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Malgré les promesses, Facebook échoue encore à lutter contre le trafic sexuel des enfants

Facebook et Instagram sont devenues les plateformes les plus utilisées pour le trafic sexuel d’enfants.

"Ils auraient pu faire quelque chose pour l'aider, mais ils ne l'ont pas fait", déplore Tina Frundt, la fondatrice d'une association qui vient en aide aux enfants victimes. Elle dénonce ici la mort de Maya, une jeune mineure victime d’un proxénète qui était entré en contact avec elle sur Instagram.

Dans une vaste enquête, menée sur plus de deux ans, The Guardian, montre de quelle manière Facebook et Instagram échouent dans la lutte contre le trafic sexuel d’enfants sur ses plateformes et ne signalent pas les cas aux autorités, comme il le faudrait.

Au cours des 20 dernières années, ce qui correspond à l’explosion de l’usage des réseaux sociaux, l'exploitation sexuelle des enfants est devenue l'un des plus grands défis auxquels sont confrontées les plateformes. Selon un rapport de l'organisme américain Human Trafficking Institute, publié en 2020, Facebook est la plateforme la plus utilisée par les trafiquants sexuels pour recruter des enfants, suivi d'Instagram et de Snapchat.

Cela commence généralement par l’envoi d’un message d’un homme majeur à une jeune fille mineure sur un réseau social. Dans le cas de Maya par exemple, l'homme la complimente, lui demande d’envoyer des photos nues qui seront rémunérées. Ils se sont ensuite rencontrés en personne puis l’homme lui demande de l’aider à gagner de l’argent et à avoir la main sur son compte Instagram puis le cercle vicieux du proxénétisme s’est enclenché.

Les réseaux sociaux servent de moyen d’approche pour les proxénètes, mais leur sont aussi utiles pour échanger entre eux.

Meta n'est pas légalement responsable

Pourtant, en 2021, le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg avait conscience que ce trafic avait bien lieu sur ses plateformes. Comme il l'a indiqué dans une note de blog: "Il est très important pour moi que tout ce que nous construisons soit sûr et bon pour les enfants".

Quand on lui demande de supprimer des comptes, Instagram a répondu à l'association de Tina Frund: "Nous prenons très au sérieux toutes les allégations et signalements de contenu impliquant des enfants (...). Notre capacité à supprimer du contenu ou à supprimer des comptes nécessite suffisamment d'informations pour déterminer que le contenu ou l'utilisateur enfreint nos politiques".

L'enquête interroge aussi des procureurs. Cinq d'entre eux pointent les retards "inutiles" de Meta dans l'exécution des mandats et des assignations à comparaître pour recueillir des preuves sur les affaires de trafic sexuel. "Nous obtenons un taux plus élevé de mandats rejetés de Facebook que tout autre fournisseur de services électroniques", déclare l'un d'eux.

Selon la loi, l'entreprise doit signaler toute image d'abus sexuel d'enfants partagée sur ses plateformes au National Center for Missing & Exploited Children (NCMEC). De janvier à septembre 2022, Facebook a signalé plus de 73,3 millions de contenus de nudité et abus physique des enfants et d'exploitation sexuelle des enfants. Instagram en a signalé 6,1 millions. Mais la grande majorité du contenu signalé par Meta comprend des photos et des vidéos de contenu pornographique et cela ne concerne pas à proprement du trafic sexuel. Entre 2009 et 2019, Meta n'a signalé au NCMEC que trois cas présumés de trafic sexuel d'enfants en Amérique du Nord, selon les documents consultés par le Guardian.

Bien que la loi oblige Meta à signaler toute image d'exploitation d'enfants détectée sur ses plateformes, l'entreprise n'est pas légalement responsable des crimes qui se produisent sur sa plateforme, selon le Communications Decency Act qui date de 1996. Cette loi a été adoptée à un moment où l'industrie technologique était en pleine croissance.

"Nous aidons de manière proactive"

Meta reconnaît que des trafiquants utilisent ses plateformes, mais insiste sur le fait que l'entreprise fait tout ce qui est en son pouvoir pour les arrêter.

En réponse à cette enquête, Meta signale au Guardian que "l'exploitation des enfants est un crime horrible, nous ne le permettons pas et nous travaillons pour le combattre. Nous aidons de manière proactive les forces de l'ordre à arrêter et à poursuivre les criminels qui commettent ces infractions. Lorsque nous sommes informés qu'une victime est en danger et que nous disposons de données qui pourraient aider à sauver une vie, nous traitons immédiatement une demande d'urgence".

Meta tente d’agir directement via ses plateformes. L'entreprise compte notamment sur l'utilisation de l'intelligence artificielle pour identifier les contenus et les comptes et faciliter le signalement des messages à l'entreprise et aux autorités. Lorsqu'une personne fait une recherche sur ce sujet, il reçoit un message lui indiquant qu'il se dirige vers une activité illégale.

Meta compte aussi sur des modérateurs, mais selon les témoignages recueillis par le quotidien, leurs efforts pour signaler un éventuel trafic d'enfants n'ont souvent "abouti à rien".

Meta a annoncé en juin dernier un système de vérification de l'âge qui oblige les utilisateurs de moins de 18 ans à fournir une preuve d'âge en téléchargeant une pièce d'identité, en enregistrant un selfie vidéo ou en demandant à des amis communs sur Facebook de confirmer leur âge. Mais selon Tina Frundt, il est bien trop facile de contourner ce système.

En mars dernier, des fonds de pension et d'investissement ont porté plainte contre Facebook et Instagram pour avoir "fermé les yeux" sur le trafic d'être humains et la pédocriminalité.

Margaux Vulliet