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Société

Plus de 800 aviculteurs craignent de sombrer avec Doux

Le redressement judiciaire de Doux, annoncé début juin, menace l'avenir de 3.400 salariés en France et de plus de 800 éleveurs fournissant le groupe. /Photo prise le 16 juillet 2012/REUTERS/Jacky Naegelen

Le redressement judiciaire de Doux, annoncé début juin, menace l'avenir de 3.400 salariés en France et de plus de 800 éleveurs fournissant le groupe. /Photo prise le 16 juillet 2012/REUTERS/Jacky Naegelen - -

par Sybille de La Hamaide GIEN, Loiret (Reuters) - Quand il pousse la porte du bâtiment où grandissent ses 26.000 poussins, Matthieu Coppoolse se dit...

par Sybille de La Hamaide

GIEN, Loiret (Reuters) - Quand il pousse la porte du bâtiment où grandissent ses 26.000 poussins, Matthieu Coppoolse se dit confiant dans ce secteur robuste de l'agriculture française. Mais lorsqu'on l'interroge sur son propre avenir, le visage de cet éleveur de 26 ans s'assombrit à l'idée que son unique client fasse faillite.

Matthieu Coppoolse élève des poulets et des dindes pour le compte du groupe français Doux, dont le redressement judiciaire annoncé début juin menace l'avenir de 3.400 salariés en France et de plus de 800 éleveurs fournissant le groupe.

La demande en volaille, acceptée par la majorité des religions contrairement au porc, est restée dynamique en France et dans l'Union européenne dans un contexte de crise où les consommateurs restreignaient pourtant leurs dépenses. Mais l'industrie française fait face à une concurrence grandissante.

Le groupe Doux, qui appartient à 80% à la famille du même nom, est l'un des premiers exportateurs de volaille au monde. Il a suscité l'intérêt d'une douzaine de repreneurs potentiels mais aucun d'entre eux n'aurait déposé d'offre de rachat pour l'ensemble du groupe.

Matthieu Coppoolse craint qu'une partie des éleveurs qui travaillent pour Doux soient laissés de côté.

"Ce que je crains c'est que les acheteurs ne reprennent pas tous les outils de Doux, notamment les abattoirs les moins performants dans la région. Si Doux tombe, ça va être chaud pour beaucoup d'éleveurs", dit-il en parcourant l'immense hangar qui abrite ses poussins à peine âgés d'une dizaine de jours.

"On a tous besoin du groupe Doux parce que s'il tombe nous aurons moins de moyens de pression", ajoute le jeune homme qui cultive également des céréales.

Comme de plus en plus d'entreprises avicoles, Doux propose à ses éleveurs un système intégré qui contrôle la chaîne de production "de l'oeuf jusqu'à l'assiette".

UNE ACTIVITÉ RÉMUNÉRATRICE

Même si l'incertitude concernant l'avenir de leur principal client se fait de plus en plus pesante, les éleveurs de volaille restent confiants dans l'avenir de leur secteur, dont la consommation a bondi de 24% depuis l'année 2000.

"La viande blanche est plus accessible et très répandue dans la restauration collective, notamment dans les écoles", insiste Joël Limouzin, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitations agricoles (FNSEA).

Il précise que produire un kilo de poulet est moins cher qu'un kilo de viande rouge.

Malgré la forte demande, la production française de volaille a chuté de 20% entre 2001 et 2009, face à la concurrence grandissante du Brésil et de l'Allemagne, dont les exportations vers la France ont explosé, grâce à des taxes avantageuses, des économies d'échelle et des coûts du travail moins élevés.

Les importations de volaille ont doublé ces dix dernières années. En juillet, celles-ci représentaient près de 45% de la consommation française de poulet, selon Christian Marinov, directeur de la Confédération française de l'aviculture (CFA).

Les éleveurs soulignent que la modernisation de leurs outils de travail sera primordiale pour rester compétitifs.

Pour Valéry Miermont, qui élève 20.000 dindes, lui aussi dans la région Centre, le gouvernement et les autorités régionales doivent débloquer des aides financières pour aider les éleveurs à rénover leurs installations.

"Pour rester compétitive, la filière doit réinvestir dans de nouveaux outils, plus performants", note cet éleveur de 46 ans. "A un moment donné, une vieille voiture, il faut la mettre à la casse", ajoute-t-il.

Matthieu Coppoolse avait prévu la construction l'an prochain de deux nouveaux bâtiments pour un montant de plus de 850.000 euros. Mais le projet est suspendu dans l'attente du remboursement des 64.000 euros que son client lui doit.

