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Les clients de la prostitution sous pression

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par Chine Labbé PARIS (Reuters) - Manifeste d'hommes qui "n'iront pas au bois", appel porté par une vingtaine d'associations, projet de loi qui...

par Chine Labbé

PARIS (Reuters) - Manifeste d'hommes qui "n'iront pas au bois", appel porté par une vingtaine d'associations, projet de loi qui pourrait être déposé d'ici la fin de l'année : l'idée d'une pénalisation des clients de la prostitution fait du chemin en France.

Cette proposition s'inscrit dans un débat plus vaste sur "l'abolition" de la prostitution, position de principe en France, où la loi se veut protectrice des prostitués tout en décourageant cette activité. Le racolage et le proxénétisme sont ainsi punis par la loi mais la prostitution est autorisée, sans toutefois bénéficier de statut juridique.

Une position que politiques et associatifs souhaitent aujourd'hui réaffirmer, et renforcer.

De nombreux acteurs se réclament de l'exemple de la Suède, où l'achat d'actes sexuels a été pénalisé en 1999 et où la prostitution de rue a été divisée par deux en dix ans.

En juillet 2010, l'Assemblée nationale a créé une mission d'information sur la prostitution en France, présidée par la socialiste Danielle Bousquet. En avril, celle-ci recommandait, entre autres, de pénaliser le client, "longtemps passé sous silence mais acteur central de la prostitution".

D'après une enquête menée en 2004 par l'association Mouvement du Nid, environ un homme sur huit (12,6 %) a déjà eu recours à une prestation sexuelle tarifée en France.

Depuis, une proposition de résolution affirmant la détermination de la France à lutter contre la prostitution a été signée par les présidents de tous les groupes politiques à l'Assemblée nationale.

Si elle ne parle pas de pénalisation du client, elle précise que "la prostitution ne pourra régresser que grâce à un changement progressif des mentalités et un patient travail de prévention, d'éducation et de responsabilisation des clients et de la société toute entière".

Fait inédit, selon Danielle Bousquet qui souligne que "pour la première fois, dans un texte en France, on voit apparaître le mot 'client' de la prostitution".

"LES CLICHÉS PERDURENT DEPUIS TROP LONGTEMPS"

L'idée fait aussi du chemin dans la société civile.

Une trentaine d'hommes originaires de dix pays ont signé, début septembre, un manifeste intitulé "Nous n'irons pas au bois", qui appelle à la pénalisation de ceux qu'ils appellent "clients-prostitueurs".

Sur le site wwww.abolition2012.fr, une vingtaine d'associations lancent par ailleurs un appel pour "l'adoption d'une loi d'abolition du système prostituteur". Elles demandent, entre autres, la suppression de toutes les mesures répressives à l'encontre des "victimes" de la prostitution, la mise en place de moyens de protection, d'accompagnement social, et de véritables alternatives à la prostitution ainsi que la pénalisation des clients et le renforcement de la lutte contre le proxénétisme.

"Les clichés perdurent depuis trop longtemps selon nous sur la prostitution: le plus vieux métier du monde, elles le veulent bien, etc.", dit Frédéric Boisard, chef de projet à la Fondation Scelles.

"Nous ce qu'on voudrait, c'est révéler la véritable image de la prostitution, c'est-à-dire un milieu très difficile dont on ne sort pas indemne, et qui est très violent".

Certaines associations dénoncent le "système abolitionniste" français et demandent la reconnaissance du travail des prostitués. Pour celles-ci, la pénalisation des clients pourrait mettre en danger les prostitués. "Le problème n'est pas le travail du sexe, mais bien la pathologisation et la victimisation des travailleurs(euses) du sexe", écrit le Syndicat du travail sexuel (Strass) sur son blog.

Mais d'après Frédéric Boisard, ces associations représentent "une minorité".

Le ministère de l'Intérieur évalue à environ 20.000 le nombre de personnes prostituées en France. Près de 85% de celles qui se prostituent dans la rue seraient des femmes.

D'après la mission parlementaire sur la prostitution, la prostitution dite "traditionnelle" céderait progressivement la place à "l'exploitation sexuelle et à la traite des êtres humains" avec près de 90% de personnes prostituées étrangères, contre seulement 20% en 1990.

PESER DANS LA CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE

Avec cet appel, les associations entendent amener les candidats à l'élection présidentielle de 2012 à prendre position sur les moyens de lutte contre la prostitution. Le 29 novembre prochain, trois d'entre elles tiendront une "convention abolitionniste" au Palais Bourbon. Elles y invitent tous les candidats à la présidentielle.

Sans penser que la question de la prostitution s'imposera dans la campagne, elles espèrent qu'elle ne "sera plus occultée".

Et elles ne sont pas les seules. Mercredi dernier, l'association Future au Féminin interpellait les candidats sur la prostitution étudiante, une situation difficile à quantifier, mais "qui s'est banalisée" et qui est le signe d'une "génération délaissée", selon sa présidente. Le visage cachée, Marie, étudiante en droit et prostituée "pour subvenir à (ses) besoins quotidiens", témoignait de la contrainte économique qui l'avait poussée à sauter le pas.

Aujourd'hui, Danielle Bousquet se dit "persuadée" que sa résolution sera adoptée, et parie sur fin novembre ou début décembre. Le jour même, elle déposera un projet de loi sur la pénalisation des clients, porté par elle-même et le député UMP Guy Geoffroy, rapporteur de la mission sur la prostitution à l'Assemblée. Ce projet pourrait être examiné début 2012.

"Peut-être le calendrier sera-t-il juste, mais en tout état de cause, si la proposition de loi n'est pas votée à ce moment-là, elle sera reprise et remise dans le circuit de l'Assemblée", dit-elle.

L'idée de "sanctions des clients" a déjà été reprise par le Parti socialiste dans son programme électoral.

Edité par Patrick Vignal