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Schiappa, Ménès: qui sont les "Pessi", ces "justiciers" du Web qui enchaînent les raids numériques

Illustration du symbole des "Pessi", reprenant les traits du joueur de football Lionel Messi

Illustration du symbole des "Pessi", reprenant les traits du joueur de football Lionel Messi - BFMTV

Tous francophones, regroupés par équipes restreintes et d'une redoutable efficacité, des trolls d'un nouveau genre se faisant appeler "Pessi" sévissent sur Twitter.

Ils arborent un selfie du joueur de football Lionel Messi - chauve - comme signe de ralliement. Leurs actions en ligne, coordonnées, prêtent pourtant peu à rire pour les profils ciblés. Ces derniers jours, les comptes Twitter de l'Ambassade de Chine en France, de Marlène Schiappa ou encore de Pierre Ménès se sont retrouvés noyés sous des flots de commentaires. Derrière ces opérations d'intimidation numérique, de jeunes internautes se faisant appeler les Pessi - une contraction de penalty et de Messi, moqué pour sa propension à rater ses tirs.

Le mouvement a débuté en fin d'année dernière, comme un gag. Les premiers Pessi, footeux dans l'âme, s'amusaient à réagir, avec leurs propres codes, aux tweets du compte ActuFoot, aux 2,8 millions d'abonnés. Il s'est depuis étoffé, à la faveur de la création de "FC", l'équivalent d'équipes en ligne.

"Chaque FC devait réaliser le plus gros raid pour être la meilleure équipe", explique l'un d'entre eux à BFMTV, les raids étant des opérations coordonnées à destination d'un ou de plusieurs comptes.

Une quarantaine de "FC"

Ces FC, du "FC Gênant" au "FC Hominisme" en passant par le "FC Boulangerie" sont désormais une bonne quarantaine. Tous indépendants, ils rassemblent des internautes jeunes, francophones et qui peuvent parfois se rallier pour "défendre des causes justes, sans insultes, pacifiquement" à coup de "paroles de chansons" ou d'expressions bien à eux, résume un membre de la communauté Pessi.

Pour cela, les Pessi jouent avec les règles de Twitter, qu'ils maîtrisent. Plusieurs possibilités s'offrent à eux: ensevelir des profils sous des flots de commentaires inoffensifs, qui ne sont donc pas modérés par le réseau social mais qui rendent l'utilisation de ces comptes quasi impossible; rassembler leurs forces pour faire remonter des sujets en "trending topics" et donner artificiellement de l'importance à des causes qui en ont à leurs yeux; signaler en masse des comptes, en espérant que Twitter les suspende. Mila, la jeune fille harcelée par des islamistes en a fait les frais, avant que son compte soit rétabli. Twitter avait alors reconnu une "erreur".

Plus concrètement, l'action des Pessi se résume à l'organisation de raids numériques destinés à polluer le compte d'une personnalité ou d'une institution, selon l'actualité. Parmi leurs cibles figurent Jean Messiha, homme politique d'extrême-droite habitué des plateaux de télévision, mais aussi l'Ambassade de Chine en France. En fin de semaine dernière, près de 27.000 réponses ont été formulées à un seul tweet de l'ambassade, plongeant les responsables du compte dans une forme de brouillard numérique. Les Pessi ont été quelques milliers à contester le sort réservé à la communauté ouïghoure par la Chine.

Dernières cibles en date du mouvement: Marlène Schiappa, la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, qui a temporairement basculé son compte en privé avant de déposer plainte, le premier ministre Jean Castex mais aussi Pierre Ménès, le journaliste sportif de Canal+ mis en cause pour ses comportements déplacés à l’égard des femmes. Le mot d’ordre de l'opération: "Pas d’insulte ou de menace de mort, soyez de bons Pessi".

De prochaines cibles

"Le but du raid d'hier était de mettre la pression sur Canal+ pour montrer que ce genre d'impunité est intolérable (celle de Pierre Ménès, ndlr), et, dans un premier temps, de faire restreindre le compte visé", explique l'un des participants à BFMTV. "On ne 'raid' pas comme ça pour amuser la galerie", se défend-il. "L'idée est surtout de faire bouger les choses en faisant passer un sujet parmi les thèmes les plus discutés sur Twitter en France".

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin serait le prochain sur la liste, en raison des accusations d’agression sexuelle qui planent sur lui. A en croire les tweets de Pessi diffusés ces dernières heures, un raid est prévu contre lui dans la soirée de ce 23 mars.

D'après un observateur du secteur, les Pessi se distinguent par leur coordination mais aussi par le volume de messages émis pour servir une cause. Surtout, Twitter reste démuni face à ce mouvement, les commentaires publiés, bien souvent loufoques, ne tombant pas sous le coup de sa modération.

"On a un message assez simple", avertit Eric Freyssinet, chef du pôle national de lutte contre les cybermenaces au sein de la Gendarmerie nationale. "Ce type d'actions coordonnées est susceptible de constituer une infraction pénale, de harcèlement ou de signalement frauduleux à une plateforme (suivant le mode opératoire), et donc on y est évidemment attentifs, en capacité de recevoir des plaintes pour des personnes qui en seraient victimes. Nous déconseillons fortement de se livrer à de tels agissements, quelles qu'en soient les motivations."

Pour rappel, les raids numériques sont punis par une loi de 2018, défendue par Marlène Schiappa, pour mieux lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Les instigateurs de telles opérations encourent jusqu’à trois ans de prison et 45.000 euros d’amende. Sont plus spécifiquement punis les raids menés à des fins de cyberharcèlement, dès lors que la preuve d'une action coordonnée est apportée. Malgré la teneur absurde de leurs messages, les Pessi pourraient ne pas passer entre les mailles du filet.

https://twitter.com/Elsa_Trujillo_?s=09 Elsa Trujillo Journaliste BFM Tech