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Société

« Le temps du deuil est devenu celui de l'horreur »

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Danièle et Paul Pierra ont aidé leur fils à mourir et expliquent dans un livre leur démarche. Ils ont également souhaité aider Chantal Sébire dans ses derniers jours.

J-J B : Votre fils Hervé, est resté 8 ans dans le coma. Après de multiples hésitations, la justice à autorisé qu'on lui retire la sonde qui l'alimentait. Il a mis 6 jours pour mourir, une agonie insupportable pour vous deux, et vous vous êtes promis sur son lit de mort de tout faire pour que jamais personne ne meure dans les mêmes conditions que lui. Je crois savoir que vous étiez en relation avec Chantal Sébire, c'est vrai ?
Paul Pierra : Oui je lui ai téléphoné. Le 27 au soir, quand j'ai vu ce reportage, j'ai tout de suite dit à Danièle qu'il se passait quelque chose de très fort, et je suis allé sur les pages blanches, j'ai tapé son nom et j'ai trouvé son numéro. J'ai appelé, je suis tombé sur son fils Vincent avec qui j'ai eu une longue conversation. Je lui ai dit toute mon émotion. On a échangé nos mails et nos numéros de téléphone, et je lui ai envoyé un certain nombre d'articles et de lois pour l'aider. On a parlé des obstacles à nos requêtes, également, et on a décidé de rester en contact. Il m'a aussi donné le numéro de sa maman et j'ai eu trois conversations avec Chantal.

J-J B : Et la dernière ?
P P : La dernière datait d'il y a environ une semaine parce qu'ensuite c'était très difficile, et Gilles Antonowicz, qui est son avocat et aussi celui qui a écrit le livre sur Hervé, nous a déconseillé, il nous a dit que Chantal était très fatiguée, qu'il venait de la voir, qu'elle était très éprouvée, qu'il fallait la protéger, la ménager, donc depuis nous ne l'avons pas appelée.

J-J B : Doit-on à tout prix chercher à savoir comment Chantal Sébire est décédée ?
Danièle Pierre : Je suis parfaitement indignée que l'on persécute cette dame au-delà de la mort. Cette pauvre femme a déjà tellement souffert, elle a appelé à l'aide et n'a eu aucune réponse, elle est morte seule, chez elle, et certainement avec un immense sentiment d'abandon. Donc personnellement je suis outrée.

J-J B : Et vous Paul ?
P P : Egalement, je suis outré et je voudrais compléter ce que Danièle vient de dire, à savoir que dans le cas de notre fils, nous aurions pu être à ses côtés, lui tenir la main pendant ses derniers instants parce que pendant huit ans et demi, Hervé était une enveloppe charnelle. On aurait pu être à ses côtés au moment de son départ. Mais non, on a reçu un coup de téléphone et on nous a annoncé que Hervé était décédé. Il est décédé sans sa famille à ses côtés et ça rejoint un peu ce que disait Danièle à propos de Chantal, qui est morte toute seule. Elle a crié très fort, elle voulait ses proches autour d'elle, elle disait qu'elle voulait faire un petit peu la « fête » avant, elle voulait passer de bons moments avec les êtres qui lui étaient chers et partir en toute sérénité. Et ça ne s'est pas passé comme ça.

J-J B : On va reprendre ce qu'il s'est passé avec Hervé : le 30 mai 1998, Hervé tente de se suicider, il faisait son service militaire et il s'est pendu et c'est vous, Paul, qui l'avez retrouvé. Vous l'avez réanimé, son cœur est reparti mais son cerveau a été trop longtemps sans oxygène
P P : Là ça a été assez difficile. Il faut savoir que pendant trois semaines, nous avions encore de l'espoir et on se disait qu'il allait revenir, sortir du coma. Quand on a dit à Danièle que Hervé était condamné et qu'il était dans un état végétatif, Hervé a donc été transféré à l'hôpital de Saumur mais le destin est terrible, parce que Hervé est né le 6 septembre 1977 dans ce bâtiment qui était une maternité qui est devenue un centre de soins de longs séjours et Hervé est revenu dans ce même bâtiment. Quand on a vu ça, quand on a vu que Hervé revenait à l'endroit où Danièle lui avait donné la vie...

J-J B : Pendant huit ans et demi vous l'avez assisté Danièle, vous alliez le voir tous les jours...
D P : Oui, pendant huit ans et demi, je voyais mon fils tous les jours, je le massais, je lui racontais la vie à l'extérieur, la vie de ses sœurs, la notre, l'actualité du monde et puis beaucoup de paroles d'amour comme ce qu'il se passe entre une maman et son enfant.

