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"#LoveArmy, où es-tu Jérôme?": on a vu le documentaire sur Jérôme Jarre, star oubliée des réseaux

Ce mercredi, Prime Video diffuse la série documentaire "#LoveArmy - où es-tu Jérôme?". L'histoire du premier influenceur qui utilisa sa renommée mondiale pour mobiliser et fit entrer les réseaux sociaux dans une autre ère.

C’est l’histoire d’un mec qui réussit à avoir du succès en six secondes. À coup, de sourires, de farces et de beaucoup d’amour. Une star planétaire suivie par des millions de personnes. Un Français qui comprit très tôt ce que pouvait être la force des réseaux sociaux pour mobiliser, que ce soit pour faire rire ou pour aider son prochain.

Au milieu des années 2010, Jérôme Jarre était la star des Viners, ces créateurs de contenus capables de petits miracles visuels en six secondes seulement, le temps que leur accordait pour briller le réseau de partage de vidéos détenu par Twitter. Vine n’est plus. L’influenceur hexagonal a, lui aussi, disparu des radars depuis 2020, non sans avoir bouleversé la vision des réseaux sociaux.

Le grand frère des créateurs

C’est son histoire que retrace #LoveArmy - où es-tu Jérôme? disponible dès ce mercredi 20 mars sur Amazon Prime Video. Mais aussi quelque part celle des influenceurs, héritiers directs dans leurs attitudes, leur rapport à leurs fans et au monde.

Il est un peu le grand frère de pas mal de créateurs", analyse pour Tech&Co Charles Villa, l’un des réalisateurs de la série documentaire en cinq épisodes conçue par Brut. "Il a été précurseur dans le rapport aux marques, à la gestion de l’image. Je pense que c’était sincère tout comme sa reconversion vers l’humanitaire."

Car le documentaire ne se limite pas à dépeindre le portrait d’un jeune d’Albertville porté au firmament à tout juste 20 ans grâce à son sourire ravageur et sa bonne humeur, ni comment il fit comprendre aux influenceurs de l’époque, Mister V ou Logan Paul en tête, qu’ils pouvaient être des porte-voix importants. Mais #LoveArmy s’étend aussi sur la face plus complexe du personnage, celle un peu aveuglée par la célébrité et l’envie de bien faire qui transformera une idée humaniste en fiasco pour les Rohingyas et pour lui-même.

De la Somalie au Bangladesh, de De Niro à Neymar

Aujourd’hui, Jérôme Jarre n’a plus l’aura d'antan, celle qui vous permet de marcher sur l’eau lorsque vous êtes capables de mobiliser des personnalités du monde entier, de Robert De Niro à Ben Stiller en passant par Neymar ou Ariana Grande, pour les rallier à votre cause, faire des appels aux dons et faire parler de vos actions humanitaires jusqu’au Forum de Davos.

Tout cela, le documentaire le retrace à merveille. Comment un trublion du net s’est lancé dans l’humanitaire, en Somalie et au Bangladesh, en voulant révolutionner l’existant et changer le monde. Conscient aussi que les réseaux sociaux, alors à leurs balbutiements, pouvaient être une arme massive de communication.

"Quand on atteint une certaine notoriété en faisant de l’entertainment, tous les créateurs finissent par se demander ce que cela représente d’avoir tous ces abonnés si ce n’est pour rien en faire", analyse Charles Villa.

Pour le journaliste qui a suivi Jérôme Jarre dans plusieurs de ses périples, l’homme aux 10 millions d’abonnés voulait "avoir un réel impact" et faire "des trucs positifs". Et pour ça, il s’est lancé à fond dans son projet, "peut-être un peu trop en solo et en étant le seul à décider de tout".

"C'était idéaliste"

Il crée la Love Army, une armée de volontaires voulant répandre le bien autour d’eux, initialement en vidéo, puis par des opérations. C’est ainsi qu’il réussit à convaincre les stars du moment (Mister V, Seb La Frite, Le Grand JD, Omar Sy, DJ Snake, Natoo…) de se joindre à lui pour aider les réfugiés Rohingyas au Bangladesh. Ce sera le coup de trop.

