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8 mars: dans la tech, les femmes dirigeantes claquent la porte

Ces derniers mois ont été marqués par deux départs significatifs dans la tech, celui de la CEO de YouTube et celui de la directrice des opérations de Facebook, toutes deux remplacées par des hommes.

Les deux derniers départs sont les plus symboliques: Susan Wojcicki de YouTube et Sheryl Sandberg de Facebook. Départ volontaire ou victimes d'un milieu toujours très masculin, deux grandes femmes de la tech ont récemment claqué la porte. Ce 8 mars, Journée Internationale des droits des femmes, est l'occasion de revenir sur la place des femmes dirigeantes dans le secteur car nombre d'entre elles sont parties ces dernières années.

Le 16 février 2023, les employés de YouTube ont reçu un message de la part de Susan Wojcicki, alors PDG de la plateforme. Après neuf ans chez Youtube, elle a annoncé vouloir quitter son poste pour "commencer un nouveau chapitre en me concentrant sur ma famille, ma santé et des projets personnels qui me passionnent".

Son départ a marqué la fin d’une ère puisqu’elle était l’une des pionnières en tant que femme dans la tech et présente aux prémices de Google. Dans un portrait qui lui était consacré dans The Guardian en 2019, elle se souvient avoir emménagé dans une maison près de l’Université de Stanford. A cette époque, elle était employée chez Intel et pour payer son emprunt immobilier elle a loué son garage et les deux locataires n’étaient autre que les deux fondateurs de Google, Sergey Brin et Larry Page, où ils ont installé leur premier siège.

Elle les a vite rejoints. En 1999, elle devient la première directrice marketing de la jeune société. A ses débuts dans l’entreprise, alors enceinte de cinq mois, elle gère les animations du logo de Google qui change pour les évènements.

Gérer les controverses de YouTube

Elle est aussi à l'origine du programme AdSense, lancé en 2003, la régie publicitaire de Google qui contribue à générer la grande majorité de bénéfices. En 2005, elle est chargée de créer Google Videos alors que YouTube vient d’être lancé. Elle conseille à ses compères de racheter son concurrent. Chose faite un an plus pour 1,65 milliard de dollars.

Susan Wojcicki, en mai 2022 à Davos en Suisse
Susan Wojcicki, en mai 2022 à Davos en Suisse © Fabrice COFFRINI / AFP

Nommée à la tête de YouTube en 2014, elle crée YouTube Premium et YouTube Music, les deux formules d’abonnement payant et fait décoller la plateforme jusqu’à atteindre deux milliards d’utilisateurs mensuels en 2019 et 80 millions d'utilisateurs payants en 2022. Elle permet ainsi à de nombreux créateurs d’émerger et de monétiser leurs vidéos.

Revers du succès planétaire, elle a dû gérer de nombreuses controverses. Des contenus de désinformations aux théories du complot, la plateforme est souvent pointée du doigt. En 2019, YouTube a été critiqué pour ne pas avoir supprimé assez rapidement les images des attaques de Christchurch. La PDG a dû réfléchir à des systèmes à mettre en place: depuis 2019 le contenu ne respectant pas la politique du site est plus efficacement supprimé ou démonétisé.

L'objectif de Susan Wojcicki était de hisser YouTube au plus haut avec un milliard d'heures de vidéos regardé par jour, un objectif atteint en 2016. L'augmentation du temps de visionnage et les algorithmes qui poussent à rester sur la plateforme avec des recommandations ciblées y sont pour beaucoup.

Politiques pour inclure les femmes

Autre objectif affiché de Wojcicki: amener plus de femmes dans la technologie et à des postes de direction. Sous sa présidence, la proportion de femmes chez YouTube est passée d'un quart à un tiers. Pour l'anecdote, la seizième employée de Google est la première à avoir pris un congé maternité dans l’histoire de Google.

Aujourd’hui mère de cinq enfants, elle estime qu'une politique plus généreuse en matière de congé maternité attirera les femmes vers les métiers de la tech.

"25% des femmes américaines reviennent au travail après 10 jours, ce qui est un chiffre fou", dit-elle au Guardian.

En tant que femme dans la tech, elle dit avoir plutôt été soutenue tout au long de sa carrière face à de potentiels dirigeants machistes et pointe surtout les micro agressions dont certains ne prennent pas la mesure. C’est Neal Mohan, l'ancien chef de produit de YouTube qui vient de la remplacer à son poste.

Gérer les crises, tout un métier

Un autre départ a aussi fait grand bruit en 2022. Sheryl Sandberg, directrice des opérations de Facebook a quitté son poste en juin dernier après 15 ans de bons et loyaux services.

