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Société

Pourquoi de moins en moins d'enfants partent en colonies de vacances

Une colonie de vacances à Bray-Dunes en 2013.

Une colonie de vacances à Bray-Dunes en 2013. - AFP PHOTO / PHILIPPE HUGUEN

De moins en moins d’enfants partent chaque année en colonie de vacances, alors que les associations du secteur dénoncent une pression des acteurs du privé qui nuirait à la mixité sociale.

Le couperet n’est pas passé loin. La transposition dans le droit français de la "directive Travel" devait imposer dès le 1er juillet aux structures d’accueil de mineurs, et donc aux colonies de vacances, de budgéter des frais d’annulation potentielle. Une contrainte intenable pour la myriade d’associations à but non lucratif qui organisent des séjours. Mais devant la levée de boucliers, Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Education nationale, a finalement annoncé que celles-ci seraient exclues du dispositif.

"C’est une victoire? Oui et non, répond Arnaud de Béchevel, président de Vitacolo, une association qui propose des colonies de vacances. Le ministre a posé un avis public en répondant à une question à l’Assemblée nationale. Les organisations qui disposent d’un agrément ne sont plus concernées, mais il faut trois ans pour l’obtenir. Comment vont faire celles qui viennent de se lancer?".

"Les colos, c’est le seul endroit avec les clubs de sport où la mixité sociale existe encore"

L’épisode est surtout révélateur d’un malaise extrêmement profond dans le milieu des colonies de vacances. "L’Etat semble désormais considérer que les colos sont plus un loisir que quelque chose avec un vrai but éducatif. Mais les colonies c’est d’abord un modèle social, reprend Arnaud de Béchevel. Le monde des colos a aujourd’hui deux visages. Celui d’entreprises privées qui visent les classes supérieures, avec des tarifs élevés. Et de l’autre côté les structures sociales, dont l’objectif n’est pas de faire des bénéfices records. Mais si la directive était passée, beaucoup d’organisations comparables à la nôtre auraient fermé du jour au lendemain".

Avec Vitacolo, il assure porter un objectif de mixité sociale, en proposant des séjours thématiques compris entre 600 et 860 euros pour 13 jours. "Les familles les plus riches peuvent payer. La CAF donne encore quelques aides aux familles dans le besoin, reprend Arnaud de Béchevel. La problématique est sur les classes moyennes, que nous essayons d’accompagner avec des paiements échelonnés par exemple. Les colos, c’est le seul endroit avec les clubs de sport où la mixité sociale existe encore, alors que son absence est un vecteur de tensions dans notre pays. Notre problème chaque année c’est qu’on ne sait pas si on va survivre. En 2000, il y avait 3 millions d’enfants qui partaient en colos, pour 18.000 structures. Aujourd’hui, c’est un peu plus d’un million d’enfants pour 10.000 structures".

"On est passé de 3 voire 4 millions d’enfants qui partaient en colo dans les années 60, à 1,3 millions aujourd’hui"

La désaffection pour les colos ne date en effet pas d’hier. "On est passé de 3 voire 4 millions d’enfants qui partaient en colo dans les années 60, à 1,2 millions voire 1,3 millions aujourd’hui. C’est une chute vertigineuse", confirme Yves Raibaud, géographe et spécialiste des colonies de vacances. En 2016, un rapport qu’il a co-écrit sur l’efficacité du dispositif gouvernemental #GénérationCampColo avait déjà dénoncé l’affaiblissement des colonies de vacances et ses effets pervers. Selon lui, "on est passé d’un modèle de colo généraliste" à "des colonies de vacances qui sont orientées vers des produits d’appel, avec des catalogues souvent très luxueux, qui proposent de la plongée, de l’équitation, de l’astronomie, à des prix inaccessibles pour les enfants des classes populaires". Il remarque cependant que "le scoutisme s’en tire plutôt bien, en entretenant cette tradition du camp sous toile, de la cuisine préparée par les enfants, du jeu collectif, de la randonnée".

Les parents sont évidemment en première ligne dans cette tendance qui veut qu’on envoie de nos jours moins ses enfants en colonies de vacances. Dans un sondage IFOP pour la "Jeunesse au plein air", il y a un an, 64% des sondés indiquaient n’avoir jamais proposé de séjour en colonie de vacances à leur enfant. Pour justifier ce refus, ils mettaient en avant le fait d’être "disponible pour passer les vacances avec (leur) enfant et ne voyez donc pas l'intérêt qu'il aille dans un centre d'accueil collectif" (44%), ils estimaient "le coût financier du séjour trop onéreux" (22%), et assuraient qu’ils n’avaient "pas confiance dans le personnel accompagnant" (10%).

"Quand les parents se partagent la garde des enfants, ils ne vont pas les envoyer en colo"

S’il reconnait l’impact économique, Simon Thirot, délégué-général de l’UNAT, une fédération qui regroupe des acteurs du tourisme social et solidaire, avance aussi des raisons sociologiques. "Les parents vont privilégier le fait d’envoyer les enfants chez les grands-parents, notamment parce qu’ils sont beaucoup plus actifs et peuvent leur faire faire plus de choses que par le passé. Il y aussi les divorces. Quand sur les 20 dernières années vous avez un nombre de divorces qui augmente, l’été, quand les parents se partagent la garde des enfants, ils ne vont plus les envoyer en colo".

Mais selon Yves Raibaud, il y a d’autres raisons à cette désaffection.

"Quand on regarde dans les détails, ville par ville, les municipalités ont vendu leurs hébergements. C’est devenu toujours trop cher d’entretenir une colo en Corrèze ou dans le Morbihan. Les mairies se sont retournées vers des organisateurs privés, en donnant des bons vacances pour que les enfants partent. L’autre truc terrible pour les colos qui vivaient dans des bâtiments en dur, ça a été la traque à la moindre plaque d’amiante, au moindre manque de ventilation. Ça a réformé des locaux qui n'étaient pas aux normes, alors qu'il n'y avait pas de risque réel pour les enfants".

"Il y a des modèles de colos qui émergent"

Certains acteurs du privés se sont donc engouffrés dans la brèche, accentuant encore un peu plus les inégalités.

"Les colos restent un endroit de mixité sociale, mais le fait qu’il y ait moins de départs la limite, reprend Simon Thirot. Oui il y a des gens qui organisent des colos clairement pour gagner de l'argent, avec un marketing un peu agressif. Je ne vois pas de menace immédiate, mais il faut garder une vigilance pour que les colos de demain aient un contenu éducatif fort et où la mixité soit toujours au cœur des préoccupations des organisateurs". 

Et la désaffection pour les colos semble même s'accélérer. "Pour la période 2015-2016, il y avait 40.000 départs en moins, par rapport à une baisse qui était déjà continue", prévient Cyril Dheilly, doctorant en science de l’éducation à l’Université de Rouen-Normandie et spécialiste des colos. Si les chiffres pour 2017 n’ont pas été dévoilés, ils ne devraient pas inverser la tendance. Alors, terminées les colos à l’ancienne? "La tendance des séjours à thème participe à séparer les publics. Et le rythme y est parfois difficile, proche de celui du quotidien. Mais il y a des modèles de colos qui émergent, répond le chercheur, qui cite la Maison de Courcelles ou Cités d’enfants. Ce n’est pas LA bonne réponse mais c’est une façon de faire évoluer les choses pour que les enfants puissent participer, décider de leurs vacances, et pas qu’ils soient seulement passifs. Il y a toute une construction en amont: quel est le nom de la colo? Comment on organise notre campement? Quel métier je vais y faire? Il faut repenser les modèles pour que les enfants aient envie de partir".

Antoine Maes