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Pourquoi Arte n’a pas diffusé "La cité du mâle"

Dans "La cité du mâle", les mots sont crus, souvent violents : "« Si ma sœur fait la trainée, je la menotte chez moi", explique ce jeune homme.

Dans "La cité du mâle", les mots sont crus, souvent violents : "« Si ma sœur fait la trainée, je la menotte chez moi", explique ce jeune homme. - -

Mardi soir, la chaîne Arte a déprogrammé le reportage "La cité du mâle", sur la violence des relations hommes-femmes dans les cités de banlieue, tourné à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Extraits vidéo et explications.

Des remous après la déprogrammation d'un documentaire sur Arte. La cité du mâle devait être diffusé avant-hier soir, mardi, dans le cadre d'une soirée thématique sur les rapports entre filles et garçons et le machisme ordinaire. Mais une quarantaine de minutes avant la diffusion, il a finalement été déprogrammé.
La réalisatrice Cathy Sanchez y traite le machisme ordinaire des jeunes habitants des quartiers. Et choisit la cité Balzac à Vitry sur Seine dans le Val-de-Marne, comme un symbole. C'est là que Sohane a été brûlée vive en 2002, dans un local à poubelles.
« Certains protagonistes du documentaire se disant en danger, la production et l'antenne ont décidé d'une déprogrammation temporaire », a précisé la chaîne sur son fil Twitter. L'un des contacts de l'équipe de tournage a en effet appelé Arte, expliquant que des filles interrogées dans le film pourraient courir un risque en cas de diffusion. La direction des programmes a donc choisi de ne pas diffuser le film.

« Un mec c’est pas une fiotte »

« Des filles bien et des chiennes, des putes… »

Notre reporter Fabien Magnenou, qui a pu voir ce documentaire réalisé par Cathy Sanchez, raconte : la réalisatrice a rencontré des jeunes de Vitry et leur a demandé comment ils voient les filles de leur cité. Et on comprend vite que pour beaucoup, il existe deux catégories. « Il y a des filles bien, des chiennes – excusez-moi le mot – mais des chiennes, des putes... » Les mots sont crus, souvent violents. Pour beaucoup de ces garçons rencontrés par la réalisatrice, le même constat : les filles doivent se tenir bien.
Chloé Leprince, journaliste pour le site d'information Rue 89, qui, pour les besoins d'un article, a récemment présenté le documentaire devant un jeune homme et une jeune fille de Vitry, parle d’une « culture banlieue : si on couche, on ne se respecte pas ».

« Si ma sœur fait la trainée, je la menotte chez moi »

Et le plus étonnant, c’est peut-être que les filles aussi ont parfois intégré ces repères. Jusqu’aux violences conjugales. Dans la cité elles semblent plutôt émancipées, mais quand on leur parle de ces hommes qui lèvent la main sur les femmes, l’une d’elle lance : « Je suis d'accord. Une petite claque, ça ne fait de mal à personne. » Pour se faire accepter, certaines ne s’habillent plus qu’en survêtement. C’est par exemple le cas d’Hamida, qu’on voit dans le film, elle qu’on appelle parfois « bonhomme ».

« Ne pas donner d’écho aux arriérés »

Si certains parlent d'un documentaire caricatural, rempli de clichés, la réalisatrice Cathy Sanchez semble pourtant avoir pris la peine de nuancer un peu le tableau et donne la parole à Issa, un habitant du quartier, qui connaît bien ces jeunes : « Je pense que c'est sorti de la bouche des jeunes qui n’ont pas beaucoup vécu avec une femme.
- Mais alors, pourquoi disent-ils ça ?
- Parce qu'on vit dans un monde très sexiste, très coupé. C'est le monde des clivages, hommes, femmes... Après, si certains arriérés ont du mal à accepter l'émancipation des femmes, faut pas leur donner d'écho à ces gens-là ! »

« Des espaces de non-droit pour la police, et aussi pour l’information »

Daniel Leconte, directeur de Doc en Stock, la société qui a produit le documentaire, réagit à sa déprogrammation : « Pour la première fois où on parlait d’une histoire comme celle-là, ils trouvent le moyen d’empêcher la diffusion ; c’est quand même incroyable. Ça souligne la pertinence des choix qu’on a fait en faisant ce sujet ; je pense qu’on a vraiment mis le doigt sur un truc incroyable aujourd’hui en France : non seulement il y a des espaces de non-droit pour la police, mais il y en a aussi pour l’information. Que des types inspirent tellement la peur, au point que leur entourage soit contraint de nous demander à nous de les protéger en ne diffusant pas des informations, c’est une forme de censure grave. »

La chaîne de télévision Arte cherche maintenant à savoir s’il faut vraiment prendre les menaces au sérieux. En tout cas, elle annonce que le documentaire sera bien diffusé. Mais sans encore préciser la date.

La Rédaction, avec Fabien Magnenou