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Le futur du jeu vidéo? On a testé le premier jeu dont les personnages sont des intelligences artificielles

Grâce à l'intelligence artificielle générative, Ubisoft a totalement repensé le rôle des personnages non jouables dans les jeux vidéo. Et nos premiers essais sont plutôt encourageants.

Des jeux de plus en plus beaux, des mondes de plus en plus vastes, remplis de personnages et d'activités à ne plus quoi savoir en faire. Le jeu vidéo profite des avancées technologies pour faire des bonds de géant en réalisme et possibilités ces derniers temps. A se demander quelle révolution il peut encore préparer.

La semaine passée, lors de la conférence des développeurs GDC à San Francisco (Californie), Ubisoft a sans doute apporté un bout de réponse avec la présentation de Neo NPC, son IA générative conçue pour animer des personnages non jouables (PNJ). Une annonce, suivie d'une démonstration impressionnante, qui emboîte le pas à Nvidia Ace montré en janvier lors du CES de Las Vegas. Et une idée commune: rendre intelligents et utiles des personnages secondaires. Tech&Co a déjà pu prendre en main ce futur du jeu vidéo.

De l'imprévu dans le jeu

"On s'est demandé ce qui pourrait être intéressant pour nos joueurs si on créait ces personnages et qu'on les rendait intelligents grâce à l'IA générative. Et si on pouvait interagir avec eux, collaborer, faire des stratégies", explique à Tech&Co Virginie Mosser, directrice narrative du projet et membre de ce groupe de R&D d'Ubisoft comprenant une trentaine de personnes, dont des data scientists et des créatifs.

"L'idée n'est pas de faire ça avec tous les PNJ, mais de voir ce qui manque et qu'on aimerait apporter pour rendre l'expérience unique, personnalisée et adaptée au joueur, à sa façon de jouer."

Chaque conversation entre le joueur et le Neo PNJ sera de fait unique puisqu'elle n'est pas scriptée et que les demandes des joueurs au PNJ sont ainsi imprévisibles, tout comme les réponses à l'IA de ce dernier.

La 3e mission des démos Neo NPC consiste à élaborer une stratégie pour pénétrer dans une maison
La 3e mission des démos Neo NPC consiste à élaborer une stratégie pour pénétrer dans une maison © Ubisoft

La démo proposée par Ubisoft se compose de trois segments autour d'une trame commune: un groupe de résistants s'organise pour déjouer les plans d'une méga corporation et le joueur-testeur doit tenter de les rejoindre. Dans la première partie, nous voilà face à Bloom, un activiste mû par la volonté de justice et d'humanisme. Il va falloir le convaincre que l'on est la bonne personne pour devenir son binôme de sabotage. Pour cela, un appui sur l'une des gâchettes de la manette nous permet d'échanger avec lui.

Devenir un résistant en convainquant une IA

Pour remplir notre mission, libre à nous de lui poser toutes sortes de questions, sur sa vie, la raison de son engagement, sa famille, ses goûts. Mais aussi de parler de nous, pourquoi on est là ou si on aime les animaux. La discussion est libre, elle va cependant servir à nouer une relation avec notre premier interlocuteur. Et il va noter si nous sommes attentionnés ou pas, volontaires, agressifs, désabusés... et se faire une idée de notre personnalité aussi.

On s'en aperçoit dans la mission suivante où, embarqué dans une opération de sabotage, Bloom apparaît concentré sur sa quête. Nous avons beau lui parler de tout et n'importe quoi, il ne manque pas de nous rappeler à l'ordre et à la raison de notre présence. Deux démos et deux approches différentes de l'utilisation de l'IA générative pour notre PNJ: la première séquence était une scène de discussion libre, la seconde suit un pan de l'histoire et, même si les échanges sont libres, le PNJ a la trame de l'histoire à l'esprit.

Démo de NEO NPC, d'Ubisoft
Démo de NEO NPC, d'Ubisoft © Ubisoft

Mais le plus étonnant, c'est de voir que tout ce que nous avons raconté et fait est mémorisé par l'IA des personnages. Dans la 3e démo, nous rencontrons un nouveau PNJ. Celui-ci dispose d'un mémo sur nous posé sur la table: tout ce que nous avons raconté, notre comportement lors des deux premières scènes est rapporté par le premier PNJ comme des indications passées à la nouvelle IA pour savoir qu'attendre de nous (notre talent décelé, notre envie, etc.).

Cette dernière séquence s'avère la plus impressionnante dans les capacités de l'IA générative. Nous devons pénétrer une maison pour accéder à un coffre et récupérer des documents. Mais la pièce est gardée, des caméras sont activées et il faut déjà savoir comment entrer.

L'idée du PNJ est de trouver une échelle. Nous proposons d'utiliser un arbre à proximité pour accéder à la fenêtre. Idée acceptée. Il n'en sera pas de même pour certaines autres suggestions (passer en force, balancer des fumigènes, etc.). Mais l'IA contrôlant notre PNJ fait la part des choses et elle se met même à réagir à certaines de nos idées pour que nous échangions à ce sujet.

"Plus une ligne de dialogue à écrire"

L'ensemble des démos Neo NPC est assez représentatif de ce que pourrait réserver le futur du jeu vidéo. "On n'a plus une ligne de dialogue à leur écrire, comme par le passé, avec des choix souvent figés ou inexistants," explique Virginie Mosser qui écrit des scénarios depuis près de 20 ans. Elle reconnaît que d'échanger la toute première fois avec un PNJ créé l'a bouleversée: "Ca surprend de voir sa 'création' prendre vie et vous parler. J'ai toujours fait parler mes personnages, mais ils ne m'avaient jamais répondu jusque-là."

Elle reconnaît que ça la rend aussi beaucoup plus créative, car il faut désormais écrire une fiche de personnalité pour chacun, avec des émotions, un passé, un profil psychologique, des passions, des qualités et des défauts, des souvenirs aussi.

"Ca me demande presque plus de travail qu'auparavant," s'amuse-t-elle, évoquant des PNJ désormais semblables "à des comédiens d'improvisation" qui se doivent de le faire "de manière cohérente" pour que le joueur adhère à la conversation.

Les spécialistes de la donnée arrivent ensuite pour transformer tous ces éléments narratifs en requêtes pour l'IA. Les PNJ disposent juste d'éléments de langage selon leur profil et des infos sur le déroulé du jeu qu'ils vont réceptionner "au fur et à mesure pour ne pas spoiler l'histoire". Car certains pourraient devenir des porteurs de secrets pouvant débloquer des quêtes, des missions. Cela pourrait se faire en déclenchant la bonne question, la bonne conversation. "C'est de la narration émergente liée à la façon dont on joue", clame-t-elle. "Ca améliore grandement la rejouabilité."

L'IA générative pour rendre les PNJ plus intelligents n'en est encore qu'à ses débuts, mais elle laisse entrevoir de belles choses. La latence entre nos interventions, l'affichage à l'écran en texte et la réponse du PNJ a été extrêmement minime. Sa capacité à mémoriser nos interventions et informations glissées pour s'en resservir, particulièrement bluffante. Cela n'augure rien de bon quant aux durées de vie à rallonge des futurs jeux si l'on nous laisse aussi discuter librement avec des personnages jusque-là secondaires.

Melinda Davan-Soulas