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Logement

Le marché du logement s'installe dans la crise

L'entrée en vigueur de la trêve hivernale remet sur le devant de la scène les paradoxes du marché français du logement où la construction est au plus bas depuis près de quinze ans malgré une pénurie chronique et où la chute des ventes n'entraîne pas de ba

L'entrée en vigueur de la trêve hivernale remet sur le devant de la scène les paradoxes du marché français du logement où la construction est au plus bas depuis près de quinze ans malgré une pénurie chronique et où la chute des ventes n'entraîne pas de ba - -

par Marc Joanny PARIS (Reuters) - L'entrée en vigueur de la trêve hivernale remet sur le devant de la scène les paradoxes du marché français du...

par Marc Joanny

PARIS (Reuters) - L'entrée en vigueur de la trêve hivernale remet sur le devant de la scène les paradoxes du marché français du logement où la construction est au plus bas depuis près de quinze ans malgré une pénurie chronique et où la chute des ventes n'entraîne pas de baisse significative des prix.

Interpellée par les associations de lutte contre la pauvreté et de défense du droit au logement, la ministre en charge du secteur, Cécile Duflot, a réitéré mercredi sa proposition de recourir à la réquisition de logements vacants, deux semaines après l'annonce d'un plan d'urgence hivernal.

Sur le parc français de 32,9 millions de logements, 27,4 millions sont des résidences principales dont 4,6 millions de logements sociaux, 3,12 millions des résidences secondaires, tandis que 2,3 millions de logements sont vacants, selon les données de l'Insee et du ministère du Logement au 1er janvier 2011.

Dans son dernier rapport annuel sur le mal-logement, la Fondation Abbé Pierre rappelait que le déficit de logements est estimé à environ 900.000 unités et chiffrait à 3,6 millions le nombre de personnes "pas ou très mal logées", soit 5,5% de la population.

Dans le même temps, la construction de logements neufs s'enfonce dans la crise au risque de rendre durablement caduc l'objectif fixé par le chef de l'Etat de construction de 500.000 nouveaux logements par an sur la durée de son mandat.

Le nombre de mises en chantier de logements neufs est tombé au troisième trimestre à 66.932 unités en baisse de 17,6% par rapport à la période correspondante de 2011, selon les dernières données publiées par le ministère du Logement.

Il s'agit d'un plus bas depuis le troisième trimestre 1998 qui correspondait à la sortie de la grande crise immobilière du début des années 90. Sur un an, le nombre de mises en chantier de logements neufs tombe à 340.085, en baisse de 3,6%.

MÉNAGES FRILEUX, BANQUES VIGILANTES

"La construction neuve de logements doit composer avec des ménages très frileux plus enclins à épargner qu'à dépenser et encore moins à investir et les entrepreneurs ne pourront pas se rattraper sur les autres compartiments du neuf, conjoncture oblige", prévient Alexandre Mirlicourtois, économiste à l'institut Xerfi.

Les défaillances dans le secteur de la construction représentent le tiers du nombre des défaillances en France, 26% au niveau des emplois détruits et un quart du coût total, rappelle Jennifer Forest, senior économiste en charge des défaillances en France pour la Coface.

Le secteur de la construction, dont les effectifs représentent 9% de ceux du secteur privé, a détruit 6.800 emplois au deuxième trimestre 2012 et 11.600 sur un an à fin juin.

Le secteur du logement pâtit aussi de la chute brutale des prêts immobiliers même si les conditions de financements restent avantageuses avec des taux d'intérêt en recul depuis mars et tombés à 3,38% en moyenne en octobre, proche de leur plus bas historique de 3,25% atteint en novembre 2010, selon les données de l'Observatoire Crédit Logement/CSA.

En revanche, la production de crédits immobiliers a reculé de 24,3% en glissement annuel au troisième trimestre et chute de 30,5% sur les neufs premiers mois de l'année, selon la même source.

Au-delà de contraintes de solvabilité renforcées, "les banques ont accru leur vigilance et rechignent à prêter sur longue période alors que la solvabilité et la demande des ménages sont affaiblies par la crise", note Alexandre Mirlicourtois qui rappelle que dans le neuf comme dans l'ancien la quasi totalité des transactions nécessite le recours à l'emprunt.

UN ÉQUILIBRE PARTICULIER

Les ventes de logements neufs qui avaient résisté en 2011, se sont nettement érodées au premier semestre de cette année portant sur 20.000 unités sur les trois premiers mois et 20.700 sur les trois suivants, soit un repli de 14% sur un an, selon les données du ministère du Logement.

