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Société

Un parfum de protectionnisme flotte sur la France

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"Patriotisme économique", "écluses tarifaires", "préférence communautaire" : une forme de protectionnisme qui ne dit pas son nom fleurit dans le vocabulaire politique français un an avant la présidentielle.

Nicolas Sarkozy insiste de longue date pour que l'Europe trop "naïve" accorde une préférence aux produits du Vieux Continent, surtout en matière agricole et lorsque les produits importés ne respectent pas des normes environnementales ou sociales.

Marine Le Pen a un programme encore plus clair et emprunte un terme cher à l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin.

"Ce qui est le plus intelligent pour la France, c'est de mettre en place un patriotisme économique", a dit le 8 avril la présidente du Front national, qui est donnée au deuxième tour en 2012 par certains sondages d'opinion.

Elle parle de "protection aux frontières" et de "quotas d'importation" lorsqu'il y a "concurrence déloyale".

Et dans son projet pour 2012 adopté le 5 avril, le Parti socialiste, dont les principaux candidats déclarés ou potentiels sont susceptibles de battre Nicolas Sarkozy selon tous les sondages, embrasse une idée qui n'est pas trop éloignée.

L'Europe, y est-il dit, est le seul continent qui s'adonne au libre-échange sans entrave alors que de nombreux pays, comme les Etats-Unis, ne cessent de faire des exceptions.

"Pour protéger les intérêts de l'Europe, de ses savoir-faire et de ses salariés dans la mondialisation, pour mieux réguler le commerce, nous agirons pour augmenter les droits de douane sur les produits provenant de pays ne respectant pas les normes internationales en matière sociale, sanitaire ou environnementale", souligne le document.

"En cas d'échec durable des négociations sur les normes, nous proposerons la mise en place d''écluses tarifaires' aux frontières de l'Europe", ajoute le PS.

CLAUSES DE SAUVEGARDE

Le PS demande aussi que des clauses de sauvegarde soient incorporées dans les accords entre l'Union européenne et les pays tiers pour protéger ses industries menacées par une hausse des importations, notamment quand des emplois sont en jeu.

Il s'agit d'un revirement de taille pour un parti qui a appris à ses dépens électoraux que se faire le chantre de la mondialisation n'est pas très populaire en France.

L'objectif est d'attirer les "perdants de la mondialisation" - chômeurs, classe moyenne et les ouvriers qui restent -, qui craignent d'être victimes de l'ouverture au grand large.

Certains de ces électeurs ont déjà déserté les rangs des partis traditionnels pour voter en faveur du Front national, et l'extrême gauche, tout comme les Verts, manie une rhétorique altermondialiste dénuée de toute ambiguïté.

La résistance au libre-échange n'est pas nouvelle en France et remonte à Louis XIV, dont le contrôleur général des Finances Jean-Louis Colbert a donné son nom à une célèbre doctrine qui préconisait d'importer le moins possible.

Plus récemment, Maurice Allais, l'un des rares prix Nobel de l'Economie français, a défendu jusqu'à sa mort la nécessité de maintenir des protections contre les économies émergentes, sous peine de voir l'Europe s'enfoncer dans le chômage de masse.

Le démographe Emmanuel Todd fait lui aussi campagne pour un protectionnisme européen - et une sortie de l'euro, tout comme Marine Le Pen - pour préserver le tissu industriel français.

DOUBLE PROBLÈME

Le problème est double pour les partisans de ces thèses.

Tout d'abord, la France est pratiquement la seule sur la scène européenne à défendre l'idée selon laquelle la mondialisation devrait être sévèrement régulée, le Royaume-Uni et les Pays-Bas défendant farouchement le libre-échange.

Cette croisade contredit aussi les intérêts d'un pays qui dépend pour sa prospérité des exportations de biens à haute valeur ajoutée et de services.

Les classes moyennes en Inde et en Chine, en explosion, veulent conduire des voitures allemandes, porter des vêtements et du parfum français, et voler dans des avions européens.

Si l'érection de droits de douanes européens est susceptible de préserver des emplois industriels, elle risque de se faire au détriment de la société de la connaissance de demain.

Les pays asiatiques ne tarderaient pas à prendre des mesures de représailles si l'Europe commence à fermer ses marchés pour satisfaire ses travailleurs, préserver l'environnement et protéger ses agriculteurs, l'un des électorats choyés par la droite en général et Nicolas Sarkozy en particulier.

Les menaces françaises risquent donc de ne pas dépasser le pur stade de la rhétorique électorale.

Le président français n'a jamais été au-delà des discours et le directeur général du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, qui est donné favori pour 2012 par les sondages, ne partage pas les appels lancés par la classe politique.

A Washington, il s'est battu pour résister aux tentations protectionnistes depuis le début de la crise en 2008.

En outre, la Commission européenne, qui a une compétence exclusive en matière commerciale, est fermement libre-échangiste, même si elle est plus sensible qu'auparavant à la nécessité d'obtenir une meilleure réciprocité.

Or, la France veut jouer un rôle majeur dans l'Union européenne et a besoin de l'appui de l'Allemagne.

"Pour le parti social-démocrate, (toute demande de protectionnisme) serait considérée comme de la folie pure", explique Ernst Hillbrand, de la Friedrich Ebert Foundation, un centre de réflexion proche du principal parti d'opposition.

Même si des inquiétudes se font jour aussi en Allemagne, notamment sur l'afflux des travailleurs d'Europe centrale, "l'opinion dominante dans la population allemande est que nous gagnons plus dans la mondialisation que nous n'y perdons", ajoute ce chercheur qui cite un chef d'entreprise allemand selon lequel "la Chine deviendra l'usine du monde, mais nous construirons cette usine".

Par Paul Taylor édité par Yves Clarisse