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DGSE: le renseignement français veut recruter de jeunes "geeks" pour se renforcer en cybersécurité

"On a besoin de gens très connectés aux nouvelles technologies, donc des jeunes. Il faut qu'on en fasse rentrer à la DGSE, c'est vital", explique Patrick Pailloux, directeur technique de la DGSE.

"On a besoin de gens très connectés aux nouvelles technologies, donc des jeunes. Il faut qu'on en fasse rentrer à la DGSE, c'est vital", explique Patrick Pailloux, directeur technique de la DGSE. - Martin Bureau-AFP

La crise du Covid-19 accélère la dépendance de la planète entière au numérique. Pour y faire face, la DGSE et ses services de renseignement extérieurs français, rendus populaires par la série télé "Le bureau des légendes", misent sur de jeunes as de l'informatique et de l'internet pour renforcer leurs compétences high-tech.

Popularisés par leur présence remarquée dans la série télé "Le bureau des légendes", les jeunes spécialistes informatiques ultra-pointus sont une cible prioritaire de recrutement des services français de renseignement. "On a besoin de gens très connectés aux nouvelles technologies, donc des jeunes. Il faut qu'on en fasse rentrer à la DGSE, c'est vital", a estimé Patrick Pailloux, directeur technique de la direction générale générale de la sécurité extérieure (DGSE). "La cybersécurité, c'est l'alpha et l'oméga de la sécurité du monde dans lequel on vit. Si on n'est pas capable de sécuriser nos systèmes, toute autre sécurité ne sert plus à rien" explique ce dirigeant.

Mais la logique et les maths ne sont pas forcément le premier des fantasmes lorsqu'on pense à l'espionnage. Les jeunes "ont James Bond et les forces spéciales dans la tête", constate-t-il. "Ils se disent: je ne suis pas un Rambo, je suis un geek et cela ne leur vient pas à l'esprit de venir à la DGSE. Mais il n'y a pas que des surhommes survitaminés. Si on est survitaminé en sciences, on peut aussi servir son pays".

Un concours de cryptographie pour élèves de 4e, 3e et Seconde

Le patron des services techniques de la DGSE était présent derrière sa webcam, pour jeter oeil un très intéressé sur la remise des prix, le 20 mai dernier, du concours AlkindiCoorganisé par les associations Animath et France IOI, cette compétition visait pour la cinquième année à récompenser les meilleurs élèves de 4e, 3e et Seconde en chiffrage et cryptographie.

Ils étaient 65.000 en décembre 2019, moins d'une centaine en finale la semaine dernière (le 13 mai 2020), le plus souvent par équipes: l'édition bouclée mercredi 20 mai par une e-remise des prix a désigné le nec plus ultra d'adolescents passionnés.

Les élèves aux trois premières places ont été encadrés par le même professeur de maths. L'an dernier, il avait déjà trusté le podium. "Lui, il faut qu'on regarde...", plaisante Patrick Pailloux.

L'approche, volontairement, était plus ludique que sécuritaire: Picsou a communiqué le code de son compte en banque à ses neveux Riri, Fifi et Loulou. "Comme il n'a pas totalement confiance en eux, il a partagé le secret en trois morceaux, et il en a donné une partie à chacun", indiquait un énoncé. Aux élèves de trouver le code, sur la base d'une série de chiffres.

Sur la plateforme d'échanges entre élèves, les commentaires fusaient dès la fin de la finale. "Comment vous avez fait (l'exercice) 7 ?", s’inquiétait un groupe. "On a utilisé le pouvoir de la déduction logique", répondait un autre, un rien goguenard, sur un forum inondé d'émoticônes.

Manifestement, la sécurité nationale n'obsède pas ces jeunes prodiges, dont l'un a choisi pour profil la célèbre photo d'Einstein tirant la langue. Sa devise: "les hommes sont comme les chiffres, ils n'acquièrent de valeur que par leur position".

"C'est quoi pour vous la DGSE ?", demande-t-on à Jeanne et Agathe, élèves de seconde au Lycée Ella Fitzgerald de Saint-Romain-en-Gal (Rhône), membres de l'équipe "Jace et les Navajos". "La quoi ? oh là là, aucune idée, on ne nous en a pas parlé...". 

Mais pour Matthieu Lequesne, doctorant à l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA), "derrière les maths, la logique, l'informatique, les enjeux sont politiques" même si les joueurs sont "trop jeunes pour comprendre ces questions-là".

Susciter des vocations chez les jeunes geeks, un défi pour la DGSE

"Si on veut tirer un bon parti de l'intelligence artificielle, pour que le big data fonctionne, il faut que ça brasse des tonnes de données qui appartiennent aux individus", résume celui qui est aussi co-organisateur du concours. "Il faut faire en sorte que les plateformes qui manipulent ces données n'apprennent rien sur nous. Donc, la contrepartie, c'est de la bonne cryptographie".

Bonne nouvelle: si son niveau général en mathématiques n'est pas brillant, la France sait produire des élites. Dans les officines de sécurité, les grands groupes ou la recherche, elles lui assurent une solide réputation internationale en cryptographie. De quoi aider la DGSE à embaucher chaque année plusieurs centaines d'ingénieurs, chercheurs et techniciens, en vertu de la loi de programmation militaire. D'où l'idée d'instiller le virus à une poignée d'adolescents mordus et de susciter, dans quelques années, des vocations. 

Frédéric Bergé avec AFP