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Quand Cauet plaisante sur Auschwitz

Le dérapage alimentera un différend avec Arthur

Le dérapage alimentera un différend avec Arthur - AFP Thomas Samson

SÉRIE DE NOËL: LES STARS DANS LE PRÉTOIRE. En 1995, l'animateur compare le camp de concentration à une "maison de campagne". Licencié pour faute grave, il conteste son licenciement jusqu'en cassation, mais en vain.

Nous sommes le 27 janvier 1995. Depuis un an et demi, Sébastien Cauet anime différentes émissions sur Fun Radio, dont la matinale. Ce jour-là, l'animateur fait une plaisanterie douteuse:

"C'est le rêve de pas mal de gens, les maisons de campagne. J'en ai une très sympa à vous proposer qui est en vente actuellement. J'en ai une très, très belle. Je vous ai ramené la photo. [Cauet rit] J'ai vu ça dans le journal. C'est une maison de campagne qui est à l'abandon maintenant. Il faut retaper la toiture. Je lis très très mal l'allemand. Ca s'écrit Aus... Auschwitz. Je ne sais pas dans quel coin ça se trouve..."

Un mois plus tard, Cauet est licencié pour faute grave. Selon son contrat, il doit alors toucher un indemnité de 0,75 mois de salaire.

L'animateur rebondit vite, et retrouve du travail en animant dès août 1995 les avant soirées de Skyrock à la place de Tabata Cash. Fun voit alors rouge, car Cauet avait signé une clause de non concurrence d'une durée d'un an, soit jusqu'en février 1996. Fun lance alors une procédure en référé devant le tribunal de commerce de Paris, qui lui donne raison. Pour les juges, "le fait d'employer un salarié que le sait lié par une clause de non concurrence est un acte de concurrence déloyale". Skyrock est donc condamné à verser 4.500 euros à Fun. Mais, magnanime, le tribunal décide de réduire de deux mois la durée de la clause, au motif "l'animation radio est le seul gagne pain de Cauet".

"Consternant de bêtise"

Entretemps, Cauet a lui aussi lancé une autre procédure contre Fun pour contester son licenciement. Avec succès dans un premier temps: en 1996, les prud'hommes de Nanterre jugent son licenciement "abusif" et lui accordent 36.634 euros.

Furieuse, Fun conteste ce jugement. Devant la cour d'appel, Cauet argue que Benoît Sillard, le patron de Fun, "encourageait un esprit de dérision, et n'a réagi à ses propos seulement que pour des raisons tenant à la survie de Fun". Autre argument: en réalité, sa plaisanterie "avait pour but d'alerter l'attention des jeunes qui ignorent la réalité de ces événements", et que "ce but était parfaitement clair à l'audition de l'intégralité de l'émission". 

Mais Cauet ne convainc pas la cour, qui juge justifié le licenciement pour faute grave:

"les propos tenus se sont avérés consternants par leur bêtise, et de nature à scandaliser gravement les auditeurs, en ce que M. Cauet présentait des événements profondément dramatiques dans un esprit de dérision et de moquerie. Ces propos ont gravement choqué les auditeurs qui n'ont retenu qu'un persiflage s'appliquant au drame des camps de concentration. Un animateur expérimenté, appelé à s'adresser à un auditoire jeune et qui s'exprime librement, doit savoir juger de ses responsabilités avec suffisamment de lucidité pour ne pas risquer, par des plaisanteries déplacées, de faire croire qu'il tourne en dérision des événements profondément attentatoires à la vie et à la dignité d'une catégorie d'être humains". 

Excuses répétées

Mais Cauet ne lâche pas l'affaire, et se pourvoit en cassation. Il argue que "la direction de Fun aurait dû mieux contrôler ses prestations, et donc ne pouvait lui reprocher d'avoir commis une faute grave". Mais les juges ne sont pas convaincus, et déboutent Cauet. 

Depuis, Cauet n'a cessé de s'excuser de ce dérapage. Devant la cour d'appel, il assure "regretter sa maladresse dans la mesure où ses propos ont été mal compris et auraient choqué certains auditeurs". En 2001, il ajoute: "A l'époque, j'avais 23 ans, beaucoup de succès et finalement peu d'expérience. Si vous filez une voiture à un gosse qui n'a pas le permis, il grillera sans doute un jour ou l'autre un feu rouge!" 

Arthur "fournit une prestation intellectuelle"

Presque dix ans plus tard, Cauet fait la paix avec Fun et revient à l'antenne à la rentrée de septembre 2004. Une arrivée qui rend furieux Arthur, qui anime déjà les fins d'après-midi de la même station: 

"Je ne veux pas que mon nom et mon image soient associés à quelqu'un qui a dérapé sur les camps de concentration. Face à la banalisation des thèses négationnistes, je ne peux pas cohabiter sur une antenne radio avec quelqu'un qui compare le camp d'Auschwitz à un club de vacances."

Mi-août 2004, avant même l'arrivée de Cauet à l'antenne, Arthur saisit donc la justice pour résilier son contrat avec Fun (qui courrait jusqu'à mi-2005), et obtenir 800.000 euros de dommages (somme qu'il portera ensuite à 1,1 million d'euros). Avec cet argument: "Arthur, devenu la figure emblématique de Fun, ne peut accepter d’associer son image à celle de Cauet, dont il ne partage pas les valeurs. Arthur fournit une prestation intellectuelle, et ne peut donc concevoir et animer en direct ses émissions en toute sérénité, dans des conditions de proximité physique avec Cauet et son équipe". En outre, Arthur affirme que Fun, en recrutant Cauet, veut en réalité le pousser à partir, car l'émission d'Arthur "ne rapporte pas les recettes publicitaires escomptées au regard de son coût".

Arthur réclame sa libération

Malgré cela, Fun le somme de reprendre l'antenne dès le 1er septembre. Arthur traîne des pieds et ne reprend le micro que le 6 septembre, et dézingue son employeur à longueur d'émission. Comme l'écriront plus tard les juges: 

"malgré les avertissements qui lui ont été faits, Arthur a adopté, lors des émissions enregistrées en direct les 6, 7 et 8 septembre 2004, une attitude déloyale envers Fun, en se présentant comme prisonnier de ses “employeurs” traités de manière injurieuse, en sollicitant sa libération, et en se servant des auditeurs pour faire pression sur la direction de Fun. Cette revendication de libération était devenue le seul thème de l’émission, faisant l’objet d’un véritable matraquage de la part d’Arthur et de ses co-animateurs, d’une sollicitation continue des auditeurs appelés à intervenir à l’antenne, et d’un manque de respect systématique des dirigeants de Fun Radio".

Le 9 septembre, Fun craque, suspend l'émission, et déclare avoir "été particulièrement choquée qu'un animateur se serve des auditeurs pour régler ses rancoeurs personnelles et trouve intolérable qu'Arthur, demandant sa liberté, transforme l'antenne qui le rémunère en un forum de dénigrements. Il est obscène qu'il mette en cause les personnes". La station du groupe RTL réclame à son tour un million d'euros de dommages à son ex-animateur. Arthur répond: "Le mensonge, la trahison et la défense de mes propres convictions m'ont conduit depuis plusieurs mois à demander à Fun de cesser notre collaboration"

Pas de clause de conscience

Finalement, le tribunal de grande instance de Paris résilie le contrat aux "torts exclusifs" d'Arthur, et le condamne à payer à Fun 3.000 euros de frais de procédure. Il estime qu'Arthur a commis la faute de ne reprendre son émission que le 6 septembre, puis en dénigrant son employeur à l'antenne. Pour les juges:

"Aucune clause du contrat ne confère à Arthur la faculté de s’opposer à l’intervention sur Fun d’un autre animateur choisi par Fun, et notamment de Cauet. Ce même contrat ne contient aucune clause de conscience imposée à Fun par Arthur. Ainsi, les convictions personnelles d'Arthur, aussi respectables soient-elles, n’entraient pas dans le champ contractuel. 
Au surplus, le tribunal ne peut pas déterminer les causes du conflit entre ces deux animateurs, la référence à des valeurs différentes n’étant pas vérifiable, alors qu’il n’est pas prouvé qu’à l’époque des propos tenus en janvier 1995 par Cauet à l’antenne de Fun, Arthur ait pris une position publique d’opposition, et que Cauet ait perduré dans de tels errements à caractère raciste ou antisémite.
Par ailleurs, Arthur ne démontre pas en quoi l’animation par Cauet d’une émission matinale sur Fun Radio rendrait plus difficiles, voire impossibles, les conditions tant matérielles qu’intellectuelles de la production et de l’animation de l’émission d’Arthur.”

Arthur ne reste pas longtemps sur le carreau, et rejoint Europe 2 fin 2004. Et finalement, les deux animateurs se réconcilieront deux ans plus tard. 

Jamal Henni