"Sur l'ensemble de l'année, les ventes devraient être en baisse marquée, - 19% sur un an pour atteindre 84.000 unités, niveau proche du point bas de 2008", au plus fort de la crise financière, prévoit le service des études économiques de Crédit agricole SA dans la livraison d'octobre de sa publication trimestrielle sur le marché de l'immobilier.

Dans l'ancien, "les ventes ont reculé en février, mars et ce mouvement s'est confirmé au deuxième trimestre : leur nombre a été ramené à 170.000 en recul sur un an. On s'achemine vers un niveau de 685.000 ventes en 2012, en baisse de 15% sur un an".

La forte contraction de l'activité ne se traduit pas pour autant par un ajustement important des prix comme d'autres pays ont pu en connaître après l'éclatement de la crise financière.

"Le marché de l'immobilier en France est un marché de l'offre, c'est un marché de pénurie, héritage d'un effort de construction trop faible depuis le début des années 1990", rappelle Alexandre Mirlicourtois.

"Cela conduit à un équilibre un peu particulier : les volumes s'ajustent, les prix beaucoup moins", ajoute-t-il.

Les économistes de Crédit agricole SA tablent ainsi sur une baisse des prix dans l'ancien de 4% en glissement (de décembre 2011 à décembre 2012) et de 2% en moyenne annuelle avec des reculs plus marqués sur certains segments et en fonction des zones géographiques. Les prix dans le neuf resterait à peu près stables. En 2013, ils s'attendent à un recul des prix de 5% dans l'ancien, portant le recul cumulé à environ 10% entre fin 2011 et fin 2013.

ANNÉES DIFFICILES

"Nous sommes aujourd'hui dans la situation de la première moitié des années 90", prévient toutefois Michel Mouillart, professeur d'économie à l'université de Paris-Ouest et spécialiste du secteur.

"L'Etat n'a pas la capacité ou la volonté d'intervenir, la situation économique ne permet pas à la demande de se réaliser de manière autonome (...) cela veut dire potentiellement plusieurs années difficiles", poursuit-il rappelant qu'il avait fallu cinq ans pour sortir de la crise du début des années 90.

"Souvenons nous aussi que lorsqu'il y a une intervention publique forte, en un an ça sort", rappelle-t-il en référence au plan de relance de 2008-2009.

Dans un environnement budgétaire beaucoup plus contraint, la politique du logement s'articule pour l'heure autour de trois volets principaux : le blocage par décret des loyers à la relocation dans certaines zones où le marché est particulièrement tendu avant une loi prévue en 2013, une loi sur le logement social et une niche fiscale prévue dans le projet de loi de finances 2013, ce dispositif "Duflot" de soutien fiscal à l'investissement locatif, appelé à prendre la suite du "Scellier.

Le texte sur le logement social, qui prévoit la cession à bas prix, voire parfois gratuite, de terrains publics en faveur du logement social, le passage de 20 à 25 % du taux obligatoire des logements sociaux dans certaines communes ainsi qu'un quintuplement des amendes pour les contrevenants, a été invalidée la semaine dernière par le Conseil constitutionnel

La ministre du Logement a annoncé qu'un nouveau projet de loi serait présenté dès le mois de novembre devant le Parlement afin d'être adopté avant la fin de l'année.

"Dans un environnement économique déjà délabré, le marché du logement est très chahuté depuis la rentrée aussi bien sur le plan fiscal que sur le plan réglementaire", commente Alexandre Mirlicourtois.

Pour Michel Mouillart, "il faut que les uns et les autres réfléchissent bien sur le fait que les conditions de crédit sont exceptionnelles et permettent contenir la dépression".

"Si jamais il y avait une dégradation des conditions de crédit, on sait pas où on peut aller", prévient-il.

Standard & Poor's a annoncé la semaine dernière avoir abaissé la note de plusieurs banques françaises, dont BNP Paribas, et la perspective sur les notes de 10 d'entre elles, justifiant sa décision par l'augmentation des risques économiques pour le secteur et la surchauffe du marché immobilier.

L'agence de notation estimait encore au printemps que la qualité de crédit des banques françaises ne serait pas affectée par une baisse des prix de l'immobilier résidentiel pouvant atteindre 15% sur 2012-2013.

Edité par Patrick Vignal