Jérôme Jarre tente d'apprendre la langue de Molière à Derek Zoolander, alias Ben Stiller
Jérôme Jarre tente d'apprendre la langue de Molière à Derek Zoolander, alias Ben Stiller © Capture d'écran Facebook

"C’était idéaliste", reconnaît Charles Villa. "Il avait le pouvoir des réseaux sociaux à l’époque pour interpeller les instances internationales, l’ONU, les gouvernements. Il y avait vraiment une grosse force de frappe non négligeable. Et personne face à lui, car les médias étaient alors absents des réseaux sociaux."

La Love Army pour les Rohingyas récoltera plus de deux millions de dollars pour construire des abris, des hôpitaux, des écoles, des structures d’aide. Nous sommes entre 2017 et 2019, Jérôme Jarre est le premier véritable influenceur capable de mobiliser et d’éveiller les consciences.

"Il réussissait à rendre visible une cause qui ne l’était pas et qui ne faisait pas la une des médias. Et d’un coup, tout le monde était obligé d’en parler parce que des créateurs et des stars étaient sur place", se souvient Charles Villa.

Et le bon samaritain devint menteur

Mais ce sera l’endroit du décor. L’envers est moins reluisant. Présent en 2017-2018, Charles Villa admet qu’il lui a fallu un message en 2019, l’alertant de la situation catastrophique des réfugiés et des promesses non tenues de l’influenceur, pour réaliser que tout ne s’était pas déroulé comme prévu et que de grosses zones d’ombre subsistaient. La seconde moitié de la série documentaire montre bien comment le vent a tourné. La faute à un peu d’amateurisme, une méconnaissance de l’humanitaire et sans doute un peu d’aveuglement narcissique sous les lumières de la renommée.

Pour le co-réalisateur, l’affaire échappe à son instigateur début 2018. "Il a réalisé que les associations locales qu’il avait financées ne travaillaient pas correctement. Il y a un décalage entre ce qu'il raconte publiquement sur la façon dont il va tout révolutionner et ce qu'il se passe réellement. Toute l’image qu’il a voulu créer et véhiculer risque d’en pâtir. Je pense qu’il l’a mal vécu", confie Charles Villa sans jamais vouloir accabler l’influenceur.

Il regrette simplement que Jérôme Jarre ait menti aux réfugiés, à ses acolytes, aux médias venus l’interviewer. "Il allait sans cesse dans la surenchère. Ce n’était jamais le même discours", relèvera Charles Villa.

"Il s’enferme dans le mensonge. Il a bénéficié du fait que le fact-checking n’existait pas, que les médias n’étaient pas sur les réseaux. Il pouvait raconter n’importe quoi, cela mettrait des mois à être vérifié. Aujourd’hui, ce ne serait plus possible".

Pris dans la tourmente, Jérôme Jarre disparaît des réseaux fin 2019. Officiellement, il a fait une dépression, un burn-out d’influenceur avant l’heure. Officieusement, la Love Army avait peut-être mieux fait de se faire discrète pour échapper au courroux des réfugiés, aux frasques des associations sur place censées les aider et à quelques accointances suspicieuses, notamment avec le gouvernement turc d’Erdogan.

L’homme qui comprit les codes de l’influence avant l’heure

Plus que le destin d’un homme — qui a d’ailleurs décidé de sortir de son silence à l’approche de la diffusion du documentaire tout en ayant refusé d’y participer —, #LoveArmy où es-tu Jérôme? raconte comment un jeune Français a donné les bases de l’influence, de la force de mobilisation que les réseaux pouvaient offrir à ceux qui les maîtrisent.

#LoveArmy, où es-tu Jérôme ?
#LoveArmy, où es-tu Jérôme ? © Amazon Prime

Dans la série, ceux qui ont vécu l’époque et même Charles Villa — à la fois observateur, témoin et réalisateur du documentaire — se montrent tous bienveillants vis-à-vis de leur ancien ami qui les a laissés sans nouvelle.

"On veut que ce documentaire soit un outil pédagogique. Cette histoire de la Love Army et de Jérôme raconte bien l’histoire des réseaux sociaux et la naissance de l’influence. Il en a quelque part posé les bases au fil des années. Mais c’est aussi l’histoire d’une aventure collective positive qui a eu plein de problèmes. Il y a des jeunes qui ont essayé, ont fait preuve d’amateurisme et auraient dû être encadrés", conclut-il.

Melinda Davan-Soulas