BFMTV
Des danseurs au festival Country Music de Mirande (Gers), le 16 juillet 2011.

REMY GABALDA / AFP

"Mes danseurs, c'est comme une deuxième famille": comment la vague country a déferlé sur la France

Les clubs de country foisonnent, des Bouches-du-Rhône au Pas-de-Calais en passant par l'Alsace, notamment dans les petites communes. La country séduit à l'ombre des radars médiatiques.

Le

Véronique Villette est tombée "dans le bain de la country" il y a dix ans, après une récidive de cancer du sein. Il était alors inconcevable pour cette femme, à l'époque âgée de 48 ans, que la maladie ne la contraigne à renoncer à la danse, elle qui comptait déjà quinze années de classique et cinq de salsa à son actif.

Elle se souvient d'une démonstration de country à laquelle elle avait assisté quelque temps plus tôt - "Je m'étais dit que ce n'était pas pour moi", se rappelle-t-elle pour BFMTV.com. Et pourtant, cette fois-ci, c'est le coup de foudre. Véronique Villette, qui travaille dans l'univers pharmaceutique, s'inscrit à des cours. Puis devient animatrice - on ne parle pas de professeur dans cette pratique. Et fonde son propre club à Lafox, un village du Lot-et-Garonne d'un peu plus de 1100 habitants, à une dizaine de kilomètres d'Agen.

Cette passion dévorante occupe désormais plusieurs de ses soirées en semaine avec ses cours - dont un pour les salariés d'une grande entreprise -, ses démonstrations en Ehpad et ses initiations en centres aérés, ainsi que ses week-ends. Il y a quelques jours, elle dansait à Puy-l'Évêque, un village du Lot voisin, à une cinquantaine de kilomètres de son domicile. Le week-end d'après, c'était à La Sauvetat-sur-Lède, une commune rurale à plus de soixante kilomètres de chez elle.

Des bals tous les week-ends

C'est bien l'une des spécificités de la country et de la line dance (également dansée en ligne, mais avec plus de liberté sur le choix de la musique): les soirées country, appelées bals. Rien que pour le premier week-end de décembre, près d'une quarantaine d'événements de ce type étaient prévus dans toute la France.

Ce que confirme Hervé Canonne, chef de projet dans l'informatique mais surtout président de la Fédération francophone de country dance et line dance (FFCLD), double champion du monde dans cette discipline. "Vous pouvez être sûr qu'il y a au moins un bal chaque week-end en France", certifie-t-il à BFMTV.com. "Et c'est comme ça toute l'année", ajoute Hervé Canonne, également à la tête d'une association de country et line dance à Versailles.

Des danseurs lors du Stagecoach Festival en Californie, l'un des festivals de country les plus connus, en 2018
Des danseurs lors du Stagecoach Festival en Californie, l'un des festivals de country les plus connus, en 2018 © Frazer Harrison/Getty Images North America

Les deux fédérations nationales qui représentent la country et la line dance - la FFCLD ainsi que la Fédération française de danse - dénombrent un peu plus de 600 clubs répartis dans toute la France. Un total qui ne prend pas en compte les associations non affiliées à ces deux fédérations, qui feraient grimper leur nombre à 2000. Officiellement, ces deux fédérations enregistrent également quelque 17.500 adhérents.

Mais des adeptes de la country, il y en aurait beaucoup plus. Dans un article publié en 2019 par la Fondation Jean Jaurès, le politologue Jérôme Fourquet et le géographe Sylvain Manternach estiment que 9% de la population nationale - soit près de quatre millions de personnes - "ont déjà pratiqué ou s'adonnent à la danse country dans le cadre d'une structure collective (club ou association)", écrivent-ils. Le danseur et sociologue Christophe Apprill, auteur des Mondes du bal, analyse cet engouement pour BFMTV.com:

"On n'est pas dans quelque chose d'éphémère mais dans un mouvement de fond. Mais un phénomène qui est passé sous les radars."

Cet emballement, Gérard Simoncello, chef d'entreprise à la retraite et fondateur de la FFCLD, en témoigne. "Certains festivals, comme celui de Tarbes (qui comprend également le Salon du tattoo et le Tarbes poker game, NDLR), sont devenus des événements immenses", s'enthousiasme-t-il pour BFMTV.com.

Cet "esprit country" a germé sur un terreau favorable, du rêve américain aux westerns, en passant par les rassemblements de bikers ou le retour en grâce des pin-up et la nostalgie du rockabilly.

"L'engouement non démenti depuis plus de vingt-cinq ans pour la danse country constitue une des manifestations les plus évidentes de l'influence de la culture américaine sur notre société", écrivent Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach.

Tout remonte au début des années 1990 avec l'ouverture du parc Euro Disney. Une réplique d'un saloon texan à l'ambiance cowboy propose des démonstrations de danse country. Le succès est immédiat.

Les premiers clubs voient le jour, se multiplient et les festivals essaiment dans toute la France. Le foisonnement est tel que le territoire se tisse d'un maillage country. "Je me suis retrouvé dans le Périgord pour une formation country, je n'aurais jamais imaginé qu'il y aurait ici un club", poursuit Gérard Simoncello.

Des adeptes issus "de tous les milieux sociaux"

Ces adeptes viennent "de tous les milieux sociaux", note Maxence Gerbault, commercial de 36 ans et conseiller country au sein de la Fédération française de danse. "Des infirmiers, des enseignants, des avocats... On rencontre des personnes qu'on n'aurait jamais croisées ailleurs."

"Quand on arrive sur la piste, il n'y a plus de différences, tout le monde est sur le même pied d'égalité", résume-t-il.

