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Napoléon, Killers of the Flower Moon: cette astuce qui permettrait à certains films d'arriver plus tôt en streaming

Seul pays à avoir une chronologie des médias obligatoire, la France se heurte néanmoins aux désirs des géants de la SVOD de proposer leurs films à la fois au cinéma et sur leur plateforme.

Le village gaulois a encore frappé. Depuis les années 80 et l'avènement de la télévision à une plus grande échelle, la France s'est doté du principe de chronologie des médias.

L'Hexagone est ainsi le seul pays européen a disposer d'une obligation de respecter ce dispositif qui fait couler beaucoup d'encre, à l'heure où les géants de la SVOD produisent de plus en plus de films.

Un vieux débat très français

Vous ne le savez peut-être pas, mais en France, la diffusion de films à la télévision est particulièrement contrôlée. Les ayants-droits du cinéma ont ainsi fait plier bien des chaînes afin de les contraindre à un délai entre la sortie au cinéma, celle en DVD/VOD, et la diffusion en clair.

Dans le cas d'une chaîne payante comme Canal+, qui finance à un niveau plus important le cinéma, le délai est de six mois, là où les plateformes de SVOD doivent patienter 15 à 17 mois en fonction de leurs investissements dans le secteur. Les chaînes gratuites sont quant à elle servies en dernier, au bout de 22 mois.

Il y a quelques mois à peine, c'est Disney et sa plateforme Disney+ qui avait décoché une première flèche, se plaignant des délais et de l'obligation de retirer un film diffusé en clair. La firme avait ainsi renoncé à la sortie en salles d'Avalonia: l'étrange voyage, son film de Noël 2022. En parallèle, les plateformes de SVOD produisent de plus en plus de films à gros budget, qu'elles destinent dans un premier temps au cinéma, comme Apple ou Amazon.

La tentation de l'édition "définitive"

Pour s'éviter les 17 mois d'attente liée à la chronologie des médias, certains acteurs du secteur pourraient néanmoins enclencher une option qu'ils n'ont jusque là jamais exécutée: proposer une version légèrement différente d'un film, souvent baptisée "Director's Cut", ou "définitive". Une telle version serait ainsi légalement associée à un autre visa d'exploitation, et donc considérée comme un autre film, jamais diffusé en salles. Il pourrait ainsi être intégré à un catalogue sans respecter la chronologie des médias.

Les rumeurs annoncent ainsi une version de plus de 4h de Napoléon, le biopic de Ridey Scott, produit par Apple, mais distribué en France par Sony. Ce qui pourrait permettre au géant californien de le proposer sur Apple TV+, du moins dans cette version rallongée. Une telle stratégie pourrait aussi s'appliquer à Killers of the Flower Moon, de Martin Scorsese, là encore produit par Apple et qui, comme Napoléon, est disponible sur Apple TV+ ailleurs qu'en France.

En coulisses, une source proche des représentants de l'industrie du cinéma évoque "une question un peu nouvelle". Et pour cause, elle ne s'est jamais posée jusqu'à présent. Les plateformes respectant un statu-quo, correspondant à une forme de pacte de non agression avec les exploitants de salle.

Auprès de Tech&Co, une source proche du secteur du cinéma précise que cette stratégie devrait aboutir à une version "différente" d'un film déjà sorti en salles. "On est dans une zone grise, le CNC (qui accorde les visas d'exploitation, ndlr), devrait se prononcer au cas par cas," explique-t-on, prévenant qu'il "faut que ce soit deux œuvres différentes, que ce soit le souhait du réalisateur."

"Une zone grise"

"Il ne faut pas que cette nouvelle œuvre dure dix minutes de plus que l'originale, et que ce soit simplement une volonté de contourner la chronologie des médias" analyse cette même source.

Que faire, néanmoins, si un géant de la SVOD se décide à passer à l'acte sans respecter les préconisations? Si sur le papier, les moyens d'action sont limités, certains acteurs dépendants des exploitants peuvent être convaincus par la pression du secteur. C'est ainsi que Disney, très dépendant des salles de cinéma, n'a jamais osé franchir ce cap, même dans le cas d'Avalonia.

Même son de cloche du côté des acteurs de la SVOD. "Sur le papier, utiliser un autre visa d'exploitation pour passer outre la chronologie des médias est possible. Mais ça pourrait susciter une énorme levée de bouclier de la part des exploitants de salles. Un gros acteur comme Netflix ou Disney ne pourrait pas se le permettre. Un acteur plus petit, qui ne représente pas une grosse menace pour les salles, comme Apple TV+, pourrait éventuellement le faire," explique une source interne à l'un des leaders du secteur du streaming, à Tech&Co.

Qu'on l'aime ou qu'on l'a déteste, la chronologie des médias est un élément essentiel du financement du cinéma français. De fait, les cinémas ont besoin de la sortie de films hollywoodien pour financer le reste des productions au budget moindre, mais réalisées en France. Reste néanmoins à savoir quelle plateforme de SVOD décidera de jeter un pavé dans la mare des éditons augmentées de leurs films, et de ce côté, on reste "attentif" au moindre mouvement.

Sylvain Trinel