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Le propriétaire du "trésor de Munich" veut récupérer ses tableaux

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par Stephen Brown BERLIN (Reuters) - Cornelius Gurlitt, l'homme qui détenait un trésor de 1.406 chefs-d'oeuvre retrouvés dans un appartement de...

par Stephen Brown

BERLIN (Reuters) - Cornelius Gurlitt, l'homme qui détenait un trésor de 1.406 chefs-d'oeuvre retrouvés dans un appartement de Munich, est sorti de son silence pour affirmer que son père n'a rien extorqué aux Juifs sous le régime nazi et réclamer que les tableaux lui soient restitués.

Dans une interview accordée au magazine Der Spiegel, la première depuis que l'affaire a éclaté il y a deux semaines, le collectionneur âgé de 80 ans raconte avoir aidé son père, un marchand d'art qui a travaillé pour Adolf Hitler, à emporter les tableaux loin de Dresde écrasée sous les bombes à la fin de la Seconde guerre mondiale.

Décrivant le fabuleux trésor comme "l'amour de sa vie", Cornelius Gurlitt dit que s'en séparer a été "plus douloureux" que la perte de son père, Hildebrand, de sa mère et de sa soeur. "Je n'ai rien aimé autant que mes tableaux pendant toute ma vie (...) mais heureusement tout cela sera bientôt mis au clair et je pourrai les récupérer."

Le vieil homme assure qu'il n'a aucune intention de restituer certains des tableaux aux survivants de la barbarie nazie ou à leurs héritiers dans la mesure où, selon lui, il en a hérité légalement et ne s'est résolu à en vendre quelques uns que lorsqu'il avait besoin d'argent pour vivre ou se soigner, ne touchant pas de pension de retraite.

"Je ne restitue rien de mon propre gré", assène-t-il.

Cornelius Gurlitt a été intercepté par des douaniers alors qu'il franchissait la frontière suisse avec une grosse somme d'argent liquide, en 2010, ce qui a conduit à la perquisition dans son appartement de Munich au début de l'année dernière.

Ses tableaux ont été saisis. On pensait certains détruits depuis la guerre, d'autres étaient encore inconnus. La valeur totale de la collection comprenant notamment des Picasso, des Matisse ou des Chagall, a été estimée à un milliard d'euros.

LE GOUVERNEMENT ALLEMAND CRITIQUÉ

Leur propriétaire affirme qu'il a été très surpris du battage médiatique suscité par cette découverte.

"Je ne suis pas Boris Becker", dit-il au Spiegel en évoquant l'ancien champion de tennis allemand. "Je suis quelqu'un de très discret. La seule chose que je voulais, c'était vivre avec mes tableaux", ajoute-t-il pour expliquer sa longue vie d'oisiveté et de célibat.

Depuis que l'affaire a été rendue publique au début du mois, le gouvernement allemand est sous le feu des critiques pour avoir gardé le secret pendant près de deux ans.

Il a réagi en lançant un site internet (www.lostart.de) pour aider les experts qui tentent de retrouver des oeuvres d'art volées par les nazis, ou achetées sous la contrainte, avant et pendant l'Holocauste.

Mais le statut légal des tableaux retrouvés chez Cornelius Gurlitt est des plus incertains et les avocats des héritiers des collectionneurs juifs reconnaissent eux-mêmes que le vieil homme pourrait être autorisé à en conserver une partie.

Certains tableaux pourraient avoir été acquis lorsque le régime nazi a ordonné aux musées allemands de se séparer des oeuvres d'"art dégénéré" qui déplaisaient à Adolf Hitler.

Le ministre de la Propagande du IIIe Reich, Joseph Goebbels, avait en effet chargé Hildebrand Gurlitt de vendre ces oeuvres à l'étranger afin d'enrichir l'Etat allemand.

Son fils assure aujourd'hui que le marchand d'art n'aurait jamais eu l'idée d'exproprier des collectionneurs juifs ou d'abuser de la faiblesse de ceux qui étaient contraints de vendre leurs biens pour fuir l'Allemagne nazie.

"Il se peut qu'on ait proposé des oeuvres à mon père à titre privé mais il ne les aurait sûrement pas saisies", dit-il au Spiegel. "Il aurait jugé que c'était mal."

"JE N'AI COMMIS AUCUN CRIME"

Hildebrand Gurlitt a fait valoir ses propres origines juives - une de ses grand-mères - pour échapper à la prison après la guerre. Après sa mort dans un accident de voiture, en 1956, sa veuve avait raconté aux autorités que sa collection de tableaux avait été détruite en même temps que la maison familiale pendant le bombardement de Dresde par les Alliés en février 1945.

Cornelius se défend en disant qu'il n'a "rien à voir" avec l'acquisition des tableaux et qu'il a uniquement contribué "à les sauver" en aidant son père à les charger dans un camion à l'approche des troupes soviétiques, pour les transporter d'abord dans une ferme voisine, puis dans le château d'un aristocrate du sud de l'Allemagne.

"Je n'ai commis aucun crime", plaide-t-il, tout en prenant bien soin de préciser que si c'était le cas, "il y aurait prescription".

Le procureur en charge de l'affaire n'a de fait retenu aucune charge contre lui pour le moment, même s'il n'est pas exclu qu'il soit poursuivi pour fraude fiscale et fraude douanière lors des plus récentes ventes de tableaux - la dernière remonte à 2011, un tableau de Max Beckmann vendu aux enchères pour 725.000 euros.

"Je ne suis pas aussi courageux que mon père, qui vivait pour l'art et s'est battu pour lui", confesse Cornelius Gurlitt au Spiegel. "Maintenant les tableaux sont dans un coffre et je suis seul. Pourquoi n'ont-ils pas pris seulement les tableaux qu'ils voulaient expertiser? Tout ne serait pas aussi vide."

"Ils auraient pu attendre que je sois mort pour les prendre."

Tangi Salaün pour le service français