Ses derniers mois chez Meta n’ont pas été de tout repos, suppléant Mark Zuckerberg lors de crises que traversaient le groupe. C’est d’ailleurs ce qu’elle a souligné dans sa publication Facebook annonçant son départ: "dire que ça n'a pas toujours été facile est un euphémisme. Mais c'est normal que ce soit difficile. Nos produits ont un impact immense donc nous avons la responsabilité de les concevoir d'une façon qui protège la vie privée et la sécurité des personnes".

Sheryl Sandberg, directrice générale de Facebook, a justifié l'augmentation du salaire minimum chez ses fournisseurs par le fait que les femmes en seraient les premières bénéficiaires.
Sheryl Sandberg, directrice générale de Facebook, a justifié l'augmentation du salaire minimum chez ses fournisseurs par le fait que les femmes en seraient les premières bénéficiaires. © GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP Justin Sullivan

Celle qui est longtemps apparue comme la numéro deux de Facebook, a façonné le modèle qui fait la rentabilité du réseau social aujourd’hui: se baser sur la publicité. Proposer un accès gratuit pour ses utilisateurs, tout en monétisant auprès de ses annonceurs leurs précieuses données personnelles pour des publicités ciblées. La formule fonctionne puisque Meta (le maison mere de Facebook) a enregistré un chiffre d'affaires de près de 34 milliards de dollars (environ 29,8 milliards d’euros) en 2021.

Mais le nom de Sheryl Sandberg a vite été au centre de scandales de Facebook. Business Insider rapporte qu'en interne, elle était devenue très discrète et n'était pas impliquée dans les nouveaux projets de grande ampleur.

Et ce dès 2016, lorsque Facebook était soupçonné de ne pas réguler la désinformation et de favoriser l'exposition de Donald Trump sur le réseau social. En 2018 aussi, avec l’affaire Cambridge Analytica dans laquelle des millions de profils Facebook d’Américains ont été récupérés pour la campagne présidentielle de Donald Trump.

Remplacée par un homme

Selon le Wall Street Journal, Mark Zuckerberg lui aurait alors reproché sa mauvaise gestion de la crise et l’aurait rendue responsable du manque de moyens de Facebook concernant la chasse aux contenus inappropriés sur leurs réseaux sociaux.

Depuis, Facebook a été la cible de nombreuses controverses avec les révélations de la lanceuse d’alerte Frances Haugen qui a dévoilé des documents internes mettant notamment en lumière les failles des systèmes de modération du réseau social hors des Etats-Unis.

Depuis, Mark Zuckerberg a voulu reprendre les choses en main: il s'est rendu lui-même aux auditions parlementaires au Congrès américain. Meta parie désormais sur le métavers avec un nouvel homme fort en interne, Andrew Bosworth. C’est Javier Olivan qui a pris le relais de Sheryl Sandberg, un vétéran de Facebook arrivé en 2007 en tant que responsable de la croissance internationale.

La place des femmes dans la tech

Sur ces cinq dernières années, cinq départs notables de femmes dirigeantes dans la tech sont à relever. Le départ le plus récent est celui de Marne Levine en février 2023, ancienne directrice commerciale de Meta, après 13 ans passés dans l'entreprise.

"Alors que nous terminons l'une de nos années les plus difficiles mais avec des résultats allant dans la bonne direction, et alors (…) que j'estime que la stratégie mise en place est bienvenue, le moment me semble propice" pour partir, a expliqué Marne Levine sur son compte Facebook, sans donner plus de détails sur les raisons de son départ.

Marissa Mayer a quitté la tête de Yahoo après l'avoir dirigé entre 2012 et 2017. En 2018, c'est Meg Whitman qui démissionne de son poste de PDG d'HP. En octobre 2022, Vijaya Gadde, alors responsable juridique de Twitter a été victime des licenciements de masse d'Elon Musk.

Difficile de dire que toutes ces femmes dirigeantes sont parties à cause de leur genre, bien que la tech reste un milieu très masculin. En France, en 2022, les femmes représentent 17% des effectifs des métiers du numérique.

Mais pour Laure Kray, professeure à l'Université de Berkeley interrogée par CNN, pas de doutes: "il est difficile de lire le dernier départ d'une femme dirigeante de haut niveau comme autre chose que des preuves supplémentaires que le secteur de la technologie n'a pas réussi à créer des cultures inclusives capables d'attirer et de retenir les meilleurs talents".

Margaux Vulliet