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"Monsieur Macron, recevez-nous !": Jeremstar se veut porte-parole des victimes de cyberharcèlement

Autrefois maître en ragots et coulisses de la télé-réalité, Jeremstar tente désormais de se refaire une image. La lutte contre le cyberharcèlement est devenue son combat majeur et la police, la justice et le gouvernement, autant de cibles de ses rancœurs.

C’est avec un peu de retard que Jeremstar arrive au rendez-vous fixé. A vrai dire, on s’en étonnerait presque de le voir après avoir regardé ses stories quelques minutes plus tôt. Les vidéos le montrent dévalant les pistes de ski à Val Thorens en Savoie, accompagné d’amis. Donc bien loin du XVIe arrondissement de Paris où nous devons le retrouver. "Je ne publie plus en temps réel. Je fais très attention. Avec du recul, j’ai pu analyser les dangers des réseaux sociaux. J’ai bien vu que j’attirais des déséquilibrés", nous confie Jeremstar pendant l’échange.

Le créateur de contenus arrive donc, emmitouflé dans sa doudoune noire, calme, presque gêné. Ce n’est pas que l’on s’attendait à le voir débarquer téléphone à la main, en plein tournage de vidéo et hurlant à tout rompre. Mais le contraste entre l’homme des stories et celui de la vraie vie a de quoi surprendre.

Tout comme le lieu où l’échange a lieu: la cafétéria de sa maison d’édition. Quand on demande à Jeremstar quel endroit aurait été plus approprié pour coller à son portrait, il répond du tac au tac: "au tribunal, dans une salle d’audience." Une manière selon lui de correspondre à ces années de tumultes médiatico-judiciaires.

Surtout pas influenceur

Jeremstar – pseudonyme utilisé au quotidien par Jeremy Gisclon depuis la fin des années 2000 ("Je donne mon nom de scène quand je me présente, c’est une habitude. Je l’ai intégré. Ce n'est pas une personne différente de moi.") – se définit aujourd’hui comme chef d’entreprise. A la tête de sa propre société, il alterne désormais création et production de concepts audiovisuels, interviews journalistiques ou encore one-man shows. Hors de question toutefois de se qualifier d’influenceur, "trop connoté à cause de toutes les arnaques", affirmant surtout que la majorité de ses revenus ne vient pas des placements de produits.

Le créateur a également ajouté une autre casquette à son palmarès, celle d’écrivain. Déjà auteur de trois livres, Jeremstar vient de publier son quatrième ouvrage. Pas une biographie ni un guide pour percer dans la télé-réalité cette fois, mais Survivant des réseaux sociaux (éditions Hugo Image) est un témoignage intime de son rapport aux plateformes et du cyberharcèlement tel qu’il l’a vécu.

Dans cet ouvrage d’environ 200 pages, Jeremstar livre les coulisses de ses ennuis judiciaires, mais aussi son nouveau rapport aux réseaux sociaux. S’ils l’ont aidé à le faire connaître et propager ses potins, il est à présent plus prudent. L’éventualité de quitter Instagram ou Twitter ne l’a toutefois jamais effleuré. "Ce n’est pas à moi de quitter les réseaux sociaux, c’est aux gens qui se comportent mal d’en être interdits", affirme-t-il.

"Je continue à livrer ma vie, les réseaux sociaux sont comme mon journal intime numérique. Je suis pris dans un engrenage où j’ai habitué les gens à suivre ma vie. Quand je ne publie pas de stories pendant deux jours pour prendre du temps pour moi, je me fais harceler de messages, je dois rendre des comptes", s’amuse presque Jeremstar.

Une plateforme pour entamer sa reconstruction

Il y a toutefois un vaste sujet sur lequel Jeremstar a décidé de ne plus rire: le cyberharcèlement. Depuis le "Jeremstar Gate", lancé en 2018 et qui l’accusait d’être à la tête d’un réseau de prostitution de mineurs, le créateur confie ne plus passer un jour sans insultes ou menaces de mort. Il en semble presque résigné, voire habitué. En témoigne la manière presque robotique avec laquelle il dévoile son parcours judiciaire et ses combats, tant il l’a raconté ces derniers mois aux médias ou dans les cours d’audience.

