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Prisée par les ados, l'appli Yubo accusée d'alimenter des réseaux pédopornographiques

Pensée comme un lieu d'échange sûr pour les jeunes, l'application Yubo a été investie par des prédateurs à la recherche de photos ou de vidéos de mineures qu'ils revendent ensuite sur des groupes Telegram.

Des rencontres amicales entre jeunes afin de créer des groupes de sociabilisation. Voilà l'objectif initial de Yubo, une application qui compte désormais 70 millions d'inscrits dans le monde. Rien qu'en France, le troisième marché de Yubo derrière les Etats-Unis et l'Angleterre, ils sont deux millions à avoir franchi le pas.

Mais une enquête du média Vakita révèle que des groupes de criminels se servent du réseau social pour extorquer des photos et vidéos intimes de jeunes filles. Dans une vidéo d'une dizaine de minutes, Vakita détaille le mode opératoire des ecrocs. Au départ, ils simulent une histoire d'amour avec une jeune utilisatrice. A force de demandes, certains réussissent à obtenir une première photo ou vidéo intime.

"Des agissements manifestement illégaux"

C'est alors que la relation prend une toute autre tournure. Menacées de voir leurs images divulguées sur internet, les victimes sont forcées de fournir toujours plus de contenus sexuels. Dans le même temps, les malfaiteurs alimentent des chaînes privées sur Telegram où les images volées sont proposées contre de l'argent.

"Nous condamnons fermement ces agissements manifestement illégaux qui sont en totale contradiction avec les valeurs que nous défendons. Ils ne représentent pas l'expérience Yubo que nous nous efforçons de proposer à nos utilisateurs depuis presque huit ans", déclare Yubo dans un communiqué.

Sur le plateau de l'émission Tech&Co en mai, Sacha Lazimi, fondateur et président de l'entreprise, indiquait que 99% des utilisateurs de l'application ont entre 13 et 25 ans. Avec un fonctionnement qui permet de sélectioner des profils en les glissant vers la droite ou la gauche de l'écran, Yubo a rapidement hérité du surnom de "Tinder des ados".

"Le but de Yubo, c'est de leur permettre de créer des groupes de personnes qui leur correspondent (aux utilisateurs ndlr), qui ont le même âge, pour discuter en temps réel", résumait-il.

Une vérification approfondie

Des mesures de sécurité avaient d'ailleurs été mises en place en ce sens. Depuis septembre 2022, tout le monde doit impérativement passer par une étape de vérification de l'âge lors de son inscription. Cela se fait "sur la base d'un live selfie", précise l'entreprise à Tech&Co.

En scannant le visage d'une personne, une estimation de son âge est réalisée pour être comparé à la date de naissance renseignée. Suivant les résultats de cette comparaison, un utilisateur sera autorisé ou non à acceder à la plateforme.

"Si on ne les laisse pas entrer, on va leur demander leur carte d'identité et on va faire une vérification un peu plus approfondie", expliquait Sacha Lazimi dans l'émission Tech&Co.

Mais le système de sécurité ne s'arrête pas là, promet Yubo. L'application continue d'analyser l'activité d'un utilisateur sur la plateforme afin de garantir qu'il a bel et bien l'âge déclaré. Le but: éviter les interactions entre des personnes majeures - tous les âges sont autorisés sur l'application - et des mineurs.

Des faits connus depuis un an

Mais ces outils de sécurité ne semblent toutefois pas suffisants. Dans son enquête, le média Vakita raconte le calvaire d'une jeune fille de 13 ans. Une utilisatrice qui devait en théorie être sous le coup d'un contrôle parental: Yubo impose en effet à toute personne de moins de 15 ans de donner les coordonnées de son représentant légal.

Au-delà du SMS de confirmation, la validation de l'inscription se fait encore une fois via une vérification de l'âge par reconnaissance faciale. Mais cette fois, c'est le parent qui doit s'y soumettre pour certifier qu'il a plus de 30 ans. Une barrière qui peut parfois être contournée.

Yubo a ainsi confirmé à Tech&Co avoir eu "connaissance de l'existence de groupes sur des plateformes de messagerie chiffrée (Telegram, ndlr) diffusant du contenu illicite" concernant certains de ses utilisateurs "il y a plus d'un an".

"Nous avons immédiatement procédé à des enquêtes internes afin de comprendre et d'agir le plus efficacement possible pour endiguer ces agissements", assure l'application à Tech&Co.

"Ces investigations ont permis de bannir définitivement de notre plateforme les utilisateurs impliqués, et d’effectuer des signalements aux autorités de police ainsi qu’aux plateformes concernées", pointe l'entreprise dans un communiqué diffusé après les révélations de Vakita.

L'application affirme avoir pris contact avec les autorités "dès la découverte des faits". Elle indique également coopérer "pleinement depuis plusieurs années avec Pharos", la plateforme de signalement des contenus illicites en ligne.

Un "phénomène gravissime"

Yubo reconnait un "phénomène gravissime" qui "nécessite une action globale et coordonnée de l'ensemble des acteurs de l'industrie et des pouvoirs publics". C'est d'ailleurs pourquoi l'application s'est associée à l'association française de normalisation (Afnor) pour rédiger un guide pratique sur la protection des mineurs sur les réseaux sociaux.

Suite à l'enquête, l'application a lancé une nouvelle campagne de sensibilisation auprès de ses utilisateurs. Les conseils donnés tiennent en quatre points: ne jamais donner d'informations personnelles, ne pas ajouter d'inconnus sur d'autres plateformes, vérifier que son interlocuteur n'est pas un faux compte, et enfin ne pas envoyer de contenu que l'on pourrait regretter.

Selon les vérifications de Tech&Co, une simple recherche sur Telegram permet encore de trouver des chaînes dédiées au réseau social Yubo. En cliquant dessus, de nombreuses photos de jeunes filles dénudées s'affichent. Ces chaînes, toujours mises à jour, comptent plusieurs milliers d'abonnés.

Pierre Monnier