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Pourquoi le drame de la fausse couche est-il encore tabou?

Image d'illustration - Alors qu'une femme sur quatre vit une fausse couche au cours de sa vie, le sujet est peu évoqué.

Image d'illustration - Alors qu'une femme sur quatre vit une fausse couche au cours de sa vie, le sujet est peu évoqué. - iStock

Alors qu'une femme sur quatre vit une fausse couche au cours de sa vie, le sujet reste peu, voire pas abordé en France, au niveau du grand public. Ce manque entraîne une méconnaissance autour de la fin précoce de la grossesse, mais surtout un tabou, qui freine le besoin de parler des personnes vivant cette perte.

Dans un long témoignage posté dimanche sur la plateforme Medium, la députée LaREM Paula Forteza raconte sa fausse couche, à quatre mois de grossesse, et pointe du doigt le manque d'informations et le tabou autour de ce sujet. "Pourquoi n’en avais-je jamais entendu parler avant? Pourquoi en avoir fait collectivement un tabou, une expérience à passer sous silence sous prétexte qu’elle serait glauque et choquante?", écrit l'élue.

Si des témoignages sur le sujet sont partagés en ligne, rares sont les collègues, cousines, amies voire même frères, soeurs ou parents qui osent raconter ce difficile moment de leur vie.

"J'ai eu l'impression d'échouer", déclarait Michelle Obama, ex-première dame américaine, en novembre 2018, alors qu'elle se confiait sur sa fausse couche, "parce que je ne savais pas à quel point les fausses couches étaient courantes, parce que nous n'en parlons pas. Nous restons dans notre douleur en pensant que nous sommes brisés".

Une femme sur quatre vit une fausse couche

La fausse couche c'est "un arrêt spontané de la grossesse avant la 22ème semaine d’aménorrhée (soit environ 5 mois), date de viabilité du fœtus", explique le site de l'assurance maladie.

Il rappelle que la fausse couche isolée (une expérience de fausse couche unique) est une "situation fréquente" qui touche au moins 15% des grossesses. Le site de l'assurance maladie précise que le risque de fausse couche spontanée augmente avec l'âge: à 25 ans, il est de 12% par cycle à 42 ans, de 50%. En tout, c'est à peu près une femme sur quatre qui sera confrontée à une fausse couche au cours de sa vie.

Malaise, pudeur ou peur de la réaction de l'autre, pourquoi ce sujet reste-t-il si peu abordé quand il concerne tant de personnes?

"Le deuil d'un enfant qui n'a pas vécu"

La difficulté de parler d'une fausse couche est intrinsèque au drame que la mort d'un enfant provoque au sein d'un couple, ou chez la femme qui portait l'enfant. "C'est le deuil d'un enfant qui n'est pas né, c'est aussi le deuil d'un projet, le deuil de tout un désir de conception, de famille qu'il faut faire", explique une responsable de l'association Petite Émilie, qui regroupe des familles concernées par le deuil périnatal.

Face à ses proches, mais aussi à la société, c'est un deuil qui peut être compliqué à faire, mais aussi à faire comprendre, car "il est difficilement admis qu'on fasse le deuil de quelqu'un qui n'a pas existé. Il n'y a pas de vécu, de souvenirs" à évoquer pour l'entourage, continue la responsable.

La majorité des fausses couches intervient au cours du premier trimestre, avant la 14ème semaine d’aménorrhée, à trois mois de gestation. Alors que l'annonce de la grossesse à son entourage intervient généralement à la fin de cette période, quand les risques de perte du foetus sont amoindries.

Dans un long témoignage sur sa propre fausse couche, mais aussi l'appréhension du sujet en France, Marie-Hélène Lahaye fustige dans un post de son blog "Marie accouche là" ce silence au début de la grossesse, qui maintient le tabou selon elle et "a pour seul but d’empêcher les futurs parents d’annoncer par la suite une éventuelle fausse couche".

"Parfois la grossesse n'a même pas été annoncée à ses proches, donc on doit tout dire d'un coup", raconte une responsable d'Agapa, association qui accompagne les personnes touchées par une grossesse interrompue. Cela rajoute à "la brutalité et l'inattendu de cette situation", déjà difficile à vivre.

La cause d’une fausse couche "rarement recherchée"

Cette difficulté d'évoquer le sujet se couple parfois à une culpabilisation de la mère qui pense avoir mal fait, ou être responsable de la perte du fœtus, notamment parce que les causes d'une fausse couche sont rarement connues. "Elle est due le plus souvent à une anomalie de développement du fœtus", explique l'assurance maladie, qui souligne que la "cause d’une fausse couche spontanée et isolée est rarement recherchée".

"Il n'y a quasiment jamais d'explication, ce qui rajoute évidemment à la difficulté" de faire son deuil et à pouvoir en parler, explique-t-on à l'association Agapa. Certains "ont plus de mal à relancer une autre grossesse, ils ont peur que cela se reproduise".

"C'est rare que l'on trouve les raisons d'une fausse couche", explique une sage-femme du réseau périnatal Naître dans l'Est francilien, "notamment parce qu'avant 15 semaines, on ne peut pas faire d'autopsie du fœtus", et donc identifier une anomalie précise. Les enquêtes sur les causes d'une fausse couche sont surtout menées en cas d'interruption spontanée de grossesse à répétition, ou lorsque le fœtus est plus développé.

L'impression de manque d'informations médicales vient également du fait que la fausse couche peut survenir très tôt dans la grossesse, alors même qu'aucun rendez-vous médical n'a eu lieu. "Ces femmes ne sont pas préparées à quelque chose, étant donné qu'elles n'ont encore vu aucun professionnel", explique la sage-femme.

"I had a miscarriage"

Pour pallier ce tabou sociétal, des initiatives éparses existent. Les cafés-rencontres proposés par l'association Agapa - pour échanger entre personnes ayant traversé une même épreuve - ou encore les professionnels de santé dans certains réseaux périnatals sont là pour permettre aux personnes en difficulté à la suite de ce drame de pouvoir s'exprimer, raconter.

Faute d'une oreille attentive, ou par besoin de parler à découvert de son expérience, certains publient leur histoire sur des forums, blogs ou réseaux sociaux. Comme sur le compte Instagram "I had a miscarriage" (En français: "J'ai fait une fausse couche"), créé en 2015 par une psychologue américaine, qui a vécu cette expérience. Il a pour but de délier les langues, de parler ouvertement de ce sujet encore trop difficile à aborder.

Salomé Vincendon