J-J B : Vous avez cherché à connaître la loi bien sûr, à savoir ce que disait la loi, vous avez été alerté par l'affaire Vincent Humbert, qui a réclamé le droit de mourir, qu'est ce qu'il s'est passé dans votre esprit à ce moment là ?
P P : D'abord, moi je savais ce qu'il en était de l'état d'Hervé. Danièle a eu plus longtemps un petit espoir. Je suis quelqu'un de très légaliste et j'ai demandé à ce moment là aux médecins de ne pas faire d'acharnement thérapeutique et ils m'ont répondu qu'il n'y avait pas de problème. Nous avions de bons rapports avec les médecins, il n'y avait aucun problème, on parlait le même langage. Ensuite est arrivée l'affaire Vincent Humbert que nous avons suivi au quotidien. J'ai passé des heures sur Internet pour voir son avancée, pour acheter les livres et voir comment l'affaire évoluait. Cette loi Léonetti a vu le jour, et dès son décret d'application, on a fait notre requête avec ma famille.

J-J B : Qu'est ce que vous demandiez ?
P P : On demandait simplement l'application de la loi Léonetti, en faisant référence aux différents articles, ni plus ni moins.

J-J B : Vous demandiez qu'on lui retire cette sonde qui l'alimentait ?
P P : C'était la seule solution. Il faut savoir que pendant huit ans et demi, Hervé était dans un lieu où il était le seul jeune, il y avait 99% de personnes en fin de vie. Donc nous ce qu'on demandait, c'est simplement l'arrêt de tous les traitements. A partir de ce moment là, le comportement des médecins a changé du tout au tout.

J-J B : Si j'ai bien compris, on vous a donné cette autorisation, la loi Léonéti a donné l'autorisation à l'équipe médicale, de retirer cette sonde qui alimentait votre fils ?
P P : Oui, mais ça c'est un écrit et entre un écrit et la réalité il y a un gouffre.

J-J B : Et vous avez mis longtemps ?
D P : 14 mois de lutte acharnée avant que la loi ne soit appliquée, 14 mois de tentatives d'intimidation, de déstabilisation, de travestissement de notre demande en demande d'euthanasie, tout a été mis en place pour que nous nous retrouvions devant un refus.
P P : Ça a été un vrai parcours du combattant ; dès qu'on a montré notre requête, ça a été un obstacle. C'est simple, nos rendez-vous avec les médecins, alors qu'avant c'était sympathique, il y avait l'infirmière en chef à la droite du médecin qui venait s'asseoir pour être témoin de tous les dires. Quand on a vu ça on s'est dit que ce n'était pas croyable ce changement d'attitude totale. Par contre je vais dire une chose que je n'ai pas souvent l'occasion de dire, mais je veux rendre hommage à toutes les infirmières et aides soignantes qui pendant huit ans et demi se sont occupées d'Hervé avec amour, avec compassion, avec sollicitude, et je bénis ces femmes là, elles ont été admirables. Par contre les médecins, on a voulu porter plainte contre eux, et quand on a pris conseil auprès de Maître Gilles Antonowicz il nous a dit qu'en pénal ce n'était pas possible. et en administratif c'était trois ou quatre ans. Donc on a décidé d'écrire un livre pour montrer ce qu'ils nous ont fait.

J-J B : 14 mois avant qu'enfin les médecins enlèvent la sonde qui nourrissait votre fils, et là, six jours d'agonie...
D P : Six jours d'agonie, de cauchemars, d'après un grand professeur qui s'est rendu à Saumur et qui a consulté Hervé et regardé son dossier médical, et qui a eu une conversation avec chaque membre de l'équipe médical. D'après lui, ça devait être le temps du deuil et du départ, et ça a été le temps de l'horreur.

J-J B : On l'a laissé mourir en quelques sorte, on l'a laissé agoniser ?
P P : Absolument, et sans sédatif. Ils sont partis du principe que quelqu'un dans un coma végétatif irréversible ne souffre pas.

J-J B : Les médecins n'ont pas voulu prendre de responsabilités dans toute cette affaire ?
P P : Absolument, c'est ça qui est ignoble, c'est que tout le monde voyait, tout le monde savait, mais personne ne faisait rien. Je ne sais pas, au bout du sixième jour, s'il s'est passé quelque chose, et si quelqu'un a craqué et a dit qu'il y en avait marre, ou si c'est Hervé qui est parti.

J-J B : Est-ce qu'on l'a aidé à mourir ?
D P : Nous ne le saurons jamais.
P P : Je me dis seulement qu'il y a peut être quelqu'un qui a fait preuve d'humanisme.

La rédaction