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Quand Philippe Meyer et France Culture se disputent "L'esprit public"

L'animateur a fait la paix avec son ancien employeur

L'animateur a fait la paix avec son ancien employeur - AFP Patrick Kovarik

SÉRIE DE NOËL: LES STARS DANS LE PRÉTOIRE. Philippe Meyer, après la suppression mi-2017 de son émission L'esprit public sur France Culture, a lancé un podcast baptisé Le nouvel esprit public de Philippe Meyer. Ce que la radio publique a contesté, mais en vain...

Lors de son passage à la tête de Radio France, Mathieu Gallet a fait partir de l'antenne plusieurs vétérans, comme Ivan Levaï (81 ans aujourd'hui), Daniel Mermet (76 ans) ou Philippe Meyer (70 ans). Ce dernier animait depuis 1997 l'émission dominicale L'esprit public.

Dans l'émission du dimanche 28 mai 2017, l'animateur lit à l'antenne un courrier que lui a envoyé son employeur quelques jours plus tôt:

"Ainsi que je vous l'ai indiqué lors de notre entretien du 12 mai dernier, la conception de la nouvelle grille de programmes de France Culture nous conduit à modifier ou à renoncer à certaines émissions. Dans ce contexte, je vous confirme que l'émission L'esprit public, dont vous êtes le producteur, ne sera pas reconduite sur la grille de rentrée 2017/2018. Nous n'avons pas d'autres émissions à vous proposer. Votre collaboration à Radio France cessera donc au terme du préavis d'une durée trois mois".

Une surprise surprenante

Le lendemain, la directrice de France Culture Sandrine Treiner explique: "Des discussions sont engagées entre Philippe Meyer et Radio France depuis deux ans, les discussions aboutissent aujourd'hui. Ce qui m'étonne, c'est que Philippe Meyer s'en soit étonné ou ému puisque cela faisait partie des discussions qu'il avait avec Radio France".

Peu après, le médiateur de Radio France Bruno Denaes enfonce le clou: "Philippe Meyer est informé depuis deux saisons de la fin de son émission. Il ne peut donc pas en être surpris. Le médiateur ne peut qu’être surpris des méthodes utilisées par un producteur, à savoir profiter de son émission, de l’antenne et du site de France Culture pour lire des courriers privés et alarmer inutilement les auditeurs. Le procédé –non professionnel– consistant à profiter de son micro avait déjà été utilisé [par Philippe Meyer] en février 2017 lors du retrait de Jean-Louis Bourlanges".

Plus tard, le médiateur ajoutera même: "cette opération de victimisation consiste à dévoiler un simple courrier privé et administratif sur l’antenne, sans donner toutes les explications sur la réalité des faits… Je comprends évidemment que la lecture, brute, de cette lettre ait suscité de l’émotion; c’est d’ailleurs ce qui était recherché par Philippe Meyer".

Toutefois, contrairement à Daniel Mermet qui attaquera victorieusement son employeur aux prud'hommes, Philippe Meyer préfère conclure une transaction amiable en août 2017 (interrogé à plusieurs reprises sur les conditions de son départ, Philippe Meyer n'a pas souhaité répondre).

Radio France voit rouge

En septembre 2017, L'esprit public reprend sur l'antenne de France Culture, présentée désormais par Emilie Aubry. Mais, parallèlement, Philippe Meyer décide de poursuivre son émission en podcast sur le web avec une partie de ses anciens chroniqueurs. Plusieurs titres sont utilisés pour ce podcast: L’esprit public de Philippe Meyer, L’esprit public en peau de caste et Le nouvel esprit public de Philippe Meyer -c'est ce dernier titre qui sera finalement retenu. 

Radio France voit rouge, et envoie une mise en demeure à l'animateur, lui rappelant avoir déposé la marque Esprit public, et lui interdisant de diffuser son podcast. Philippe Meyer contestant cette mise en demeure, Radio France l'attaque en référé, l'accusant de contrefaçon, réclamant 35.000 euros et l'interdiction de l'utilisation du terme Esprit public.

Mais les radios publiques sont déboutées, et condamnées à rembourser à l'animateur 5.000 euros de frais de procédure. Pour le tribunal,

"il n’est pas établi que M. Philippe Meyer ait utilisé le terme Esprit public seul pour nommer son émission.
Il existe une différence importante avec le signe objet de la marque [L'esprit public] du fait de l’adjonction du nom du journaliste qui en modifie la construction et la longueur.
Pour ce qui est du titre définitif de l’émission Le nouvel esprit public de Philippe Meyer, le fait d’introduire la locution par l’adjectif nouvel signe une rupture avec le signe de la marque et permet au consommateur de comprendre qu’il existe une différence entre les signes.
Ainsi il n’existe aucune confusion possible pour le public.
Enfin et surtout, M. Philippe Meyer n’utilise pas le signe Le nouvel esprit public de Philippe Meyer à titre de marque mais seulement comme titre de la nouvelle émission qu’il anime".

Toutefois, Radio France gagne sur plusieurs points. La justice reconnaît que les radios publiques sont bien titulaires de la marque L'esprit public. Ce point était contesté par Philippe Meyer, qui affirmait avoir trouvé tout seul le titre et le concept de l'émission, produisant à l'appui une attestation de Michel Boyon, président de Radio France lors de la création. 

Les juges ajoutent que Radio France restera propriétaire de la marque Esprit public. En effet, Philippe Meyer avait plaidé que la marque devait être retirée aux radios publiques, car, France Culture, en poursuivant l'émission sans lui, utilisait la marque de manière "trompeuse et déceptive".

Nom de domaine

Furieuse, Radio France fait appel, mais là encore en vain. Pour les juges,

"La marque verbale déposée L'esprit public se compose de deux mots alors que le signe utilisé par M. Meyer est beaucoup plus long et plus complexe. Phonétiquement, il en résulte une absence de risque de confusion même pour un auditeur peu attentif. Ainsi, les signes adjoints permettent au public de ne pas commettre de confusion entre ces émissions".

Toutefois, là encore Radio France gagne sur plusieurs points. D'abord, la justice estime que l'utilisation par Philippe Meyer du nom de domaine www.lespritpublic.com est "vraisemblablement contrefaisant". L'animateur se voit donc interdire de continuer à utiliser ce nom de domaine, et est condamné à payer 1000 euros de dommages à Radio France. En revanche, il peut conserver le nom de domaine www.lenouvelespritpublic.fr.

Ensuite, Philippe Meyer arguait que le dépôt de la marque Esprit public par Radio France était frauduleux, car "son licenciement a été fondé sur une cause [l'arrêt de l'émission] qui s'est révélée après coup fallacieuse". Mais il se fait renvoyer dans ses buts par la cour d'appel: "les conditions du licenciement de M. Meyer, qu'il juge frauduleuses, ont fait l'objet d'un protocole entre les parties". 

Comptes non publics

Entre temps, Philippe Meyer a lancé deux campagnes de financement participatif pour son podcast sur Ulule puis KisssKissBankBank, qui ont rapporté au total 146.915 euros. Il propose aussi des abonnements à 5 euros par mois. Interrogé, il refuse de dire combien il a récolté d'argent au total, ou combien d'abonnés il a recrutés. Et l'entreprise qu'il a créé en octobre 2017 pour recueillir cet argent, Le Phoenix SASU, n'a toujours pas déposé ses comptes. Les campagnes de crowfunding indiquent juste que chaque émission coûte 3.000 ou 3.500 euros à produire, soit 156.000 à 168.000 euros par an. Interrogé, l'animateur se contente juste de déclarer: "le Nouvel esprit public n’est pas encore trouvé à l’équilibre. Mais je reste persuadé que le podcast est un moyen d’expression d’avenir".

Pour sa part, Radio France indique: "suite à l'arrêt de la cour d’appel, Radio France et Philippe Meyer se sont entendus par accord pour mettre un terme définitif à leur différend". 

Jamal Henni