Pour rebondir après cette expérience, Jeremstar décide d’appliquer son mantra: "transformer le négatif en positif". Il a ainsi lancé il y a quelques mois sa propre plateforme, harcelement.online, pour aider les jeunes souffrant de cyberharcèlement. Une manière pour lui "d’entamer sa reconstruction" et d’offrir à son audience un lieu pour parler librement, "beaucoup moins froid que les sites du gouvernement où les jeunes ont du mal à s’identifier." Un site incarné où le vidéaste répond lui-même chaque jour aux témoignages et surtout une manière de se suppléer aux associations déjà existantes.

"Le milieu associatif est assez compliqué. Je ne me suis pas associé à ces organisations déjà existantes, car on ne m’a jamais tendu la main. J’ai même trouvé des portes fermées et j'ai eu le sentiment qu’on ne voulait pas m’aider", explique Jeremstar à Tech&Co.

Seule une association, Hugo!, l’a accompagné lors de ses actions militantes, notamment devant le tribunal de Paris le 7 octobre dernier. Car Jeremstar ne s’en cache pas: il compte bel et bien endosser le rôle de porte-parole de la lutte contre le cyberharcèlement. "En tant que porte-parole, mes décisions de justice servent puisque je suis le seul à avoir obtenu des décisions aussi fortes", rappelle-t-il. "Ça me coûte cher, mais ça sert à la jurisprudence. J’espère qu’on fera de plus en plus appel à moi quand on parlera de ces problématiques. Je maîtrise mieux que n’importe qui le sujet."

"La justice pousse au suicide par sa lenteur"

Même avec des procès toujours en cours, Jeremstar n’hésite pas à critiquer ouvertement la lenteur de la justice, l’un des autres sujets qui lui tiennent à cœur. "La justice devrait se calquer sur le tribunal populaire des réseaux sociaux puisqu’eux condamnent immédiatement. Les comparutions immédiates existent pour des trafics de cocaïne, mais quand il y a de véritables souffrances humaines, il n’y a personne. Je comprends les gens qui se suicident. La justice pousse au suicide par sa lenteur."

Une lenteur qui s’accompagne aussi souvent de décisions jugées trop peu dissuasives ou significatives. Olivier Porri Santoro, journaliste niçois, a par exemple été condamné à quatre mois de prison ferme pour avoir mené une campagne de dénigrement envers Jeremstar, avant de voir cette peine annulée après le jugement en Cour d’appel.

"Je n’ai encore jamais entendu de prison ferme pour cyberharcèlement. Cela reste trop laxiste. Les tribunaux ont encore du mal à comprendre. Je passe ma vie à expliquer à des juges et procureurs le fonctionnement des réseaux sociaux, car ils ne comprennent rien", s’insurge Jeremstar.

L'ancien chroniqueur TV sur C8 milite d’abord pour plus de sanctions, mais aussi pour la création d’un fichier des agresseurs numériques afin qu’ils soient répertoriés comme des délinquants. Il souhaite également qu’il leur soit interdit de souscrire à un abonnement Internet.

Son passé souvent critiqué

Si Jeremstar est autant dénigré et ciblé, c’est en partie à cause de son passé de rapporteur de potins professionnel. Alimentant un blog spécialisé dans la télé-réalité et recevant ses invités dans sa fameuse baignoire, le vidéaste s’est forgé une image de commère, souvent à l’origine de campagnes de cyberharcèlement envers certains candidats d’émission.

Un passé qu’il regrette, même s’il note que l’usage des réseaux sociaux n’était pas le même. "J’étais loin de faire des choses horribles, mais avec du recul, j’aurais fait mes débuts autrement. J’ai rectifié le tir et fait un véritable mea culpa, notamment en m’excusant auprès des personnes à qui j’ai pu m’en prendre", confie Jeremstar.

Les gens ne comprennent pas qu’on peut avoir été quelqu’un, mais qu’il faut aussi comprendre cette notion d’évolution et voir ce qu’est devenue la personne. Aujourd’hui, je sais ce que ça fait d’être des deux côtés, de la victime et de l’initiateur."

