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"Outrage en ligne": une amende est-elle vraiment prévue en cas de message "offensant" sur Twitter?

Un nouveau délit est prévu dans le projet de loi de "sécurisation de l'espace numérique", qui devrait être adopté début avril. Mais il pourrait ne jamais être appliqué.

Une entrave à la liberté d'expression? Après un long parcours à l'Assemblée nationale, au Sénat, puis en commission mixte paritaire (CMP), le projet de loi visant à "sécuriser" l'espace numérique s'apprête à être définitivement adopté par le parlement le 10 avril prochain. Un texte très médiatisé, puisqu'il porte deux mesures chères au gouvernement: le bannissement numérique et la vérification d'âge sur les sites pornographiques.

Mais un amendement rédigé par le sénateur centriste Loïc Hervé est venu intégrer un nouvel élément au texte, à l'article Article 5 bis, un "délit d'outrage en ligne", sanctionné par une amende forfaitaire délictuelle (AFD). Une procédure qui permet de sanctionner des faits, sans passer par un procès.

Réseaux sociaux et messageries visés

"Est puni de 3.750 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement le fait [...] de diffuser en ligne tout contenu qui soit porte atteinte à la dignité d’une personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante", précise ainsi le texte.

Comme le rappelle Mediapart, la portée de cet article est pour le moins large, puisque l'ensemble des outils de communication en ligne sont visés. Les réseaux sociaux, comme Twitter ou Facebook, les plateformes de partage de vidéo, mais également les messageries privées.

D'après le projet de loi, partager un message injurieux, dégradant ou offensant sur un réseau social, mais aussi dans une boucle privée Whatsapp, pourrait donc conduire à une telle amende.

Le gouvernement opposé à la mesure

Une ambition large, qui pourrait toutefois être censurée par le Conseil constitutionnel, en raison du caractère subjectif de la définition de tels contenus.

Comme le rappelle Mediapart, le Conseil constitutionnel a déjà fait savoir que des amendes forfaitaires délictuelles, qui ne dépendent donc pas de l'appréciation d'un juge, ne peuvent s'appliquer qu'à des faits "aisément constatables".

Concrètement, une censure de cet article par le Conseil constitutionnel pourrait donc intervenir après l'adoption du texte. C'est d'ailleurs la principale crainte du gouvernement, qui assure toutefois à Tech&Co partager l'ambition de l'article.

"Bien que nous partagions évidemment les objectifs, nous sommes beaucoup plus dubitatifs sur la sécurité juridique et constitutionnelle de la démarche", estime le cabinet de Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique, auprès de Tech&Co.

"Prendre le risque d'une censure ou d'une mesure non opérationnelle, c'est aussi prendre le risque d'accroître le sentiment d'impunité dans l'espace numérique", assure-t-il.

L'application d'amendes forfaitaires délictuelles avait justement été vivement critiquée par la Défenseure des droits, en mai 2023, qui recommandait de faire disparaître ce dispositif. A ses yeux, il implique notamment un "risque d’arbitraire" et des "erreurs de qualification des faits".

Raphaël Grably