un bonus d'un million de dollars (le cabinet d'avocats des Siegel prélevant au passage 5% de toutes ces sommes...).

"Comme la Gestapo"

C'est là qu'apparaît Mark Toberoff, à la fois avocat, producteur de films (via sa société Pacific Pictures) et gestionnaire de droits d'auteur (via sa société IP Worldwide). Il approche les Siegel, et leur fait miroiter une offre de rachat de leurs droits pour 15 millions de dollars (offre qui n'aboutira jamais). Les Siegel disent alors à DC Comics que l'accord amiable de 2001 ne tient plus. La veuve Joanne Siegel envoie une lettre au vitriol au patron de Time Warner Dick Parsons:

"Depuis plus d'un demi siècle, DC Comics bénéficie d'importants profits provenant des créations de mon défunt mari. Nous avons vécu dans la pauvreté pendant une grande partie de cette période. Mais l'entreprise n'est toujours pas satisfaite. La bête a encore plus faim. Comme la Gestapo, votre société veut nous dépouiller de nos droits. Est-ce moral?
Ma fille handicapée n'a toujours pas reçu la couverture médicale qui lui avaient été promise il y a plusieurs années.
Le contrat [que vous proposez] montre que Time Warner et DC Comics sont des entreprises cupides sans moralité".

Un long procès s'en suit. Finalement, en 2013, la justice dit que l'accord amiable de 2001 est bien valide, et donc que DC détient bien les droits.

Le retour du guerrier

Entre-temps, Superman reste éloigné du grand écran, mais a trouvé refuge à la télévision, avec un certain succès. C'est d'abord Lois et Clark (4 saisons entre 1993 et 1997) avec Dean Cain, présent au Comic Con ce week-end. Puis Smallville avec Tom Welling (10 saisons entre 2001 et 2011).

Warner retente donc l'expérience du grand écran. C'est Superman returns, interprété par Brandon Routh, sorti en 2006. Avec seulement 374 millions de dollars de recettes, c'est un bide relatif, qui renvoie illico Brandon Routh dans l'oubli.

Warner met sept ans à digérer cet échec, et retente sa chance en 2013 avec Man of steel, où la cape rouge est reprise par Henry Cavill. Le succès est à nouveau là, avec 668 millions de dollars de recettes. Trois ans plus tard, Batman vs Superman fait encore mieux: 868 millions de dollars de recettes.

Au total, les films Superman ont engrangé 2,4 milliards de dollars de recettes. Mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Il faut aussi y ajouter les bandes dessinées. Le record est détenu par The death of Superman en 1992, qui a rapporté 30 millions de dollars. Son auteur, Dan Jurgens, sera d'ailleurs au Comic Con ce week end. A tout cela s'ajoute les produits dérivés. Selon The licencing letter, notre super héros a rapporté à lui seul 722 millions de dollars de chiffre d'affaires en 2017.

Jamal Henni