Dans leur publication, Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach évoquent en effet un public "hétérogène" avec une dimension "mixte et intergénérationnelle". Des danseurs et danseuses de tout âge, jeunes y compris - le taux de pratiquants est même plus élevé parmi les moins de 35 ans que les plus de 35 ans - faisant "mentir le cliché d'une activité passée de mode ou en déclin".

Mais un public "majoritairement populaire", précisent-ils également. Les deux chercheurs expliquent ainsi que la country s'est développée "à l'ombre et à l'écart des grandes métropoles, avec comme lieu de prédilection les territoires de la France périphérique". À l'exemple des Rencontres nationales de la country, organisées tous les ans à Issoudun, la sous-préfecture de l'Indre qui compte un peu moins de 12.000 habitants.

"La country, c'est pas lasso et compagnie", insiste auprès de BFMTV.com Chantale Germain, présidente des Amis du far west, la première association française de danse country créée il y a trente ans, à Paris. Si c'est bien l'équipement - du ceinturon à la chemise à carreaux - qui a en partie séduit Jean-Claude Laly il y a quinze ans lorsqu'il a découvert la country, ce septuagénaire retraité de la police affirme que la tenue vestimentaire traditionnelle se raréfie, en cours comme en bal:

"On vient danser comme on a l'habitude de s'habiller ou comme on est allé travailler", remarque-t-il pour BFMTV.com.
Un chapeau de cowboy au Stagecoach festival, en Californie, en 2016 (photo d'illustration)
Un chapeau de cowboy au Stagecoach festival, en Californie, en 2016 (photo d'illustration) © Joshua Applegate-Getty images north america

À la tête de trois clubs de country et line dance à Monaco, il organise sept bals par an, régulièrement précédés de stages ou "workshops" avec des chorégraphes. Car on ne s'improvise pas danseur de country: il faut connaître les pas.

Il existe des dizaines et des dizaines de chorégraphies différentes, répertoriées, codifiées et hiérarchisées selon leur niveau (débutant, novice, intermédiaire ou avancé). Les bals affichent ainsi en amont les danses qui seront proposées - extraites de ce qui est appelé dans le milieu le "pot commun", sorte de catalogue officiel des chorégraphies proposées dans chaque région.

"Bien plus que des chapeaux de cowboy"

Pour Béatrice Jover, une employée de pharmacie âgée de 47 ans, la country, c'est aussi "bien plus que des bottes et des chapeaux de cowboy", insiste-t-elle pour BFMTV.com. C'est son quotidien.

Cette quadragénaire, présidente d'un club à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), donne des cours toute la semaine à ses 80 élèves - adultes valides, personnes en situation de handicap et enfants - et organise l'été un bal gratuit et ouvert au public tous les mercredis soirs sur la place de l'Hôtel de ville. Elle se rend un samedi après-midi à Marseille pour un workshop, le soir même à Sanary-sur-Mer pour un bal. Et le week-end suivant au festival de Lloret de Mar, en Espagne.

Des événements auxquels elle se rend souvent avec ses élèves. "Quand il y a deux événements le même jour, ça rouspète", s'en amuse Béatrice Jover. Les relations qu'elle entretient avec eux vont ainsi bien au-delà d'une simple courtoisie entre une prof et ses élèves.

"Avec mes danseurs, comme avec le monde de la country en général, c'est comme une deuxième famille", explique-t-elle.

Un aspect qu'ont repéré Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach. Ils évoquent "un esprit de groupe" et "des relations fortes" entre les membres. "Dans une société dans laquelle les collectifs traditionnels (villages, familles, usines, syndicats, paroisses, etc.) ont disparu ou se sont délités, toute une partie de la population est à la recherche de nouveaux liens affectifs et sociaux."

"On chante, on rit, on s'amuse ensemble"

La convivialité revient souvent dans les motivations des danseurs et danseuses. "C'est très chaleureux comme pratique et c'est ce que les gens viennent chercher", insiste Chantale Germain, de l'association parisienne Les Amis du far west.

Pour le sociologue Christophe Apprill, également auteur de Slow: Désir et désillusion, c'est le principe même des danses sociales: "On est plus dans le partage que dans la performance artistique. Le ticket d'entrée, financier comme technique, est accessible. On peut venir seul." "Il n'y a pas de prérequis, on n'a pas besoin d'être un grand danseur pour s'approprier quelques pas", résume-t-il.

Cette danse libère aussi de "l'appréhension de la proximité physique" avec son ou sa partenaire. C'est d'ailleurs ce qu'exprime Jean-Claude Laly, qui dirige plusieurs clubs à Monaco. Se disant doté de "deux pieds gauches" et ayant toujours craint de malmener - involontairement - sa partenaire, il a vu dans la country la possibilité de danser seul mais en groupe. "C'est une danse démocratique", souligne Christophe Apprill.

"Avec la country, on fait société, on se relie au groupe sans même avoir besoin de parler", analyse le sociologue. "C'est un moment très intense."

Une certaine noblesse dans la pratique alors que la country serait la cible de stéréotypes "dévalorisants", regrette Christophe Apprill. "Certains voient la country comme le degré zéro de la danse, comme quelque chose de ringard, réservé aux ploucs." Un mépris "dans l'échelle des danses" qui serait à l'image d'un mépris "dans l'échelle sociale".

Pourtant, assure-t-il, quelque chose "d'essentiel" se joue sur la piste de danse, "de l'ordre de la vie et de la mort". Une philosophie résumée en quelques mots par Véronique Villette:

"Quand on danse, on ne pense plus à rien. On chante, on rit, on s'amuse ensemble, on oublie tout."
https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV