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Lobbyistes religieux et militants politiques: qui sont les Frères musulmans?

Drapeaux des Frères musulmans durant une manifestation en Jordanie.

Drapeaux des Frères musulmans durant une manifestation en Jordanie. - KHALIL MAZRAAWI

Après l'assassinat de Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine vendredi, le ministre de l'Intérieur a indiqué sa volonté de dissoudre le Comité contre l'islamophobie en France. Le CCIF est souvent associé aux Frères musulmans. Né en Egypte, il y a près de 100 ans, ce mouvement promeut en sourdine une traduction politique de l'islam radical.

Lundi, trois jours après l'assassinat de Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine, Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, disait son intention de mettre fin aux activités de deux structures. "Je vais proposer la dissolution du CCIF et de BarakaCity, des associations ennemies de la République", a-t-il déclaré. Si seul le collectif "Cheikh Yassine" a été dissous ce mercredi, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a confirmé au sortir du conseil des ministres la volonté de l'exécutif de clore le chapitre du CCIF dans les "semaines à venir".

Au centre des considérations du sommet de l'Etat se trouve la conviction de liens reliant le "Comité" aux Frères musulmans. Un mouvement, fondé en Egypte en 1928, aussi souvent cité que mystérieux mais dont l'identité idéologique est bien marquée au sein de la galaxie islamiste.

Là sans y être

Le CCIF n'est pas le premier organisme à se voir soupçonné d'être une émanation ou un partenaire des Frères musulmans. Avant lui, entre autres, l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), devenu depuis Musulmans de France, a soulevé le même doute. Il est cependant difficile d'établir cette filiation, que le CCIF nie d'ailleurs. En France, où il s'est implanté formellement à partir des années 1980 selon Libération, le phénomène des Frères musulmans, présent dans tout le monde islamique et s'adressant à la diaspora musulmane, a quelque chose de gazeux. On dira de tel imam, intellectuel ou militant associatif qu'il est "proche des frères musulmans", jamais, ou presque, qu'il en est un.

Gérard Vespierre, directeur de recherches à la Fondation d’Etude pour le Moyen-Orient (FEMO), fondateur du site Le Monde décrypté et auteur récemment d'une analyse des Frères musulmans pour La Tribune, nous explique cette distance apparemment irréductible:

"C'est une attitude psychologique, intellectuelle et dialectique que l'on retrouve dans l'ensemble de l'islamisme. Personne n'en est. On est toujours sur une ligne de crête, on doit intégrer cette grande habileté". Une influence diffuse plutôt qu'un militantisme directement interventionnisme? "C'est du domaine du soft power", confirme notre interlocuteur.

Une ADN de près d'un siècle

Pour comprendre l'agenda politique des Frères musulmans, il faut d'abord décrocher de 92 ans. En 1928, l'instituteur Hassan el-Banna, grand-père de Tariq Ramadan, crée les Frères musulmans, organisation multipliant les œuvres sociales en vue d'un horizon plus large.

"La naissance des Frères musulmans est un acte religieux pour contrer la civilisation occidentale et la présence politique des occidentaux dans une Egypte alors sous protectorat britannique. Mais il y a aussi à l'époque une résonance contre la politique alors en cours dans certains pays musulmans, comme la modernisation de la Turquie par Atatürk ou contre l'Iran du Shah où le religieux était relégué dans sa mosquée et pas ailleurs", retrace Gérard Vespierre.

L'idée pour les Frères musulmans est de refonder la société autour de l'islam et sa spécificité cultuelle, juridique et culturelle, loin des canons de l'Europe colonisatrice et dominatrice. Comme le montre leur rayonnement jusqu'aux anciennes terres ottomanes et à l'empire persan, les Frères musulmans ne s'arrêtent pas au seul public arabe, et ne font pas du conflit antédiluvien entre sunnites et chiites leur ADN, bien qu'ils relèvent des premiers. De nos jours, cette dimension internationale est même indissociable de leur démarche générale. "Le mouvement est global et va du Qatar à la Turquie - axe de pénétration du mouvement - et jusqu'aux Pays-Bas", liste Gérard Vespierre.

La réunion du religieux et du politique

Tout au long de leur histoire, les Frères musulmans ont egréné des partis politiques, à l'instar du Parti de la liberté et de la justice en Egypte, sans leur donner leur nom, s'attachant à demeurer un mouvement transnational plutôt qu'une formation politique stricto sensu.

Par delà les décennies et les frontières, les Frères musulmans ont connu beaucoup de variations, à commencer par leur renoncement aux actions violentes depuis les années 1970. Mais Gérard Vespierre remarque l'unité de vue entre les Frères musulmans d'hier et d'aujourd'hui, entre ceux d'Egypte, du Proche-Orient et d'Europe: "C'est la réunion et la cohérence entre la religion et la politique".

Du modèle individuel au modèle sociétal

Dans les pays d'obédience musulmane, le cœur du message de la "Confrérie" des "Frères" est l'application de la Charia, c'est-à-dire la codification des comportements licites et illicites pour les particuliers sur la base des préceptes islamiques. Leur objectif est toutefois différent dans les pays où les fidèles ne constituent qu'une minorité.

"Dans la zone européenne, leur vision rejoint ce qu'on appelle le séparatisme. Ils veulent que les musulmans forment un ensemble séparé, n'appartenant pas à la République - ou au royaume le cas échéant - mais à l'Oumma (la communauté des croyants musulmans en arabe, NDLR)", pose notre spécialiste qui enchaîne: "Ils veulent passer d'un modèle individuel de l'islam à un modèle sociétal".

Et le moyen pour y parvenir a évolué. Loin du retrait isolationniste d'islamistes adeptes d'une attitude dite "quiétiste", les Frères musulmans prêchent l'engagement politique au sein de ces sociétés européennes mêmes dont il s'agissait à l'origine de se distinguer. Ainsi, lors des dernières élections municipales, la proximité entre certains candidats de l'Union Démocratique des Musulmans de France et le "frérisme" a été commentée par la presse. Un pouvoir d'influence que le gouvernement cherche à présent à contenir et à contrecarrer.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV