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Ce que l'on sait du contenu du rapport sur la pédocriminalité dans l'Église

Le président de la Commission indépendante sur les abus sexuels sur mineurs dans l'Eglise catholique a estimé mercredi à au moins "3.000" le nombre de victimes en France depuis 1950

Le président de la Commission indépendante sur les abus sexuels sur mineurs dans l'Eglise catholique a estimé mercredi à au moins "3.000" le nombre de victimes en France depuis 1950 - FRANCOIS GUILLOT © 2019 AFP

La publication de ces documents, prévue mardi, va "être une épreuve de vérité et un moment rude et grave", a annoncé l'épiscopat.

Il y a eu "entre 2900 et 3200 pédocriminels", hommes - prêtres ou religieux - au sein de l'Église catholique en France depuis 1950, a déclaré dimanche à l'AFP Jean-Marc Sauvé, le président de la Commission qui enquête sur la pédocriminalité dans l'Église. Un chiffre à rapporter à une population générale de 115.000 prêtres ou religieux au total sur cette période de 70 ans.

Après deux ans et demi de travaux, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase) rendra mardi ses conclusions complètes, dans un rapport, qui annexes comprises, montera finalement à "2500 pages", a précisé Jean-Marc Sauvé. Mais depuis la fin de la semaine dernière, les premières informations ont déjà fuité.

Une "estimation minimale" des chiffres

Une annonce de l'épiscopat pour les paroisses a ainsi été transmise aux curés de France dès le samedi 2 octobre.

"La publication du rapport va être une épreuve de vérité et un moment rude et grave", précise la note.

L'ampleur du phénomène est "plus grande que ce que l'on pouvait craindre", avait prévenu ce vendredi Monseigneur Éric de Moulins Beaufort, président de la Conférence des évêques de France.

D'autant que Jean-Marc Sauvé a précisé que le nombre de pédocriminels donné dans son rapport, était une "estimation minimale" fondée sur le recensement et le dépouillement des archives - Église, justice, police judiciaire et presse - ainsi que sur les témoignages reçus par cette instance. Ceux qui n'ont jamais témoigné, fatalement, ne sont pas comptabilisés.

"80% de ces victimes disent qu'elles ont mis 50 à 60 ans pour pouvoir raconter leur histoire", explique ainsi sur BFMTV Jean-Pierre Sautreau, victime d'agressions sexuelles dans son enfance, auteur de "Criez pour nous", qui recense des centaines de témoignages victimes d’attouchements et de viols par des hommes de l’Église.

"C'est un drame, ce sont des crimes. On est les uns et les autres profondément bouleversés, il y a une souffrance", déclarait ainsi dimanche à BFMTV Monseigneur Bruno Lefevre-Pontalis, curé de la paroisse Saint-François-Xavier de Paris.

Faire de l'Église une "maison sûre"

Le rapport donnera mardi un état des lieux quantitatif du phénomène, et notamment du nombre de victimes. Il comparera la prévalence des violences sexuelles dans l'Église à celle identifiée dans d'autres institutions (associations sportives, école...) et dans le cercle familial. La commission évaluera également les "mécanismes, notamment institutionnels et culturels" qui ont pu favoriser la pédocriminalité et listera 45 propositions.

L'Église catholique est "en dette avec les victimes. Cette dette, nous ne pourrons pas la solder, elle est insolvable", déclare Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (CORREF). "Mais ce n’est pas parce qu’elle est insolvable qu’il ne faut pas réparer ce qui peut l’être. Parce qu’aussi, c’est essayer, bien modestement, de permettre d’ouvrir l’avenir".

L'Église catholique a d'ores et déjà voté en mars dernier 11 résolutions pour lutter contre la pédophilie "couvrant les champs de la responsabilité, la dimension mémorielle, la dimension financière, la prévention, l’accompagnement des auteurs mais aussi les moyens structurels de prise en charge et de suivi de leurs décisions", explique-t-elle.

Parmi elles, la "création d’un tribunal pénal canonique interdiocésain". L'objectif est à la fois d'aider les victimes, et de faire de l'Église une "maison sûre".

"Dans tous les diocèses, les évêques se sont mis à l’écoute des personnes victimes" assure auprès de Ouest France l’évêque de Laval, "et j’ai pu aussi recevoir personnellement les personnes qui l’ont souhaité", déclare-t-il.

La question de l'indemnisation

Parmi ses propositions, la Commission Sauvé va faire des recommandations au sujet des réparations financières que pourrait apporter l'institution religieuse aux victimes. Le 26 mars dernier, les évêques ont fait des annonces en promettant de verser à partir de 2022 une "contribution financière" soit "individualisée en fonction des besoins exprimés" par la victime (pour des soins de thérapie par exemple), jusqu'à un plafond, soit "forfaitaire" si elle ne veut pas exprimer ses besoins.

Le montant sera déterminé par une instance indépendante, son financement confié à un "fonds de dotation ad hoc", doté initialement de 5 millions d'euros et qui pourra être abondé par les dons des évêques, prêtres, fidèles ou toute personne qui voudra y participer.

La formule nouvelle ne séduit pas tout le monde, comme Michel, victime qui préfère taire son patronyme.

"Je ne veux pas la charité. Ce n'est pas un don que l'Église me doit. C'est un dû, pour réparer les préjudices subis", lance-t-il à l'AFP.

"Qu'on emploie les bons mots: on réclame une indemnisation", martèle Olivier Savignac, du collectif de victimes Parler et revivre. "Avec différents montants forfaitaires, attribués après passage devant une commission, en fonction du préjudice, du traumatisme subis, des besoins de soins passés et présents". Il demande également que les diocèses mettent la main à la poche pour alimenter le fonds.

"Quelque chose de très brutal qu’il nous faut oser écouter, affronter"

Monseigneur Bruno Lefevre-Pontalis, comme d'autres, ont évoqué la publication prochaine du rapport avec leurs paroissiens ce weekend. "Je vais leur dire que cela va être dur, mais la vérité nous rend libre, il faut en passer par là, prions pour les victimes", explique-t-il sur notre antenne.

"Je veux les encourager à ne pas se cacher les yeux, ne pas claquer la porte, mais ensemble traverser la tempête. On est à l'opposé d'une politique de l'autruche".

"Je pense qu'il y a de la peur, du déni", déclare à BFMTV Colombe, fidèle de la paroisse Saint-François-Xavier de Paris. Elle veut que la confiance règne dans l'Église, "c'est hyper important pour les parents qui laissent leurs enfants le matin dans une école catholique où ils savent qu'ils vont croiser des prêtres. La vérité nous rendra libre".

"Il y a quelque chose de très brutal qu’il nous faut oser écouter, affronter. Les premiers qui en souffrent, ce sont les personnes victimes" rappelle Monseigneur de Moulins Beaufort dans La Croix. "Ce que j’aimerais, c’est que pour elles, il y ait une atmosphère qui permette qu’elles soient écoutées".

L'Église catholique a également de son côté souligné la nécessité "d'écouter les victimes, d'entendre leurs souffrances et leurs cris réclamant justice et dénonçant le poids d’une institution fautive et aveugle devant ses crimes". L'institution religieuse assure avoir "pris conscience, par étapes, de la gravité de la pédocriminalité et de l’urgente nécessité de mettre en œuvre les moyens concrets et efficaces pour lutter contre ces actes terribles et leurs conséquences", afin que l'Église devienne "une maison sûre".

Salomé Vincendon
Salomé Vincendon avec AFP Journaliste BFMTV