Le chef d’entreprise regrette ainsi la manière dont les internautes occultent souvent le moment où un ancien accusé passe au statut de victime, affirmant que "la réhabilitation est impossible." Jeremstar l’affirme: "c’est beaucoup plus vendeur d’être un coupable même si c’est faux. Dès que l’on gagne des procès, personne ne relaie."

Pourtant, la justice vient bel et bien d’appuyer une nouvelle fois son statut de victime de cyberharcèlement. La juge d’instruction chargée de l’enquête datant de 2018 pour harcèlement par le blogueur Aqababe a décidé de rouvrir l’instruction, étendant les faits de harcèlement jusqu’en 2022.

Le blogueur et chroniqueur Jeremstar, en octobre 2017
Le blogueur et chroniqueur Jeremstar, en octobre 2017 © Joël Saget - AFP

"Ce laxisme de la justice a poussé mon cyberagresseur à continuer puisqu’il y a encore quelques semaines, il parlait encore de moi en des termes peu élogieux et rigolait de sa première condamnation (12.000 euros de dommages-intérêts et 2 000 euros d’amende pour diffamation et injures publiques, NDLR). Le harcèlement, c’est quand ça s’inscrit dans la durée. Là, ça fait 4 ans", déplore Jeremstar, qui confirme que d’autres plaintes ont été déposées par d'autres influenceurs contre le blogueur.

Un avenir politisé?

En plus d’avoir une dent contre la justice, Jeremstar en a aussi après le gouvernement. Il a bien rencontré Cédric O ou Laetitia Avia, lui un temps secrétaire d’État chargé du numérique, elle à l’origine de la loi contre les contenus haineux sur Internet. Mais cela remonte déjà à plusieurs années. Et cela ne suffit plus pour Jeremstar, qui s’insurge contre "certains politiques qui commentent [ses] stories parce qu’il y a des mecs sexy, mais qui ne répondent pas quand [il] demande des rendez-vous pour faire un retour d'expérience sur [sa] confrontation avec la justice". Il regrette par ailleurs que le gouvernement n’ait pas reçu le compagnon de Mavachou, jeune influenceuse proche de Jeremstar, qui s’est suicidée en décembre 2021 après une vague de cyberharcèlement à son encontre.

"C’est encore un message que je laisse et que je passe: monsieur Macron, recevez les victimes du cyberharcèlement. J’ai des tas de mamans qui ont décroché leurs filles pendues dans leur chambre parce que les plaintes n’ont pas été prises en compte, des mamans qui pleurent, car la police et justice ne les aide pas", martèle Jeremstar.

Le créateur souhaite une discussion avec un membre du gouvernement, idéalement le garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti. Il y a quelques années, Brigitte Macron lui avait répondu par courrier, sans toutefois lui accorder de rencontre physique. "Sans arrêt, je vois des influenceurs invités à l’Elysée pour faire des vidéos humoristiques ou des lives. C’est bien beau de s’amuser, mais moi j’ai de vrais messages à faire passer", commente, un peu désabusé, Jeremstar.

Et si au lieu d’attendre les réponses des politiques, Jeremstar se lançait dans l’arène? L’hypothèse peut prêter à sourire, mais n’effraie pas l’ancien blogueur qui souhaite davantage de "jeunes au sein du gouvernement qui ont subi du harcèlement et comprennent ce nouveau monde digital, pour agir plus vite."

Car en attendant la fin de ses procès - d’ici un à deux ans selon ses espérances, Jeremstar se projette sur l’avenir. Toujours sur les réseaux sociaux certes, mais avec cette volonté encore plus forte d’aider les victimes. Et un détour par la politique ne semble pas inenvisageable.

Loin de lui l’idée de se présenter à l’élection présidentielle comme Jean-Marie Bigard ("Faut pas pousser", ironise-t-il), mais il n’exclut pas de faire profiter la politique de son expertise et de ses expériences digitales. "Si un jour on me propose d’être député ou d’avoir un rôle à jouer au gouvernement ou à l’Assemblée nationale sur la problématique du cyberharcèlement, pourquoi pas?"

Julie Ragot