"Eleveur de volaille c'est une activité financièrement intéressante, qui rémunère bien", dit Matthieu Coppoolse, dont la famille a quitté les Pays-Bas en 1979 pour s'installer en France.

Elle venait chercher plus d'espace pour élever ses vaches laitières mais la famille s'est rapidement tournée vers la volaille, beaucoup plus rentable.

Pour sécuriser ses revenus, la famille Coppoolse a également monté sur son terrain un camping qui accueille plusieurs dizaines de caravanes, venant quasi exclusivement des Pays-Bas.

Les fermiers du secteur avicole ont vu leurs revenus grimper de 13% en 2011, selon des données du ministère de l'Agriculture. A l'inverse, les revenus des éleveurs de porc ont chuté de 11%, et ceux des éleveurs de bovins de 3%.

Malgré le niveau élevé des importations, la balance commerciale du marché de la volaille reste positive en raison des ventes vers le Moyen-Orient, qui représentent à elles seules plus de la moitié des exportations de poulets. L'Arabie Saoudite est de loin le premier marché à l'export pour le secteur et le groupe Doux est son premier fournisseur.

PLUS TECHNIQUE ET MOINS RISQUÉ

Mais ces exportations sont très dépendantes des subventions européennes, qui seront revues lors des négociations sur la Politique agricole commune (PAC) qui débuteront à la fin de cette année et entreront en vigueur après 2013.

Doux est le premier bénéficiaire français de ces aides, qui ont atteint 55 millions d'euros pour l'année 2011, principalement grâce aux subventions aux exportations.

Toutes les sept semaines, le groupe livre à Matthieu Coppoolse des poussins âgés de seulement un jour "par boîtes de 100". Il les élèvera pendant 39 ou 40 jours, les nourrissant avec des grains fournis et payés par le groupe.

Dans le hangar sombre où ils grandissent, éclairés par quelques lampes mais aucune fenêtre, les poussins ont assez d'espace pour courir lorsqu'ils arrivent. Mais lorsqu'ils ont atteint leur poids final de 1,9 kilogramme, ils remplissent toute la pièce, explique l'éleveur.

Tout est contrôlé par ordinateur : la quantité d'eau, d'air et la nourriture délivrée par des tubes en fonction du poids de l'animal.

Il vérifie la santé de ses animaux plusieurs fois par jour car une rupture du système de ventilation pourrait les tuer en quelques heures, ce qui représenterait une perte d'environ 50.000 euros, explique-t-il.

"Ici il y a moins de travail (que pour d'autres éleveurs) mais plus de responsabilités, c'est plus technique et c'est plus risqué (...) L'avantage c'est que si on perd un lot on en reçoit un autre sept semaines plus tard. On a une nouvelle chance, ce qui n'est pas le cas avec une vache."

Les propositions de rachat du groupe ont été déposées par de grandes entreprises françaises du secteur comme LDC, Glon Sanders, Duc, Tilly-Sabco, Terrena et Triskalia.

La décision du tribunal de commerce de Quimper, qui a déjà été repoussée plusieurs fois en raison notamment de la pression des pouvoirs publiques pour améliorer les offres, est attendue vendredi. Elle pourrait cependant être mise en délibéré.

FLAMBÉE DES COÛTS

D'autres menaces sérieuses pèsent sur l'avenir de la volaille française, notamment le vieillissement des éleveurs, la vétusté du matériel et l'augmentation du prix des céréales, composante principale de l'alimentation des poulets.

Elles pourraient toucher particulièrement les petites exploitations qui ne font pas partie d'un système intégré, contrairement à celui du groupe Doux.

Selon l'indice français des matières premières, les coûts d'alimentation des poulets standards ont crû de 21% entre 2010 et 2011. Depuis, le prix des céréales a continué de grimper, notamment celui du blé qui a bondi de 30% depuis la mi-juin.

La hausse des prix de l'alimentation, qui touche également d'autres éleveurs, a poussé la semaine dernière la FNSEA, le principal syndicat agricole, à réclamer une indexation des prix de la viande et du lait sur celui des céréales.

"Les matières premières représentent 50% du coût" de la viande à la sortie de l'abattoir selon Christian Marinov. "Si on ne répercute pas la hausse, ce sera dramatique pour les éleveurs et pour les entreprises."

Mais avec leurs centaines d'hectares de terres semées de céréales, et le fait que Doux paye l'alimentation de leurs volailles, l'augmentation des prix est plutôt une bonne chose pour les deux éleveurs polyvalents.

"Des cours des céréales élevés, c'est comme si votre patron vous disait que votre salaire augmente", souligne Valéry Miermont.

Marion Douet pour le service français, édité par Yves Clarisse