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Société

Les grandes surfaces s'en mettent-elles plein les poches ?

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Dénonçant les marges des distributeurs, les agriculteurs français bloquent l'approvisionnement des grandes surfaces. Enquête sur ces prix fixés en catimini.

Les agriculteurs bloquent depuis plusieurs jours la moitié des plateformes d'approvisionnement des grandes surfaces en France. Ce vendredi 12 juin, ils étaient 7 000, selon la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) à l'origine du mouvement, qui s'est déclenché avec la colère des éleveurs envers le récent accord sur le prix du lait, jugé très insuffisant. Dans le collimateur des producteurs : les marges de la grande distribution sur leurs produits. Dans certains rayons, ça pourrait se faire sentir ce week-end. RMC a enquêté pour savoir quelles sont précisément ces marges et si, en effet, les grandes surfaces remplissent leurs poches entre le producteur et le consommateur final.

Une salade : de 35 centimes à 1 euro...

Les producteurs reprochent avant tout aux grandes surfaces leur manque de transparence dans la fixation des prix : on ne sait pas combien elles empochent sur la vente d'une brique de lait ou sur une salade. Vendue en moyenne 35 centimes pièce par les producteurs, une salade tourne autour d'1 euro en ce moment dans les supermarchés. Soit 65 centimes de différence, desquels il faut enlever les marges de l'expéditeur et de la centrale d'achat. Au final, les grandes surfaces empochent à peu près 40 centimes brut par salade. Mais elles ne disent pas combien il leur reste une fois qu'elles ont payé leur personnel et réglé toutes leurs factures...

10 € le kilo de jambon = 6 euros de marge

Un autre exemple concret : le jambon. Au départ, l'éleveur facture le kilo de porc à 1,50 euro. A la sortie de l'abattoir, ce dernier coûte 1,90 euro. Après avoir été transformé en tranches de jambon dans une usine, il vaut 4 euros. Et dans les rayons, le kilo de jambon est facturé à 10 euros, hors TVA. Soit 6 euros de marge brut pour la grande distribution. Et s'il reste impossible de savoir combien empochent les supermarchés après avoir payé tous leurs frais, l'UFC Que Choisir souligne cependant que quand le prix du porc baisse, celui du jambon en rayon, ne bouge guère. Or, les abattoirs et les transformateurs ont toujours les mêmes marges...

« D'importantes disparités selon les produits »

Philippe Moati, professeur d'économie à l'université Paris Diderot et directeur de recherche au Credoc, préfère dresser « une vision d'ensemble de la question des marges dans la grande distribution : sur un caddie de 100 euros, explique-t-il, il reste 3 euros en bénéfice pour le distributeur. Mais c'est en fait un chiffre global, qui cache d'importantes disparités selon les produits. Là où le concurrence est très forte et où ils sont obligés de mettre des prix très bas - notamment sur les produits de grandes marques, très visibles dans les prospectus et que l'on trouve à l'identique d'un magasin à l'autre - les marges sont extrêmement faibles. Donc, forcément, ils se récupèrent davantage sur les produits plus difficiles à comparer d'une enseigne à une autre - notamment les produits frais, les fruits et légumes, la viande, etc. »

L'industrie, plus "coupable" que la distribution ?

Pour Philippe Moati, c'est une erreur de dénoncer exclusivement les marges de la grande distribution, notamment pour les produits laitiers : « c'est peut-être plus au niveau de l'industrie qu'au niveau de la distribution, que se pose aujourd'hui le problème de pouvoir de marché. L'industrie laitière par exemple, qui transforme le lait en fromage, en desserts lactés... est une industrie qui est très concentrée, avec des grandes entreprises multinationales qui pèsent très lourd en tant qu'acheteurs sur le marché de la matière première. Elles ont besoin d'avoir un taux de rentabilité élevé et se comportent donc comme des acheteurs exigeants, qui négocient fermement pour essayer de tirer leur épingle du jeu. »

L'annonce par le ministre de l'Agriculture Michel Barnier, de la possibilité d'envoyer des contrôleurs des prix ne semble pas avoir calmé la situation. Et reste à voir si la rencontre prévue demain samedi 13 juin entre les agriculteurs et les ministres Michel Barnier et Luc Chatel, mettra un terme à ce conflit...

La rédaction, avec Yann Abback